Reportage

Art et sida: quand les mots ne suffisent pas

04 décembre 2007

“L’art et le sida sont inextricablement liés tout au long du quart de siècle de l’épidémie. L’art a exprimé ce que les mots seuls ne pouvaient dire.” Peter Piot, Directeur exécutif de l’ONUSIDA.

La Journée mondiale sida 2007 a marqué le premier anniversaire de la collection de l’ONUSIDA, Art et sida—une collection d’art qui a été constituée pour apprécier le rôle que l’art a joué dans la riposte au sida. Qu’il s’agisse des courtepointes d’Amérique, des livres de mémoire d’Afrique, de la peinture, de créations multimédia ou de sculpture, le sida a influencé l’art et le monde de l’art.

C’est parce qu’elles invitent à la réflexion et au dialogue sur les aspects les plus difficiles de l’épidémie que les pièces de la collection ont été choisies. La collection, qui était centrée au départ sur l’art africain contemporain, compte à présent plus de 60 œuvres dignes d’une place dans les musées, grâce au soutien généreux des artistes, des collectionneurs et des donateurs de partout dans le monde.

Dans cette première partie d’une série spéciale qui en compte trois, www.unaids.org relate l’histoire de la collection et de ses créateurs.

La collection

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L’artiste ghanéen El Anatsui, a utilisé des bouts de métal de
récupération, tels que capsules de bouteilles, qu’il a tordus et
enfilés pour composer un commentaire sur le sida et la riposte au
sida.

Parmi les pièces de la collection permanente de l’ONUSIDA figure en bonne place ‘Crust of the Earth’ (la Croûte terrestre) une sculpture de métaux mix-média par l’artiste ghanéen El Anatsui. Celui-ci a utilisé des bouts de métal de récupération tels que capsules de bouteilles qu’il a tordus et enfilés pour composer un commentaire sur le sida et la riposte au sida. Un des artistes les plus connus de l’Inde, Maqbool Fida Hussain, a peint un tableau intitulé ‘Mère Teresa’ pour la collection permanente. Cette huile sur toile d’une mère et de son enfant symbolise l’espoir en la riposte au sida.

“Je suis ravie que nous puissions exposer des artistes de renommée mondiale, des artistes dont les œuvres ont orné les murs du Tate Modern à Londres, du Guggenheim à Bilbao, et du musée Pompidou à Paris,” a déclaré Annemarie Hou, Chef de la communication et de la mise en commun des connaissances et conservatrice de la collection de l’ONUSIDA.

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En les nommant ‘Courage’,
‘Compassion’ et ‘Communauté et
amour’, Fisher — qui vit ouvertement
avec le VIH — exprime ses
sentiments concernant le sida.

Sept imposantes sculptures, dont l’artiste et écrivain Mary Fisher, Représentante spéciale de l’ONUSIDA, a généreusement fait don à la collection permanente de l’ONUSIDA, accueillent le visiteur à son entrée dans le hall du bâtiment. En les nommant ‘Courage’, ‘Compassion’ et ‘Communauté et amour’, Fisher—qui vit ouvertement avec le VIH— exprime ses sentiments concernant le sida et la riposte à la maladie. A l’extérieur du bâtiment de l’ONUSIDA, se dresse la statue ‘Eradication’ de l’artiste zimbabwéen Mike Munyaradzi, pour qui elle symbolise “le monde fragile dans lequel nous vivons aujourd’hui”. La sphère en creux signifie la destruction de notre planète et les dures réalités de notre époque, dont le sida. La feuille représente l’espoir et la vie que nous avons du mal à maintenir.

La collection permanente compte aussi un grand nombre de photographies extraordinaires de Gideon Mendell et de Jonathan Torgovnik. Torgovnik a reçu il y a peu de temps le prix de photographie décerné par la National Portrait Gallery du Royaume-Uni pour son portrait d’une femme rwandaise qui a été violée pendant le génocide, a eu un enfant et a contracté le VIH, et à qui il donne voix.

Outre la collection permanente, l’ONUSIDA a eu le bonheur de se voir prêter un certain nombre de pièces de musée.

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Outre la collection permanente, l’ONUSIDA a eu le
bonheur de se voir prêter un certain nombre de
pièces de musée.

“Nous avons beaucoup de chance d’avoir reçu en prêt des œuvres de la collection Jean Pigozzi,” a déclaré Mme Hou. “ La collection Pigozzi, l’une des plus importantes du monde, comprend des œuvres d’artistes qui vivent et travaillent en Afrique subsaharienne, et qui utilisent divers mode d’expression, allant de la peinture à la sculpture, à la vidéo et au multimédia,” a-t-elle ajouté.

Sont également exposées des œuvres prêtées par l’organisation ‘ArtAids’, fondée par le collectionneur d’art et écrivain hollandais, Han Nefkens, en vue d’“utiliser l’art pour amener les gens à s’engager à lutter contre les problèmes de l’épidémie et à contribuer véritablement à créer des conditions de vie meilleures pour les personnes séropositives.” Le produit de la vente des œuvres réalisées à la demande d’ArtAids servira à fournir aux personnes vivant avec le VIH les soins médicaux qui leur seraient autrement inaccessibles.


