Reportage

Vers l'objectif de zéro décès dû au sida : les ADPIC et l'impact potentiel des accords de libre-échange

01 juin 2012

Lors de la Réunion de haut niveau de l'Assemblée générale des Nations Unies sur le sida à New York en juin 2011, les gouvernements du monde entier ont pris l'engagement ambitieux de faire bénéficier d'un traitement d'ici 2015 toutes les personnes concernées.
Photo : ONUSIDA/D.Walker

Pour Shiba Phurailatpam, militant anti-VIH de longue date et coordonnateur du Réseau Asie/Pacifique des personnes vivant avec le VIH/sida (APN+), l'importance d'un accès durable à des médicaments anti-sida abordables va au-delà des aspects commerciaux, juridiques ou logistiques : « il s'agit littéralement d'une question de vie ou de mort pour les personnes vivant avec le VIH », explique M. Phurailatpam. « Plus de 60 % des personnes ayant besoin d'un traitement anti-VIH en Asie-Pacifique n'y ont toujours pas accès. Dans le monde entier, des millions de personnes ont besoin d'accéder à un traitement anti-VIH dès maintenant pour rester en vie ».

Les médicaments antirétroviraux ont changé la façon dont le VIH est perçu : il est passé du statut de condamnation à mort à celui de maladie chronique. Ces progrès ont été possibles grâce à une hausse des dons et à une réduction drastique des coûts des protocoles antirétroviraux de première intention d'environ 10 000 US$ à moins de 100 US$ par personne et par an au cours des dix dernières années, notamment en raison de la disponibilité accrue des médicaments génériques à bas coût.

Au cours des dix dernières années, plus de 6,6 millions de personnes ont bénéficié d'un traitement antirétroviral dans les pays en développement.  Lors de la Réunion de haut niveau de l'Assemblée générale des Nations Unies sur le sida à New York en juin 2011, les gouvernements du monde entier ont pris l'engagement ambitieux de faire bénéficier d'un traitement d'ici 2015 toutes les personnes concernées, soit neuf millions de personnes supplémentaires vivant avec le VIH.

Toutefois, dans ce contexte, l'avenir à long terme des programmes de traitement anti-VIH reste préoccupant. Les pays doivent faire face à des difficultés croissantes pour la production ou l'approvisionnement de médicaments anti-VIH abordables, avec une baisse des fonds alloués à la lutte contre le sida et une prolifération de mesures de plus en plus restrictives sur les droits de propriété intellectuelle dans les accords commerciaux.

Rendre les médicaments antirétroviraux abordables : les flexibilités ADPIC

Des assouplissements en matière de propriété intellectuelle et de commerce à l'intérieur du système des droits de propriété intellectuelle ont été introduits dans l'Accord de l'Organisation mondiale du commerce sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC). Plus tard, la Déclaration de Doha sur l'Accord sur les ADPIC et la santé publique a réaffirmé ces flexibilités en donnant aux pays à revenu faible et intermédiaire des possibilités d'étendre l'accès à des produits pharmaceutiques de qualité garantie à bas coût.

Des données probantes émanant de pays comme le Brésil, l'Équateur, l'Inde, l'Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande montrent que l'utilisation des flexibilités ADPIC peut permettre de faire baisser considérablement le coût des traitements anti-VIH. L'Inde, par exemple, est devenue « la pharmacie des pays en développement », en produisant plus de 85 % des médicaments antirétroviraux de première génération utilisés pour traiter les personnes vivant avec le VIH dans les pays à revenu faible et intermédiaire.

Néanmoins, la plupart des pays doivent encore recourir, dans la plus grande mesure possible, aux flexibilités de l'Accord sur les ADPIC pour assurer un traitement abordable sur le long terme. Et l'impact potentiel de plusieurs négociations en cours ou prévues sur des accords de libre-échange dans le monde, en particulier celles qui concernent les pays de la région Asie-Pacifique, peut empêcher les pays de mettre en œuvre ces flexibilités.

Des difficultés croissantes : impact potentiel des accords de libre-échange

« Ces dernières années, nous constatons une montée de la pression sur les pays en développement pour l'adoption de clauses sur la propriété intellectuelle visant à limiter l'usage des flexibilités ADPIC qui ont permis jusqu'ici à des pays de restreindre la mise sous brevet de médicaments vitaux et de les produire ou les importer sous des formes génériques », explique Sarah Zaidi de la Coalition internationale de la préparation au traitement (ITPC).

Ces dernières années, nous constatons une montée de la pression sur les pays en développement pour l'adoption de clauses sur la propriété intellectuelle visant à limiter l'usage des flexibilités ADPIC qui ont permis jusqu'ici à des pays de restreindre la mise sous brevet de médicaments vitaux et de les produire ou les importer sous des formes génériques

Sarah Zaidi, de la Coalition internationale de la préparation au traitement (ITPC)

Connues sous le nom de « dispositions ADPIC-plus », ces mesures obligent les pays à adapter leurs lois pour assurer une protection de la propriété intellectuelle et une application beaucoup plus stricte que ce qui avait été convenu dans le cadre de l'Accord sur les ADPIC.

