Reportage

Enseignements tirés du projet PPrE Ashodaya en Inde

07 octobre 2020

Le projet pilote Ashodaya sur la prophylaxie pré-exposition (PPrE) à destination des professionnelles du sexe dans le sud de l’Inde a montré comment renforcer les programmes de PPrE et de prévention du VIH, mais aussi la manière d’accélérer leur mise en œuvre à l’issue de la phase pilote.

Même s’il a été prouvé que la protection offerte par la PPrE frôle les 100 % lorsque le traitement est pris correctement, la mise en place de programmes correspondants efficaces reste difficile. Les efforts de prévention du VIH auprès des professionnel-les du sexe mettent généralement l’accent sur l’utilisation du préservatif. Toutefois, si de nombreuses stratégies contribuent au recul des nouvelles infections dans la région Asie-Pacifique, cette population continue d’être surreprésentée au niveau des contaminations. En 2019, 9 % des 300 000 nouvelles infections au VIH estimées pour la région Asie-Pacifique concernaient des professionnel-les du sexe et, à l’échelle mondiale, leur risque relatif d’infection est 30 fois supérieur au reste de la population.

La PPrE figure depuis relativement peu de temps sur la liste des options de prévention du VIH disponibles. Cette solution consiste en la prise d’antirétroviraux par une personne séronégative avant une exposition éventuelle au VIH. Même si l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) la recommande depuis 2015 à toute personne exposée à un risque non négligeable de contamination, la PPrE reste inaccessible à la plus grande partie des populations clés, notamment aux professionnel-les du sexe et à leurs partenaires en Asie et dans la région Pacifique. Le recours à la PPrE chez les femmes, en particulier chez les professionnelles du sexe, en Asie-Pacifique est très peu documenté.

Le projet pilote Ashodaya PPrE est l'un des deux programmes menés et gérés par des communautés qui avaient pour objectif de fournir la PPrE à des professionnelles du sexe. Il a bénéficié du soutien de la Bill & Melinda Gates Foundation (l’autre projet était dirigé par le Durbar Mahila Samanwaya Committee Kolkata). Les professionnel-les du sexe en Inde s’inquiètent du fait que leur communauté reste touchée par les nouvelles contaminations au VIH malgré l’usage répandu du préservatif.

« Notre projet montre que la distribution de la PPrE par les communautés peut être intégrée efficacement aux services existants de prévention et de soins du VIH destinés aux professionnel-les du sexe. Cela favorise la rétention et le suivi du traitement. Les décisionnaires doivent nous consulter, nous écouter et nous faire confiance, car nous savons ce qui fonctionne pour nous et comment y parvenir. Nous avons le devoir de rendre la PPrE disponible d’une manière sécurisée et pérenne en tant qu’outil de prévention supplémentaire et nous nous engageons en ce sens », a déclaré Bhagya Lakshmi, secrétaire d’Ashodaya Samithi.

Le projet pilote sur la PPrE s’est déroulé entre avril 2016 et janvier 2018 et a enregistré de bons résultats au cours de cette période. La prise de PPrE a été très bien suivie : 99 % des 647 participantes prenaient encore leur traitement à l’issue des 16 mois. La protection de ces femmes dépend de la prise quotidienne de PPrE. Alors que le suivi n’affichait que 70 % au troisième mois, il est passé à 90 % au sixième mois et à 98 % à la fin du projet. Les participantes évaluaient elles-mêmes leur adhésion au traitement et un contrôle sanguin sporadique a servi à la vérifier au troisième et au sixième mois.

Ce projet a non seulement permis de dissiper certaines peurs répandues sur la PPrE, mais il a également été bénéfique en réduisant certaines lacunes de la prévention. L’usage du préservatif est resté constant, malgré la crainte de le voir reculer. Son utilisation était élevée avec les clients occasionnels, soit dans 98 % des cas environ, mais plus basse avec les clients réguliers (entre 87 et 96 %) et les partenaires réguliers (63 %). Aucune augmentation des infections sexuellement transmissibles symptomatiques ni aucun cas de contamination au VIH n’a été constaté à l’issue du projet.

Plusieurs facteurs ont contribué au succès du projet Ashodaya PrEP, en particulier :

  • l’intégration totale de la PPrE au sein d’une gamme existante de services de santé, d'actions de proximité et de la mobilisation de la communauté. Cette stratégie est partie du principe que la PPrE n’est pas uniquement un médicament ou un service indépendant, mais qu’elle fait partie d’un panel de solutions de prévention et de santé, comprenant les services de santé sexuelle et reproductive.
  • Les communautés montrent la voie : planification, mise en œuvre et surveillance. 
  • Préparer la communauté et garantir son implication sur la durée. Une phase de préparation en profondeur de la communauté et un engagement sur la durée ont permis aux travailleuses du sexe de prendre des décisions fondées avant de participer au projet.
  • S’adresser dès le début aux groupes exclus. Sachant que de nombreux membres de la communauté n’allaient pas avoir accès au projet, la communauté a indiqué très tôt que tous les membres ne seraient pas éligibles à participer au projet pilote sur la PPrE à cause du nombre limité de places et des modalités.
  • Mettre l’accent sur l’adhésion au long terme plutôt que sur le suivi à la lettre du traitement. Puiser dans le réseau de membres d’Ashodaya sur le terrain a permis de personnaliser les stratégies d’aide au respect du traitement afin de répondre au mieux aux besoins des utilisatrices de la PPrE. Il s’agissait aussi bien de renforcer l’aide apportée lorsqu’une baisse du suivi du traitement était observée que de renvoyer vers la gamme complète de services sociaux et de santé offerts par Ashodaya, en plus de la PPrE.

« Nous n’arriverons pas à juguler les nouvelles infections au VIH en Asie et dans le Pacifique si nous ne changeons pas notre façon de faire », déclare Eamonn Murphy, directeur de l’équipe de l’ONUSIDA d’appui aux régions pour l’Asie et le Pacifique. « La PPrE satisfait un besoin inassouvi et élargit les options de prévention disponibles pour les personnes confrontées à un risque élevé de VIH. Nous devons faire connaître la PPrE en tant que nouvel outil efficace de prévention du VIH. Les prémisses du projet pilote Ashodaya PrEP sont un modèle non seulement pour l’Inde, mais pour toute la région. Les leçons tirées de ce projet sont essentielles pour fournir des informations afin de faire avancer la feuille de route de la prévention. »

La communauté a élaboré, planifié, mis en œuvre et assuré le suivi du projet Ashodaya PrEP. Ce dernier a pris fin en 2018 et une analyse des résultats a été réalisée avec le soutien de l’ONUSIDA en Inde et de l’OMS. Depuis lors, Ashodaya a formé un groupe de membres de la communauté afin de militer en faveur de la PPrE en partenariat avec All India Network of Sex Workers et avec le soutien d’AVAC. Ashodaya, avec le soutien de l’ONUSIDA, de l’OMS, du Durbar Mahila Samanwaya Committee et du All India Network of Sex Workers, poursuit également son action en faveur de la PPrE avec l’Indian National AIDS Control Organization (NACO). Ashodaya cherche également d’autres moyens de franchise sociale et de commercialisation par les communautés de la PPrE afin de démocratiser son accès. La NACO a rédigé un avant-projet réglementaire et de directives relatif à la PPrE au niveau national. La communauté attend avec impatience la reprise des services de PPrE.