Reportage

Ils ne me jugent pas, alors pourquoi je les jugerais ?

28 février 2019

« J’ai de la chance », déclare Charles Somé. Ce défenseur des droits de l’homme hyperactif originaire du Burkina Faso se souvient d’être allé à une session de formation et avoir blâmé quelques hommes présents à propos de leur orientation sexuelle. « J’avais des préjugés et je leur ai demandé « Vous ne voulez donc pas vous marier, avoir des enfants» ? », raconte-t-il. Un jeune homme s’ouvre alors à lui et, au bout de plusieurs jours de franche discussion, M. Somé voit son opinion changer radicalement.

« J’ai réalisé que si je n’étais pas jugé, je n’avais pas à juger les autres », explique M. Somé, responsable du plaidoyer à REVS PLUS/Coalition PLUS. Depuis, lorsqu’il s’exprime pour défendre les hommes gays et les autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, il utilise le mot « nous ».

L’homosexualité n’est pas illégale au Burkina Faso, mais la stigmatisation et la discrimination restent très fortes. Beaucoup d’hommes se marient et cachent leur double vie. Des groupes de soutien aux personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres se sont formés, mais la discrétion reste fondamentale.

« Je suis obligé de me cacher car je ne suis pas accepté », explique Rachid Hilaire (son nom a été changé). Il a rejoint un groupe de parole informel dans sa ville natale, Bobo-Dioulasso, au sein duquel des jeunes hommes parlent ensemble de relations, de sexe, du VIH et d’autres sujets. « J’ai eu beaucoup de doutes sur moi-même, mais lorsque j’ai eu davantage confiance en moi, je me suis dit que je pouvais aider les autres », explique-t-il. À l’extérieur de la salle de réunion de REVS PLUS, il plaisante avec M. Somé en lui disant qu’il garde un œil sur lui. M. Hilaire est l’un des 50 pairs-éducateurs de REVS PLUS qui animent des discussions informelles comme celle à laquelle il a assisté, conçues pour les hommes gays et les autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes. Après sa formation, avec un autre pair-éducateur, il s’est mis à organiser des dialogues ouverts avec les hommes.

Selon M. Hilaire, le plus gros défi reste d’éduquer le grand public, ainsi que les responsables politiques et religieux. « J’en veux à nos aînés pour leur manque de sensibilisation », explique-t-il. « Tout le monde mérite d’être libre et j’ai envie d’avoir cette sensation de liberté », ajoute-t-il. 

Yacuba Kientega (son nom a été changé) a fui son foyer à Bobo-Dioulasso pour aller s’installer à Ouagadougou quand sa famille a découvert qu’il avait des relations avec des hommes. « Je suis finalement revenu pour suivre mes études à Bobo-Dioulasso, mais j’habite dans un autre quartier », explique-t-il. D’après lui, la situation s’est améliorée pour les hommes gays, mais il ne va pas abandonner la lutte pour autant.

En tant que lobbyiste pour un réseau regroupant plusieurs organisations de lutte contre le VIH, le combat de M. Somé pour les droits des individus ne s’arrête jamais.

« Je fais de mon mieux pour que les communautés sous-représentées soient entendues par le gouvernement et les parlementaires », explique-t-il. Il estime que les groupes de soutien et l’éducation par les pairs ont permis d’atteindre les populations clés, comme les consommateurs de drogues injectables, les hommes gays et les autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les professionnel(le)s du sexe. « Nous avons observé une hausse de la fréquentation des services de santé en ciblant certaines communautés et j’espère que cette tendance se maintiendra », déclare M. Somé. « Pour en finir avec le sida, il va falloir s’attaquer vraiment à la stigmatisation et insister sur la prévention », ajoute-t-il.

Le Directeur national de l’ONUSIDA au Burkina Faso, Job Sagbohan, ne peut qu’approuver. « La riposte au VIH doit suivre l’évolution de l’épidémie », déclare-t-il. « À une époque, il a fallu sauver des vies et nous avons réussi en nous concentrant sur le traitement pour tous », explique-t-il. « Pour en finir avec le VIH comme menace de santé publique, nous devons cibler la prévention et la sensibilisation. C’est la seule façon de maintenir notre progression et d’en finir avec le sida ».