Reportage

Une nouvelle génération de défenseurs des droits de l’homme et de la santé inspirée par le Dr Jonathan Mann.

10 décembre 2008

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Dr Peter Piot, Directeur exécutif de l’ONUSIDA , 24 Novembre 2008
Photo: ONUSIDA/M. Girardin

« Lui, nous l’avons perdu, mais nous n’avons pas perdu l’héritage qu’il nous a laissé » a déclaré le Juge Michael Kirby de la Haute Cour d’Australie, du Dr Jonathan Mann, cet épidémiologiste visionnaire, activiste et chercheur, qui a mis en évidence les liens inextricables entre les droits de l’homme et la santé publique.

En commémoration de sa disparition prématurée il y a dix ans, et pour célébrer l’héritage qu’il a laissé et le 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’ONUSIDA, l’OMS et le HCDH ont animé une rencontre sur le thème « Le VIH, la santé et les droits de l’homme : l’héritage de Jonathan Mann aujourd’hui » le 24 novembre 2008.

Cette commémoration a réuni pour un émouvant hommage les amis et anciens collègues du regretté Dr Mann ainsi que des professionnels du VIH, de la santé et des droits de l’homme.

Le Dr Peter Piot, Directeur exécutif de l’ONUSIDA, a parlé de l’influence capitale de Jonathan Mann dans l’élaboration de la riposte au sida à ses débuts. « Si quelqu’un d’autre avait été responsable du programme mondial de lutte contre le sida, il l’aurait créé avec d’autres idées, avec des idées dépassées en matière de santé publique, telles que la quarantaine et le dépistage obligatoire. La riposte au sida aurait été très différente et elle aurait été catastrophique », a dit le Dr Piot.

Voir le visage humain des personnes affectées et rassembler des ressources en leur nom

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Photo: ONUSIDA/M. Girardin

Le Dr Piot a expliqué que le Dr Mann avait mené la lutte en concevant le VIH comme étant plus qu’un virus, en voyant « immédiatement les implications sociétales et politiques » de la maladie. « Il était plutôt comme un joueur d’échecs dans sa manière de repérer et d’anticiper le prochain ‘coup’ du virus, aussi bien que les gens qui ne voulaient pas s’en occuper », a rappelé le Dr Piot.

Le Juge Michael Kirby, de la Haute Cour australienne, qui a été un conseiller du Dr Mann lorsque celui-ci était Directeur du programme mondial de lutte contre le sida, a prononcé une allocution liminaire éloquente. Le Juge Kirby a rappelé la conviction du Dr Mann lors de leur première réunion : « le sida, c’est aussi le problème des femmes… c’est le problème des femmes en raison de la perte de pouvoir qu’elles subissent».

Le Juge Kirby a parlé avec émotion du leadership plein d’inspiration du Dr Mann et il a encouragé le personnel des Nations Unies et les autres invités à poursuivre l’œuvre du Dr Mann avec la même imagination et le même courage. Il a aussi profité de cette occasion pour remercier le Directeur exécutif de l’ONUSIDA, le Dr Peter Piot, pour son propre leadership résolu et son soutien sans faille pour les droits de l’homme dans la riposte au VIH.

Un film sur Jonathan Mann, produit par The Face of AIDS et intitulé « Jonathan Mann : l’héritage laissé par un défenseur des droits de l’homme » a été projeté en avant-première lors de l’événement. Il comprend notamment des entretiens datant de la fin des années 80, dans lesquels le Dr Mann explique la manière unique qu’a le sida de dévoiler et tout à la fois d’exacerber les déséquilibres existants et les défis sociaux, rendant les droits de l’homme essentiels à toute riposte au VIH.

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Photo: ONUSIDA/M. Girardin

L’appel du Dr Mann à une meilleure compréhension des personnes qui sont affectées par la maladie a résonné tout au long de la discussion qui a suivi, illustrant l’actualité de son message.

Le Directeur du département VIH/sida de l’OMS, Kevin M. De Cock, a animé un panel composé d’anciens collègues, qui se sont remémorés l’homme qu’ils connaissaient et ont illustré son engagement de manière très vivante pour les 140 invités, qui représentaient différentes générations de la riposte au sida.