Art carte – parcourir le catalogue

L’ONUSIDA a préparé un catalogue de la collection, ‘Art et sida art carte,’ où l’on peut voir des photos des œuvres et lire les commentaires qui les accompagnent. Le catalogue est disponible en copie papier et peut également être parcouru en ligne.

“La collection ainsi que le catalogue art carte qui l’accompagne, ont pour objet de permettre à un nombre aussi grand que possible de personnes de jouir et de profiter de ces œuvres qui éveillent l’inspiration. Plusieurs d’entre elles ont suscité des conversations de couloir et des discussions animées—c’est en les entendant que nous nous sommes rendu compte que la collection connaissait un vif succès,” a déclaré Annemarie Hou.

Questions à la conservatrice, Annemarie Hou

Q: Sur quelles bases décidez-vous des œuvres à inclure dans la collection?

R: C’est un processus de création et de collaboration cristallisé sur la connexion entre Art et sida. Nous avons décidé de commencer la collection en mettant l’accent sur l’art africain contemporain, et l’un des premiers artistes auxquels nous avons pensé est El Anatsui. Ses extraordinaires sculptures l’ont rendu célèbre. Son œuvre, Crust of the Earth, est le fruit de notre premier partenariat et j’estime que ce commentaire sur le sida est la pièce maîtresse de notre collection permanente.

Il nous arrive aussi de collaborer avec des collectionneurs comme Jean Pigozzi. Il nous conseille et nous prête des tableaux qui sont exposés dans des musées. En effet, un des tableaux de Chéri Samba que nous avions exposé se trouve à présent au Tate Modern, à Londres.


Q: Comment l’ONUSIDA acquiert des œuvres d’art?

R: De trois manières – dons, prêts et commandes. La plupart des œuvres nous ont été prêtées ou nous ont été données par l’artiste ou par un donateur. L’installation Redouté de Leo Copers nous a été prêtée par le collectionneur Hans Nefkens. Elle est à vendre pour €25 000. Le produit de la vente financera l’achat de traitements antirétroviraux.

Nous avons aussi commandé trois œuvres. La première, de Maqbool Fida Hussain, nous a été offerte par l’artiste. L’œuvre d’El Anatsui est en partie don de l’artiste à qui l’ONUSIDA a versé des honoraires. Et l’acquisition de la troisième, la sculpture de Mike Munyaradzi intitulée Eradication, a été possible grâce à Johnson & Johnson qui nous en a fait don. L’installation de l’œuvre a été phénoménale : il a fallu une grue et l’artiste pour la mettre en place.


Q: Il a donc fallu beaucoup de travail…

R: En effet, du temps, de l’attention et des ressources. Comme les œuvres d’art sont souvent fragiles, il nous faut être très attentifs à l’expédition et à l’installation. Les œuvres sont soumises à une inspection tous les trois mois et les œuvres prêtées sont examinées périodiquement par les agents des propriétaires.

Cette première année nous avons eu des frais supplémentaires de démarrage : pour le transport et l’installation des dons et des œuvres prêtées (plus de 60), il nous a fallu payer quelque $51 000. A présent, nos coûts annuels ne devraient pas dépasser $20 000.

Comme aucun d’entre nous n’est un spécialiste de l’art, nous avons la chance d’avoir d’excellents conseillers qui nous font profiter de leurs connaissances. Par ailleurs, beaucoup de personnes ont donné bénévolement de leur temps, mais je crois que je peux parler au nom de mes collègues en disant que nous le faisons pour l’amour de l’art qui est pour nous une source inépuisable d’inspiration. Et si vous connaissez quelqu’un que ça intéresse, nous serions ravis de trouver un mécène pour Art et sida!


Q: Est-il vrai que l’une des photographies de la collection a été un événement marquant pour le photographe?

R: C’est le portrait de Margaret qui fait partie de la collection de photographies de Jonathan Torgovnik, photographe pour la revue Newsweek. Jonathan était en mission au Rwanda où il faisait un reportage sur les 25 années de sida.

Je l’ai rejoint un jour ainsi que le journaliste Geoffrey Cowley pour écouter le témoignage d’une survivante du génocide, une femme qui avait été violée et qui à la suite de ce viol s’était retrouvée enceinte et infectée par le VIH. Margaret nous a raconté doucement son histoire, nous exposant heure par heure et jour par jour ce que fut sa vie. Jonathan a été tellement ému qu’il est retourné au Rwanda pour consigner des histoires comme celle de Margaret afin qu’elles ne tombent pas dans l’oubli. Il a aussi créé une fondation pour l’éducation des enfants. Voilà de quoi nous inspirer!

 

La partie 3 de la série comporte une interview de Jonathan Torgovnik.



Liens:
Lire le reportage – Art africain contemporain et sida
Lire le reportage – Le Secrétaire général visite le nouveau bâtiment de l’ONUSIDA à Genève (en anglais)

Série en trois parties sur l'Art et le sida:
Partie 1: Art et sida: quand les mots ne suffisent pas
Partie 2: Art et sida: Paroles d’un sculpteur
Partie 3: L’Art source d’inspiration