Reportage

Les professionnelles du sexe en première ligne de la riposte au sida en Inde

07 juillet 2011

Le directeur exécutif de l'ONUSIDA, Michel Sidibé, a écouté les expériences des travailleurs du sexe de Delhi Est lors de sa visite officielle en Inde le 6 juillet 2011.
Photo : ONUSIDA

Dans une zone suburbaine dense éloignée de Lutyen’s Delhi, dans une petite maison entourée d'une cacophonie d'immeubles en béton, une vingtaine de professionnelles du sexe se sont réunies pour partager leurs expériences sur la riposte au sida. « Que pensez-vous de nous ? », a demandé Mme Munni au directeur exécutif de l'ONUSIDA, Michel Sidibé, en visite dans la région. « Je pense que vous êtes comme moi, comme chacun d'entre nous », a-t-il répondu avant d'être gratifié des grands sourires des femmes, heureuses d'être considérées comme partie intégrante de la société.

M. Sidibé s'entretenait avec des professionnelles du sexe le 6 juillet, quelques semaines après l'adoption d'une déclaration politique historique sur le sida par les pays membres des Nations unies, dans laquelle ils ont pour la première fois reconnu que les stratégies de prévention ne prenaient pas correctement en charge les populations exposées à un risque accru—plus particulièrement, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, les consommateurs de drogues injectables et les professionnels du sexe. Une grande partie du commerce du sexe de Delhi Est ne se déroule pas dans des maisons closes organisées mais dans la rue et à domicile. Ce type de commerce du sexe n'est pas spécifique à Delhi ; il est pratique courante dans la plupart des villes et villages d'Inde, ce qui rend l'accès aux services de prévention et de traitement du VIH plus difficile pour les hommes et femmes proposant des rapports sexuels tarifés. 

Un programme de proximité pour soutenir les professionnelles du sexe

Sans structure d'appui, les professionnelles du sexe sont souvent confrontées à la violence de leurs clients. « Parfois, nos clients nous emmènent dans leur chambre et invitent d'autres amis. Nous sommes obligées d'avoir un rapport sexuel avec eux et de boire de l'alcool. Si nous résistons, ils nous battent », déclare Mme Reshma. Elle est professionnelle du sexe depuis trois ans et est aussi aujourd'hui éducatrice pour les pairs dans le cadre du programme de proximité sur le commerce du sexe dirigé par la SOSVA (Society for Service to Voluntary Agencies). Le rôle de Mme Reshma en tant qu'éducatrice pour les pairs consiste à apporter une éducation et des conseils en matière de santé ainsi que de promouvoir l'utilisation du préservatif et de faciliter la prise en charge médicale de ses pairs professionnelles du sexe. L'organisation propose des services de prévention et de traitement du VIH à près de 1 000 travailleurs du sexe.

J'ai dix-neuf ans et je viens de terminer l'école. Je vends des services sexuels car je dois m'occuper de mes trois jeunes soeurs. Mon poste dans un centre d'appels n'est pas suffisant

Mme Reenu, professionnelle du sexe à Delhi Est

L'utilisation du préservatif a augmenté dans le cadre du projet, et les taux d'infections sexuellement transmissibles ont chuté au cours de ces deux dernières années. « La plupart de nos clients demandent d'utiliser des préservatifs. Ceux qui ne veulent pas, nous les convainquons de le faire », a indiqué Mme Reshma. Qu'en est-il si les clients proposent plus d'argent pour un rapport sexuel sans préservatif ? « Nous ne pouvons pas risquer notre vie pour un millier de roupies [environ 20 dollars] de plus », a souligné Mme Munni.

Les professionnelles du sexe ont environ dix clients par semaine et font souvent appel à un réseau de proxénètes pour trouver leur clientèle. Ces proxénètes gardent environ 50-60 % du prix payé par le client. « Les professionnelles du sexe pensent qu'il est sûr de travailler chez moi car je peux protéger leur identité et également mettre à leur disposition un espace sûr pour qu'elles et les clients aient des rapports sexuels », a déclaré Mme Lali, une proxénète qui offre également des rapports sexuels tarifés en dehors de son domicile.

Vous êtes en première ligne de la riposte au sida et grâce à votre soutien, nous atteindrons notre objectif de zéro nouvelle infection au VIH, zéro discrimination et zéro décès lié au sida

Michel Sidibé, directeur exécutif de l'ONUSIDA

La plupart des professionnelles du sexe sont mariées et nombreux sont les partenaires qui ne savent pas qu'elles sont impliquées dans le commerce du sexe ou restent silencieux. « Je suis sûre qu'il le sait, mais pour garder l'harmonie au sein de la famille, il ne dit rien », a déclaré Mme Shahana. « J'ai dix-neuf ans et je viens de terminer l'école. Je vends des services sexuels car je dois m'occuper de mes trois jeunes soeurs. Mon poste dans un centre d'appels n'est pas suffisant », a indiqué Mme Reenu à M. Sidibé.

