Reportage

Le commerce du sexe face à la COVID-19 en Tanzanie

25 août 2020

« C’est beaucoup trop difficile d’avoir des clients depuis l’arrivée de la COVID-19 », explique Teddy Francis John, travailleuse du sexe à Zanzibar. Depuis le début de l’épidémie, elle a plus de mal à gagner de l’argent pour couvrir ses besoins et ceux de ses deux enfants.

« La vie en générale est plus difficile et j’ai dû ouvrir un petit débit de boisson vendant un alcool local », continue-t-elle. Cette activité l’aide aussi à rencontrer de nouveaux clients qui viennent chez elle prendre un verre et qui sont moins regardants sur les mesures d’éloignement social.

Mme John habitait et travaillait autrefois dans la ville de Zanzibar, mais elle a décidé de déménager dans une zone plus rurale afin de gagner plus et d’éviter de payer un loyer. Ici, explique-t-elle, elle peut trouver plus facilement de nouveaux amateurs pour son alcool local.

Juste de l’autre côté du détroit, en Tanzanie continentale, Rehema Peter partage un destin similaire à Temeke, banlieue surpeuplée de Dar es-Salaam. Elle est travailleuse du sexe et conseille bénévolement des personnes vivant avec le VIH et des toxicomanes.

Ses clients étaient des habitués qui venaient chez elle ou elle se rendait chez ceux en qui elle avait confiance. Mais ils ne viennent plus depuis l’arrivée de la COVID-19.

« La vie est beaucoup plus dure à cause du coronavirus. Mon travail ne rapportait déjà pas beaucoup avant, mais la situation a empiré avec la COVID-19. En ce qui concerne mes partenaires [clients], ils ne viennent plus et ne m’appellent plus. Les rares d’entre eux qui venaient souvent, je les ai appelés, mais ils m’ont dit qu’ils n’avaient pas d’argent, car à cause de la COVID-19 certains ne vont plus travailler », déclare Mme Peter.

Quant à son travail de conseillère au sein de sa communauté, elle obtient moins d’heures, sa paie s’en ressent. Ancienne toxicomane, elle reçoit un peu d’aide du Tanzania Network for People who Use Drugs (TaNPUD). Ce réseau jouit du soutien de l’ONUSIDA pour distribuer des produits alimentaires et d’hygiène aux toxicomanes et aux personnes en cours de guérison.

« J’essaie de garder la tête froide et de trouver d’autres sources [de revenus]. Je suis à la recherche d’autres organisations pouvant m’aider d’une manière ou d’une autre. J’essaie aussi de fabriquer et de vendre du savon et de l’huile grâce aux connaissances apportées par le TaNPUD », raconte Mme Peter.

Continuité des services

Mme Peter et Mme John vivent toutes deux avec le VIH et suivent un traitement. Grâce aux efforts et au soutien de l’ONUSIDA et d’autres partenaires du gouvernement tanzanien, les services liés au VIH dans le pays ont a à peine souffert de la COVID-19. Ce que les deux femmes peuvent confirmer.

« En ce moment, il est plus difficile d’avoir accès aux services dans les établissements de santé publics, sauf si l’on va dans un hôpital privé où il faut avoir de l’argent en liquide. Néanmoins, je n’ai aucun problème pour obtenir des services liés au VIH, y compris mon traitement », poursuit Mme John.

Mme Peter sait qu’elle peut à présent recevoir des antirétroviraux pour trois mois, voire pour six mois maximum, car le personnel médical veut éviter d’avoir trop de monde dans les établissements de santé. Cette mesure permet aux deux femmes de suivre leur traitement.

Augmentation de la stigmatisation

Depuis l’arrivée de la COVID-19, Mme Peter et Mme John ressentent une augmentation de la stigmatisation et de l’exclusion sociale dont elles sont victimes en tant que travailleuses du sexe et femmes séropositives.

« J’entends des réflexions de la part de certaines personnes qui savent que j’ai le VIH. Elles me disent : « Prépare-toi à mourir. Les gens comme toi ne guérissent jamais. Tu dois de préparer pour ton dernier voyage » », raconte Mme Peter. Elle est la cible de discriminations au sein de sa communauté, mais elle peut compter sur sa famille.

Les ragots et les moqueries motivés par la profession de Mme John se multiplient aussi à l’encontre de cette dernière.

« Des personnes vivant dans les communautés autour de moi ont commencé à se moquer de moi et d’autres. Elles se sont mises à commérer sur la manière dont j’allais gagner ma vie maintenant que je n’ai plus de clients à cause de l’épidémie de COVID-19 », raconte Mme John.

Même si l’épidémie de COVID-19 est officiellement terminée en Tanzanie et malgré leurs efforts sans relâche pour trouver d’autres sources de revenus, les deux femmes ont toujours du mal à gagner leur vie à cause des règles d’éloignement social encore en vigueur.

« [C’]est très compliqué de fournir ce service et cela nous a fragilisées économiquement. Je sais que la COVID-19 touche le monde entier, mais les travailleuses et travailleurs du sexe la ressentent de plein fouet à cause de la nature même de nos services : la proximité est indispensable », conclut Mme John.