Les principaux instruments pour l'adoption de ces dispositions ADPIC-plus sont les accords de libre-échange. L'accord entre l'Union européenne et l'Inde, en cours de négociation depuis 2007, fait partie des accords surveillés avec le plus d'intérêt, étant donné la large part de médicaments génériques produits en Inde. D'autres pays de la région Asie-Pacifique sont aussi en cours de négociations ou prévoient de négocier des accords avec l'UE, l'AELE (Association européenne de libre-échange) ou les États-Unis (par l'intermédiaire de l'Accord de partenariat trans-pacifique). Il faut espérer que tous ces accords contiendront des dispositions en faveur du développement qui faciliteront l'accès au traitement au lieu de l'entraver. Dans le cas contraire, les militants craignent que les prix des médicaments n'augmentent considérablement, mettant les pays à revenu faible ou intermédiaire dans l'impossibilité d'assurer leur approvisionnement en médicaments.

Une nouvelle note thématique conjointe de l'ONUSIDA et du PNUD met en avant les impacts potentiels des accords de libre-échange sur la santé publique. La note thématique émet la conclusion suivante : « pour conserver les bénéfices des flexibilités ADPIC, les pays devraient au minimum éviter de conclure des accords de libre-échange qui contiennent des obligations pouvant avoir un impact sur le prix ou la disponibilité des produits pharmaceutiques ». Elle recommande en outre que si de tels engagements ont déjà été pris, des efforts doivent être faits pour atténuer l'impact négatif sur l'accès au traitement en ayant recours aux flexibilités liées à la santé publique encore disponibles.

En juillet 2011, lors d'une réunion avec le Directeur exécutif de l'ONUSIDA Michel Sidibé, le Ministre indien du Commerce Anand Sharma avait réaffirmé l'engagement du gouvernement indien pour garantir que des médicaments génériques de qualité soient disponibles en continu et pour tous les pays. « L'Inde utilisera également les flexibilités permises selon l'Accord sur les ADPIC, y compris le recours à la licence obligatoire, afin de garantir que les personnes vivant avec le VIH aient accès à tous les médicaments vitaux », avait-il ajouté.

Asie : les pays définissent de nouvelles lignes de conduite pour élargir l'accès au traitement contre le sida

Entre le 29 et le 31 mai, les bureaux régionaux Asie-Pacifique de l'ONUSIDA et du PNUD et APN+ ont réuni à Bangkok des représentants d'agences gouvernementales, des Nations Unies, de la société civile et des milieux universitaires de neuf pays de la région (Cambodge, Chine, Inde, Indonésie, Malaisie, Birmanie, Philippines, Thaïlande et Viet Nam) pour discuter de l'impact que les accords sur la propriété intellectuelle et le libre-échange peuvent avoir sur l'accès au traitement antirétroviral.

Les participants à cette consultation ont également adopté des mesures concrètes pour accélérer les actions dans leurs propres pays. Chaque délégation nationale a identifié les principaux domaines pour une action, une collaboration et un soutien conjoints et élaboré un plan détaillé pour intensifier l'action nationale conjointe et maximiser son impact.

Nous avons aujourd'hui une chance unique de faire diminuer à la fois les nouveaux cas de VIH et les décès dus au sida en proposant en temps opportun un traitement antirétroviral à tous ceux qui en ont besoin. Nous ne pouvons pas laisser les obstacles à l'accès à des médicaments abordables empêcher cela !

Shiba Phurailatpam, du Réseau Asie/Pacifique des personnes vivant avec le VIH

Dans la région Asie-Pacifique, 1,5 million de personnes ont besoin d'un traitement anti-VIH. Soulignant l'importance d'un nouvel élan pour atteindre les objectifs ambitieux à l'échelle régionale et mondiale, le Directeur régional de l'ONUSIDA Steven Kraus a déclaré : « les pays doivent utiliser tous les moyens dont ils disposent, y compris les flexibilités ADPIC, pour accroître les niveaux de traitement et atteindre les personnes qui en ont le plus besoin. Il existe des mouvements très positifs dans la région en faveur de l'élargissement de l'accès au traitement et en travaillant ensemble, entre secteurs, les meilleurs résultats sont possibles ».

« Les pays de cette région doivent considérer l'Accord sur les ADPIC d'un point de vue pro-développement », indique Clifton Cortez, Responsable des pratiques régionales pour le VIH, la santé et le développement au Centre régional Asie-Pacifique du PNUD. « Cette réunion reconnaît l'importance de mettre en contact les principaux acteurs nationaux et régionaux afin de poursuivre des objectifs communs », a-t-il ajouté.

Shiba Phurailatpam, du Réseau Asie/Pacifique des personnes vivant avec le VIH, va également dans ce sens : « Nous avons aujourd'hui une chance unique de faire diminuer à la fois les nouveaux cas de VIH et les décès dus au sida en proposant en temps opportun un traitement antirétroviral à tous ceux qui en ont besoin. Nous ne pouvons pas laisser les obstacles à l'accès à des médicaments abordables empêcher cela ! »