Reportage

Art et sida : Paroles d’un sculpteur

06 décembre 2007

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"La lutte contre le sida ne peut se faire en solo –
elle n’incombe pas seulement à l’ONUSIDA mais
aussi à grand nombre d’organisations et de pays.
Elle nous incombe à tous."

Mike Munyaradzi est né en 1967 à Guruve, au Zimbabwe. Fils du sculpteur de renommée mondiale, Henry Munyaradzi, Mike n’avait que 13 ans lorsque son père a commencé à l’initier à l’art. Dans la deuxième partie d’une série spéciale Art et sida, Mike parle de son vécu et de la signification de sa sculpture Eradication ainsi que du rôle de l’artiste dans la riposte à l’épidémie

Comment et pourquoi vous êtes-vous retrouvé dans le monde de l’art?

J’y ai grandi. J’ai probablement commencé à sculpter alors que je n’avais que 13 ans – à cet âge je pouvais faire de petites choses – j’observais et j’essayais de copier mon père. Je n’ai pas fait les beaux-arts – j’ai tout appris de lui.

Qu’est-ce qui a inspiré et influencé votre art?

Surtout la nature et les animaux. Et aussi la culture des peuples dont je suis issu, les Shona et les Ndebele. Mon inspiration me vient aussi du monde moderne dans lequel nous vivons et des formes naturelles de la pierre sur laquelle je travaille. Quand je regarde la pierre brute, j’essaie de voir ce que je peux en tirer sans la dénaturer.

Vous avez appris de votre père – quelle est la meilleure leçon qu’il vous ait donnée?

Il m’a appris qu’il fallait respecter la forme naturelle de la pierre. Il me disait toujours “quand tu travailles sur une pierre, prend soin de ne pas détruire sa forme naturelle, essaie d’être en harmonie avec elle et de te laisser dicter par son aspect.” Pour moi, toute pierre brute est une sculpture en attente – il faut seulement la faire apparaître.

‘Eradication’ – comment ce projet a-t-il commencé?

C’est de la collaboration avec Dimitris de la Galerie de Ruwa et avec l’ONUSIDA que l’idée de cette commande a germé. Il fallait que ce soit une grande pierre, et il n’était guère facile de trouver la bonne. Les esquisses ont fait des allers-retours et j’ai fini par me mettre à la tâche. Et un beau jour, ils ont dit ok stop – c’est super! La sphère représente le globe terrestre. Je l’ai sculptée en creux comme si je nettoyais – et ceci représente les efforts déployés. La lutte contre le sida ne peut se faire en solo – elle n’incombe pas seulement à l’ONUSIDA mais aussi à grand nombre d’organisations et de pays. Elle nous incombe à tous..

Il nous faut purifier la terre, non seulement du VIH mais aussi du paludisme, de la tuberculose, du réchauffement climatique. Il s’agit dans la sculpture de débarrasser la terre, notre mère nourricière, de tout ce qui est mort et qui l’encombre et de la reconstruire. J’ai inclus trois sphères – l’une sur le côté et deux à l’arrière. Elles symbolisent les efforts concertés – non pas ceux d’une seule personne, ni d’une seule organisation mais de très nombreuses personnes. Celle au sommet est complète, elle émerge de la roche – c’est un monde nouveau qui en sort.

Que signifie la feuille au-dessus?

La feuille signifie la vie. Dans le monde, comme nous le savons, les arbres sont la vie et ceci est un symbole de la vie que nous essayons de préserver malgré toutes les difficultés que nous rencontrons, d’où le symbole de la feuille.

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Sometimes it might be difficult to explain to them
about HIV – about preventative methods, about
what young people should do. But with art we are
free to show that we should be able to protect
ourselves.
Parlez-nous de votre travail – comment avez-vous procédé?

Parfois le matin, en me réveillant, je regardais la pierre avant même qu’elle ne devienne sculpture, et j’essayais d’entrevoir ce qu’elle me suggérait. Le globe à l’avant se trouvait déjà dans la pierre, il ne me restait qu’à suivre son contour et l’évider. Nous venons de parler de la feuille – en fait, la forme naturelle se trouvait dans la pierre brute – si vous aviez vu la pierre brute, elle ressemblait à une feuille.

Il m’arrivait aussi d’être à court d’idées, et tout ce que j’arrivais à faire c’était de tourner autour de la pierre et de la regarder. Certains matins par contre, je me levais plein d’idées et me mettais tout de suite au travail. Je demandais aussi I’opinion d’autres personnes, d’autres artistes.

Quel effet espérez-vous que votre sculpture aura sur le public?

J’espère que les gens verront qu’il est nécessaire d’œuvrer de concert pour éradiquer les problèmes qui frappent notre mère nourricière, la Terre. J’espère qu’ils comprendront pourquoi le globe est aussi lisse – j’aurais pu le faire rugueux, hérissé, mais je voulais dire: “Oui c’est vrai, nous avons ces problèmes mais ce n’est pas pour autant la fin du monde. Nous pouvons encore nous y atteler et les surmonter.”
Dans mon pays, le Zimbabwe, et en Afrique en général, la stigmatisation est très présente, mais on agit pour la dissiper. J’espère que ma sculpture y contribuera et incitera d’autres organisations à s’impliquer dans des actions de lutte contre le VIH.

Traditionnellement, l’art au Zimbabwe tend à être figuratif – votre sculpture est plutôt abstraite, qu’en pensez-vous?

Il est vrai que par le passé je ne faisais pas beaucoup d’abstrait. Mais à présent, depuis ‘Eradication’, je suis prêt à en faire davantage. “Eradication” a été une bonne remise en question.

En tant qu’artiste, quel est votre rôle dans la riposte au sida?

Les artistes peuvent jouer un rôle de premier plan. Je peux naturellement sculpter quelque chose qui ait trait au sida et le montrer à mes compatriotes. Il est parfois difficile d’expliquer certaines choses concernant le VIH – les méthodes de prévention, les mesures que les jeunes doivent prendre. Mais avec l’art, nous sommes libres de montrer que nous devrions être capables de nous protéger.

Continuerez-vous à vous occuper de questions ayant trait au sida?

Certainement, surtout maintenant que j’ai fait ce projet.




Liens:

Ecouter l’entretien avec le sculpteur Mike Munyaradzi (en anglais)
Lire le reportage – Art africain contemporain et sida
Lire le reportage – Le Secrétaire général visite le nouveau bâtiment de l’ONUSIDA à Genève (en anglais)

Série en trois parties sur l'Art et le sida:
Partie 1: Art et sida: quand les mots ne suffisent pas
Partie 2: Art et sida: Paroles d’un sculpteur
Partie 3: L’Art source d’inspiration