Reportage

Jamaïque : lutter contre la stigmatisation et la discrimination liées au VIH

19 novembre 2019

Rachel Allen (nous avons changé son nom) vit à Kingston en Jamaïque. Elle était en bonne voie d’accepter son statut sérologique positif et voulait reprendre sa vie lorsqu’elle a constaté avec effroi que la procédure de candidature à l’école de soins infirmiers où elle voulait étudier comportait un test du VIH.

Jane Williams et Paul Brown (nous avons changé leurs noms) s’aimaient et souhaitaient fonder une famille. Toutefois, des professionnel(le)s de santé ayant appris que Mme Williams avait le VIH lui ont fait comprendre leur désaccord. Un infirmier lui a même dit qu’elle ne devrait pas avoir d’enfants à cause de son statut. Une médecin l’a même traitée de « folle. »

Ce type d’expériences est encore monnaie courante chez les personnes vivant avec le VIH explique Jumoke Patrick, directeur exécutif du Jamaica Network of Seropositives. L’organisation a vu le jour en 2005 afin de permettre aux personnes vivant avec le virus de signaler toute violation de leurs droits. Aujourd’hui, le Jamaican Anti-Discrimination System (JADS) apporte un système officiel de signalement des incidents, ainsi qu’un dispositif de recours.

Pour M. Patrick, ce service est essentiel, car il offre un canal pour pointer du doigt les formes de stigmatisation et de discrimination. Il s’agit d’une première étape pour permettre aux personnes vivant avec le VIH d’accéder à des services, de vivre à 100 % et de mener une existence productive.

M. Patrick poursuit : « Les personnes séropositives n’utilisent pas les services proposés par peur de la stigmatisation et de la discrimination, ce qui explique le recul de l’accès à ces services. La stigmatisation et la discrimination sont l'explication numéro 1 de notre retard pour ce qui est d’amener les personnes vivant avec le VIH à suivre un traitement. J’ai en effet besoin de savoir que mon statut ne sera pas utilisé contre moi avant de le révéler. »

Les personnes confrontées à la stigmatisation et à la discrimination dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de l’emploi peuvent le signaler à un membre du JADS responsable des recours. Le contact se fait généralement par le biais d’un relais communautaire au sein de leur région administrative de santé, d’une autre organisation de la société civile ou du mécanisme de traitement des plaintes du ministère de la Santé. Les personnes à l’origine de la plainte remplissent un formulaire avant d’avoir un entretien avec l’un des quatre membres du JADS responsables des recours de leur district. Un comité se penche ensuite sur chaque cas et émet des recommandations concernant une enquête. Tout cela repose sur la médiation et la confidentialité. Certaines personnes retirent leur plainte, mais celles qui veulent aller jusqu’au bout disposent des services d’un avocat.

« Si vous souhaitez déposer un recours, vous devez porter plainte, mais cela ne signifie pas pour autant que vous n'avez pas droit à un accompagnement », explique Nadine Lawrence, l'une des membres du JADS responsables des recours. « Cela fait une grande différence lorsque vous reprenez la maîtrise sur votre destin. Vous êtes alors capable de vous réinsérer dans la société et de mener une existence positive. »

La plupart des dossiers concernent des comportements dans des situations de soin, la rupture du secret professionnel et le harcèlement au travail. Mme Lawrence a déjà aidé des personnes dont le statut sérologique avait été révélé à leur chef par leurs collègues. Pour d’autres, ce sont des professionnel(le)s de santé de leur communauté qui ont révélé leur séropositivité.

Que dirait-elle à quelqu’un qui a été victime d’une injustice, mais qui n’ose pas la signaler ? « Notre organisation existe afin de favoriser l’émancipation des personnes séropositives. Nous signons une charte de confidentialité. Faites confiance au système », déclare-t-elle. « Car il fonctionne. »

Cela a été le cas pour Mme Allen. Des membres du JADS responsables des recours ont contacté le ministère de la Santé pour remettre en question le test du VIH nécessaire pour intégrer l’école de soins infirmiers. Le service juridique du ministère est intervenu et a envoyé une lettre à l’établissement lui indiquant que cette pratique était illégale. La direction de l’école a fini par retirer ce point de son formulaire d’admission.  

Le système a également fonctionné pour Mme Williams et M. Brown qui ont reçu des excuses par écrit. Par ailleurs, leur plainte a été à l’origine d’un programme de formation destiné au personnel médical portant sur les droits de la santé de la reproduction et sexuelle des personnes vivant avec le VIH.

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