Reportage

De l'espoir à la réalité : mutation de la riposte au sida dans la région Asie Pacifique

10 août 2009

20090810_MS_official_200.jpgMichel Sidibé, Directeur exécutif de l'ONUSIDA

Chaque jour, plus de mille personnes sont infectées par le VIH en Asie. Si seulement nous avions investi dans des actions destinées aux populations plus exposées au risque d'infection ainsi qu'aux partenaires de ces personnes, la plupart de ces infections auraient pu être évitées, et cela pour un coût évalué à moins d'un demi-dollar par personne.

Nous commençons à constater des progrès dans certains pays de la région, mais ceux ci demeurent insuffisants pour enrayer le cours de l'épidémie.

La Commission sur le sida en Asie a recommandé que l'épidémie de sida dans la région soit redéfinie. Nous devons modifier la riposte au sida de manière à ce que les actions menées soient axées sur les personnes, en particulier les personnes marginalisées et celles qui n'ont pas les moyens de se faire entendre. Cela implique une protection des professionnel(le)s du sexe, des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, des personnes transsexuelles, des consommateurs de drogues injectables et des femmes.

Pour ce faire, il faut :

1. Dépénaliser les pratiques sexuelles entre adultes consentants et la consommation de drogues.
2. Aborder la question de la transmission du VIH entre partenaires intimes.
3. Investir dans des programmes de prévention, de traitement, de prise en charge et d'appui en matière de VIH, éclairés par des données probantes.
4. Adopter une approche « Sida plus Objectifs du Millénaire pour le développement ».

Dépénaliser les pratiques sexuelles entre adultes consentants et la consommation de drogues

De nombreux pays sont en train de modifier les lois qui criminalisent les pratiques sexuelles entre adultes consentants (y compris le commerce du sexe) et la consommation de drogues ; dans cette tâche, les juridictions aident à clarifier les lois néfastes en la matière. En Indonésie, la Cour suprême a décrété que les consommateurs de drogues avaient besoin d'être soignés et non emprisonnés. Au Népal, la plus haute juridiction a établi que les personnes transsexuelles et les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes sont égaux aux autres citoyens en vertu de la constitution. Par ailleurs, en Inde, la Haute Cour de Delhi a rendu leur dignité à des millions de personnes en interprétant d'une manière restrictive les dispositions d'une loi archaïque qui établit une discrimination à l'égard des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes. La Nouvelle-Zélande a légalisé le commerce du sexe, gagnant ainsi sur les deux fronts de la santé et de la sécurité publiques. L'Australie a démontré que les objectifs de maintien de l'ordre et de santé publique peuvent aller de pair, s'agissant de la manière d'aborder la consommation de drogues. Nous pouvons faire disparaître les lois et les politiques répressives qui entravent une riposte efficace au sida.

Cela dit, c'est dans le cœur et l'esprit des gens que la vraie mutation doit s'opérer. Les tribunaux et les parlements ne peuvent que contribuer à la création d'un environnement favorable. Les sociétés et les communautés doivent s'atteler à changer les normes sociales qui entraînent stigmatisation et discrimination.

En Inde, une femme enceinte s'est récemment vu accoler la mention séropositive sur le front par le personnel de l'hôpital à l'occasion d'un examen de routine. Le traitement inhumain de cette femme a déclenché des protestations de la part de la communauté locale et des défenseurs des droits de l'homme, ce qui a poussé le Gouvernement du Gujerat à ouvrir une enquête. C'est ce type de mobilisation communautaire dont nous avons besoin pour mettre un terme à de tels actes de discrimination.

Aborder la question de la transmission du VIH entre partenaires intimes

Les femmes subissent les conséquences de lois néfastes et d'une société fondée sur la discrimination. De nombreuses femmes en Asie sont infectées par le VIH parce que leur mari ou leur partenaire a contracté le virus en consommant de la drogue ou suite à des rapports sexuels avec un homme ou un(e) professionnel(le) du sexe. En Inde, un comportement monogame est le seul facteur de risque pour 90% des femmes vivant avec le VIH, selon les estimations.

En 2008, 35% des adultes vivant avec le VIH en Asie étaient des femmes, dont la plupart avaient une relation stable.

Investir dans des programmes de prévention, de traitement, de prise en charge et d'appui en matière de VIH, éclairés par des données probantes

Les programmes de prévention du VIH doivent être élargis et intensifiés. Les responsables politiques doivent s'assurer que les services existants liés au VIH sont étendus de manière à atteindre les plus vulnérables. Cela inclut la mise en œuvre de programmes d'échange d'aiguilles et de traitements de substitution par voie orale pour les consommateurs de drogues (des avancées considérables en ce sens ont été réalisées au Bangladesh, en Chine, en Malaisie, en Inde et au Vietnam), un accès accru aux médicaments antirétroviraux, la distribution de préservatifs et une offre de services de conseil et de dépistage du VIH pour les personnes plus exposées au risque d'infection. Il est encourageant de constater que les demandes pour de tels programmes auprès du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme ont considérablement augmenté ces dernières années. Cependant, nous avons besoin de 7,5 milliards de dollars en 2010 pour atteindre les objectifs nationaux et 10% de cette somme seulement était disponible en 2007. Nous devons donc investir avec discernement et de manière équitable, particulièrement en cette période de crise économique.

Adopter une approche « Sida plus Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD »

Contrairement à l'Afrique où l'épidémie de sida est susceptible d'anéantir les efforts de développement, la région Asie-Pacifique a la capacité de combiner développement et riposte au sida. La réduction de la pauvreté, l'éducation pour le plus grand nombre et les investissements dans le secteur de la santé doivent devenir les bases d'une croissance économique durable dans la région. C'est ce que j'appelle le mouvement « Sida plus OMD ».

J'ai lu récemment l'histoire de Nisha, une personne vivant avec le VIH au Népal. Son mari est décédé en 2004, à l'époque où l'accès aux traitements était inexistant. Aujourd'hui, Nisha est sous traitement antirétroviral. Elle reste en bonne santé, a repris son travail et prend soin de ses trois enfants. Sa famille a fini par accepter sa situation et ses enfants vont à l'école, où on leur apprend comment se protéger contre le VIH. L'accès aux traitements a donné à Nisha la possibilité de réaliser ses rêves, l'espoir est devenu réalité.