Reportage

République Centrafricaine : produire les estimations du VIH dans un contexte de crise sécuritaire

28 janvier 2021

Les élections présidentielles et législatives du 27 décembre 2020 en République Centrafricaine devaient marquer la consolidation des acquis démocratiques, et des efforts de relèvement économiques et sociaux d’un pays confronté à des décennies de conflits et de défis humanitaires.  Toutefois, ce processus électoral a conduit à une grave crise politique et militaire, avec la résurgence du conflit à travers le pays et un blocus par les groupes armés des principales routes commerciales et d’approvisionnement vers ce pays enclavé d’Afrique Centrale.

C’est dans ce contexte de crise majeure, et au lendemain d’affrontements sanglants entre groupes rebelles et forces gouvernementales dans la périphérie de la capitale, Bangui, que le bureau pays de l’ONUSIDA en Centrafrique a organisé un atelier sur les estimations du VIH du 18 au 22 janvier. Cet important exercice annuel est mené par l’ONUSIDA avec les autorités nationales dans toutes des régions du monde pour doter les pays et les acteurs de la lutte contre le SIDA de données essentielles sur la pandémie et la réponse.

Marie Charlotte Banthas, Directrice de la Lutte contre la Maladie au Ministère de la Santé Publique, supervise les programmes de traitement du VIH et de la tuberculose en Centrafrique. Au cours des trois dernières années, ses services ont été en première ligne des efforts pour accélérer l’accès à la thérapie antirétrovirale qui est passée d’environ 25 000 personnes sous traitement antirétroviral en 2016 à plus de 48 000 en juin 2020. Ancienne responsable du suivi et évaluation au Ministère de la Santé, Dr Banthas considère l’atelier sur les estimations VIH comme une priorité en dépit du contexte sécuritaire particulièrement dégradé. « Il n’y a pas de réponse efficace au VIH sans données. Nous devons tenir cet atelier pour permettre au pays de disposer des données fiables afin de mieux orienter nos efforts et améliorer la prise en charge de nos patients » a-t-elle noté.

Pour la société civile également, les estimations sur le VIH sont un exercice primordial. Bertille Zemangui est la Présidente du Réseau National des Filles Libres (RENAFILS), une organisation de travailleuses du sexe représentant les populations clés. Pour participer à l’atelier, Mme Zemangui a dû chaque jour parcourir de longues distances traversant les zones sensibles de la capitale. L’augmentation du coût des transports en commun à cause de la crise actuelle n’a pas suffi à décourager Mme Zemangui et les autres participants à l’atelier. « La situation actuelle est difficile. Tout est devenu cher : le transport, la nourriture. Mais, on doit être là pour faire entendre notre voix car ce sont les travailleuses du sexe et les autres populations clés qui sont les plus affectées par le VIH en Centrafrique » a-t-elle déclaré. Selon les données d’une enquête de 2019, la prévalence du VIH est de 15% chez les travailleuses du sexe et de 6,5% chez les homosexuels et les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes, contre 3,5% dans la population générale.

Pour des raisons de sécurité, l’atelier sur les estimations a été déplacé dans les bureaux de l’ONUSIDA et la participation a été réduite aux experts nationaux et internationaux, et aux acteurs de la société civile. « Cet atelier nous a donné une idée plus précise de l’ampleur et de la trajectoire de l’épidémie en 2021. Tout ceci nous aidera à mesurer nos progrès vers l’atteinte des objectifs 95-95-95,» a déclaré Dr Marcel Massanga, Coordinateur National Adjoint du Comité national de lutte contre le SIDA. L’atelier a également servi à identifier des approches pour améliorer la qualité et la complétude des données sur le VIH en Centrafrique. Ainsi les participants sont convenus de la nécessité d’intégrer les données du VIH dans la plateforme du Système d’Information Sanitaire par District 2 (DHIS2) en vue du renforcement du système de santé.

Les acteurs de la réponse au VIH s’inquiètent de la volatilité de la situation sécuritaire qui risque de compromettre les efforts accomplis par la République Centrafricaine pour accélérer sa réponse. En 2020, le pays a lancé un ambitieux Plan Stratégique National de Lutte contre le VIH 2021-2025 qui vise à éliminer la discrimination, réduire de moitié les nouvelles infections à VIH et mettre 95% des personnes vivant avec le VIH sous ARV d’ici à 2025. « Il ne sera pas possible d’atteindre ces ambitieux objectifs sans la paix et la stabilité ». « Déjà, nous avons des informations indiquant que dans plusieurs zones, les personnes vivant avec le VIH ont fui dans la brousse et sont sans traitement. Nous devons rapidement mettre en œuvre des plans de contingence pour répondre à ces urgences », a interpellé Patrick Eba, Directeur pays de l’ONUSIDA en Centrafrique.