Reportage

Le quotidien de deux cliniques en Jamaïque pendant la COVID-19

03 novembre 2020

Une femme séropositive se rend au Centre for HIV Research and Education Services (CHARES) à Kingston en Jamaïque. D’habitude, elle reçoit des antirétroviraux pour trois mois, mais pas cette fois-ci. La médecin lui explique que, depuis avril, les pharmacies d’État délivrent des médicaments uniquement pour un mois de traitement.

À une vingtaine de minutes de là en voiture, à la Comprehensive Health Clinic, un homme attend que son nom soit appelé. Il n’utilise pas l'un des bancs en bois réservés aux patients venant consulter pour des questions de santé sexuelle. Il s’assoit un peu plus loin sur un siège et écoute attentivement.

Les prestataires de services du VIH en Jamaïque luttent cette année sur deux fronts : répondre aux nouveaux défis apportés par la COVID-19 et gérer les difficultés chroniques pour assurer leur mission. La directrice pays de l’ONUSIDA, Manoela Manova, souhaitait se faire une meilleure idée des problèmes sur le terrain. Elle a décidé de se rendre sur ces deux sites afin de parler avec tout le monde, depuis l'équipe d'observation du traitement jusqu’aux médecins.

Hébergé dans le University Hospital of the West Indies, le CHARES est un établissement modèle pour le traitement du VIH en Jamaïque. L’année dernière, sur l’île, 79 % des personnes suivant un traitement avaient une charge virale indétectable. Au CHARES, la proportion est encore plus élevée avec 9 patient-es sur 10, dont la charge virale indétectable leur permet de vivre en bonne santé sans contaminer personne.

La COVID-19 a toutefois aussi mis des bâtons dans les roues de ce programme bien établi.

Les capacités dans les laboratoires ont été redirigées en faveur du coronavirus, par conséquent la réception des résultats des tests de la charge virale a pris du retard.

Le CHARES délivrait habituellement des ordonnances pour trois mois à ses patient-es stabilisé-es, mais depuis l’arrivée de la COVID-19, les pharmacies gérées par l’État ne fournissent des médicaments que pour un mois. Cela fait partie de la stratégie du gouvernement pour prévenir les ruptures de stock, car la chaîne d’approvisionnement connaît actuellement des difficultés. Toutefois, pour les personnes sous traitement, cela signifie qu’elles doivent sortir plus souvent pour obtenir leurs médicaments. En réponse, le CHARES a commencé à faire des livraisons à domicile, en particulier pour les personnes âgées qui sont moins enclines à sortir de chez elles à cause du risque présenté par le nouveau coronavirus. 

Par ailleurs, les mesures d’endiguement de la COVID-19 ont augmenté les besoins en assistance psychosociale. La perte de revenus, la fermeture des écoles et les couvre-feux sont des fardeaux supplémentaires auxquels sont confrontés des milliers de foyers jamaïcains, y compris des personnes vivant avec le VIH. Néanmoins, même lorsque des patient-es sont renvoyé-es vers une assistance psychiatrique à l’hôpital central, rares sont celles et ceux à y aller par peur de la discrimination. Et ce n’est pas tout. Depuis que l’hôpital hébergeant le CHARES est devenu un centre de traitement de la COVID-19, certaines personnes ont décidé de ne plus venir.

« Nous avons besoin d’observer et d’évaluer de plus près les difficultés liées à la gestion des patient-es à l’heure actuelle en vue de trouver des solutions », déclare la responsable du programme CHARES, Racquel Brown. « Dans l’idéal, nous aimerions employer quelqu’un pour analyser les données des patient-es afin de prendre de meilleures décisions stratégiques concernant la prise en charge et le traitement. »  

Le Comprehensive Health Centre apporte ses services à de nombreuses personnes vivant avec le VIH ou touchées par d’autres infections sexuellement transmissibles. Ici aussi, il n’est plus possible de fournir un traitement pour plusieurs mois depuis l’arrivée de la COVID-19. Nombre de patient-es demandent une aide alimentaire au cours de cette période. Certain-es avaient leurs antirétroviraux, mais pas de nourriture pour les prendre.  

Mais d’autres problèmes existaient déjà avant la COVID-19. Deux patient-es sur cinq ne viennent pas au rendez-vous de suivi. Certain-es fournissent une mauvaise adresse aux prestataires de services. Et le taux de suppression de la charge virale de la clinique stagne à 70 %, en deçà de la moyenne nationale. Certain-es arrêtent leur traitement contre l’avis de leur médecin.

Mme Manova explique que de nombreuses difficultés rencontrées par les deux établissements sont liées à l’autostigmatisation et à la discrimination, les deux grands défis de la riposte au VIH en Jamaïque. Dans tout le pays, 43 % à peine de toutes les personnes vivant avec le VIH suivaient un traitement en 2019 malgré une couverture plutôt bonne du dépistage.

« La honte, la peur et les préjugés sapent nos efforts, aussi bien avant que pendant l’épidémie de COVID-19 », remarque Mme Manova. « Pour apporter une riposte de santé publique efficace, nous devons bien réfléchir et faire preuve de cohérence afin d’instaurer la confiance auprès des communautés et combattre toute forme de stigmatisation et de discrimination qui empêchent des personnes d’accéder aux soins. »

« Passer du temps avec ces prestataires de soin a été une expérience inspirante et qui m’a donné beaucoup à réfléchir », continue Mme Manova. « La Jamaïque considère à juste titre que le personnel communautaire de santé est essentiel. Ce personnel au sein des communautés comprend des intermédiaires, des équipes de travail social, des conseillers et conseillères pour l'observation du traitement et des responsables de dossiers. Il est tout aussi important que les médecins et le personnel infirmier. Leurs efforts sont essentiels à l’heure actuelle pour répondre aux besoins et aux émotions qui pourraient avoir des répercussions sur le suivi du traitement. »

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