Le groupe a rappelé que le plaidoyer infatigable de Jonathan en faveur d’une riposte au VIH inclusive et comprenant les personnes vivant avec le VIH, les professionnel(le)s du sexe, les consommateurs de drogues injectables et les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes, avait contribué à un bouleversement sismique dans la manière dont les Nations Unies comme le monde avaient réagi au VIH.

Teguest Guerma, Directeur adjoint du département VIH/sida de l’OMS, se souvient : « Pour lui, la voix d’un(e) professionnel(le) du sexe et celle d’un président avaient le même poids ».

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Photo: ONUSIDA/M. Girardin

Daniel Tarantola, Professeur en droits de l’homme et de la santé à l’Université de la Nouvelle-Galles du Sud, en Australie, a rappelé la nature fondamentalement pratique du message de Jonathan : « Il était guidé par la véritable utilité pratique des droits de l’homme comme cadre de référence de la riposte au VIH ». Avec Sophia Gruskin, Directrice du Programme sur la santé internationale et les droits de l’homme de la Harvard School of Public Health, il a décrit l’incroyable leadership du Dr Mann, qui a réuni, pour la première fois, le VIH et le respect des droits de l’homme.

Il est manifeste que la passion du Dr Mann a également été une grande inspiration pour toute une nouvelle génération qui ne l’a pas connu. Korey Chisholm, jeune chercheur associé auprès de l’ONUSIDA, a déclaré que la façon simple et directe qu’avait le Dr Mann d’expliquer les droits de l’homme à tous, allait l’aider lorsqu’il retournera dans son pays, le Guyana, pour contribuer au développement des capacités au sein de réseaux de professionnel(le)s du sexe et d’hommes ayant des rapports avec des hommes. Chisholm a souligné combien cette approche allait permettre aux gens de comprendre leurs propres droits et de mieux se défendre.

La pertinence des droits de l’homme dans la santé et le VIH aujourd’hui

Jonathan Cohen, de l’Open Society Institute, a animé la discussion qui a suivi sur la pertinence, toujours d’actualité, des droits de l’homme dans la santé et le VIH, à la lumière de certains des problèmes actuels relatifs à ces droits.

Cohen a souligné que l’on retrouve la même urgence dans un message clé de Jonathan Mann délivré dans un article publié en 1988 sous le titre « Santé et droits de l’homme, si ce n’est pas maintenant, alors quand ? » et dans la Déclaration de 2007, signée par plus de 600 organisations, intitulée « Droits de l’homme et VIH/sida : Aujourd’hui plus que jamais ».

Mark Heyward, directeur du AIDS Law Project et vice-président du Conseil national sida d’Afrique du Sud, a appelé à une réorientation de la riposte au sida fondée sur la reconnaissance des droits de l’homme, et il a souligné la nécessité d’aller au-delà de la rhétorique.

Mettant au défi les personnes présentes de se souvenir des paroles du Dr Mann comme s’il était encore vivant aujourd’hui, Mme Gracia Violeta Ross Quiroga, du Réseau bolivien des personnes vivant avec le VIH/sida, a souligné que son message était aussi pertinent aujourd’hui qu’il l’était alors. Et d’ajouter : « Quand avons-nous perdu la passion qu’il apportait ? »

Mme Ross a elle aussi posé la question de savoir si la discussion sur le VIH ne serait pas différente si le Dr Mann était toujours vivant. Comme l’a fait observer le Dr Peter Piot : « Jonathan Mann voyait au-delà de l’état de santé pour voir l’être humain. Il voyait, au-delà du patient, une société malade ». La nécessité d’une telle vision subsiste aujourd’hui.

L’événement était coparrainé par le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Haut Commissariat aux droits de l’homme (HCDH), avec des invités appartenant au Secrétariat de l’ONUSIDA et à ses Coparrainants, au Fonds mondial, ainsi qu’à d’autres organisations et missions gouvernementales.