Changer la nature du commerce du sexe

La nature du commerce du sexe dans la région a vite évolué, notamment avec l'utilisation des téléphones portables par les femmes et les proxénètes pour vendre des services sexuels. « Il est devenu difficile de fournir des services de prévention et de traitement dans la mesure où nous ne pouvons plus identifier facilement les femmes », a expliqué Mme Nazish Musthafa, la directrice de programme du projet de proximité. « Même lorsque nous entrons en contact avec elles, nous les perdons ensuite car elles changent souvent de téléphone portable pour fuir le harcèlement et la violence d'anciens clients ».

La SOSVA (Society for Service to Voluntary Agencies) offre des services de prévention et de traitement du VIH à près de 1000 travailleurs du sexe.
Photo : SOSVA

L'autre tencance actuelle est l'entrée des écolières dans le commerce du sexe. La plupart des éducatrices pour les pairs de ce projet conseillent des filles, mais sont souvent impuissantes et ne parviennent pas à les empêcher de se faire exploiter. « Une nouvelle tendance est apparue, le commerce du sexe comme mode de vie », a déclaré M. Shalabh Mittal, qui travaille dans une agence qui apporte un soutien technique aux organisations participant à des programmes de lutte contre le sida dans l'État de Delhi. « De nombreuses jeunes femmes choisissent d'entrer dans le commerce du sexe et il est difficile de leur proposer des services de prévention contre le VIH ».

En félicitant la SOSVA et les professionnelles du sexe pour leur contribution à la riposte au sida, M. Sidibé a déclaré : « Vous avez rendu aux femmes leur dignité et leur respect. Vous êtes en première ligne de la riposte au sida et grâce à votre soutien, nous atteindrons notre objectif de zéro nouvelle infection au VIH, zéro discrimination et zéro décès lié au sida ».

Rôle de la société civile

Plus tard dans la journée, M. Sidibé s'est réuni avec les représentants de la société civile et de l'industrie pharmaceutique. Lors de la réunion avec les organisations de la société civile, celles-ci ont appelé au soutien de l'ONUSIDA pour s'assurer que le prochain programme national de lutte contre le sida soit factuel et inclue les besoins des communautés. Reconnaissant que le programme suivant déterminera l'évolution de l'épidémie en Inde, M. Sidibé a promis de fournir le soutien technique nécessaire et une défense de haut niveau.

L'avenir de l'industrie pharmaceutique

À l'occasion d'un forum interactif organisé par la Fédération indienne des chambres du commerce et de l'industrie (FICCI), des membres de l'industrie pharmaceutique, du gouvernement et de la société civile ont souligné le besoin de s'assurer que l'Inde reste un fournisseur fiable de médicaments génériques de qualité. M. Sidibé a appelé à l'innovation dans le développement de nouveaux médicaments. Il a insisté sur le fait que les besoins de traitement du VIH augmenteront au fur et à mesure que les personnes deviendront éligibles pour le traitement et choisiront d'utiliser des traitements préventifs.

Les politiques de l'Inde détermineront non seulement l'évolution de l'épidémie en Inde mais également en Afrique

Michel Sidibé, directeur exécutif de l'ONUSIDA

Faisant écho au paysage changeant de l'industrie pharmaceutique indienne, M. D.G. Shah, président de l'Indian Pharma Alliance et co-président du Comité FICCI Pharma, a déclaré : « Nous avons besoin d'une approche globale pour comprendre les menaces qui pèsent sur l'industrie pharmaceutique indienne, notamment les forces mondiales, les pressions politiques, les acquisitions des multinationales et la limitation à l'aveugle des exigences réglementaires des pays développés ». Il a appelé à un équilibrage des accords commerciaux et à un soutien technique pour aider les pays en développement à utiliser les flexibilités des ADPIC et négocier des accords de commerce équitable. « La plupart des pays en développement font face aux contraintes des cadres institutionnels pour mettre en application les politiques, par exemple, l'absence de directives opérationnelles sur la licence obligatoire d'exercice. Outre les accords de libre-échange, il existe de nombreuses autres barrières non tarifaires pour les médicaments génériques, comme les pressions pour l'adoption de directives ISE pour l'autorisation réglementaire des médicaments », a ajouté M. Shah.

« La Commission de la concurrence indienne va surveiller étroitement l'industrie pharmaceutique nationale et nous ne laisserons personne créer de domination et d'exclusivité sur les marchés indiens, notamment pour les produits pharmaceutiques », a déclaré Mme Renuka Jain Gupta, directrice de la Commission de la concurrence indienne.

Pour clore son voyage en Inde, M. Sidibé a déclaré : « L'inde est maintenant en position de jouer un rôle clé dans la riposte mondiale au sida. Les politiques de l'Inde détermineront non seulement l'évolution de l'épidémie en Inde mais également en Afrique ».