Reportage
Malawi : n'oublions pas d’où nous venons pour continuer à progresser
05 juin 2019
05 juin 201905 juin 2019Dan Namarika, Secrétaire à la Santé au Malawi et diplômé de la faculté de médecine en 1999, figur
Dan Namarika, Secrétaire à la Santé au Malawi et diplômé de la faculté de médecine en 1999, figure parmi les premiers étudiants à avoir suivi la totalité de sa formation médicale au Malawi. Sa volonté d’agir contre le sida l'a poussé à entamer une longue carrière de médecin. Il est notamment resté quatre ans au service personnel du défunt Président Bingu wa Mutharika.
« C’est à cause du sida que j’ai choisi la médecine. Je n'arrivais pas à croire qu’il n'existait aucun traitement pour une telle maladie. Je me souviens du premier cas dans mon quartier. Une femme qui avait succombé à une maladie chronique aggravée par le sida. Certains membres de ma famille en sont morts aussi. Le sida jalonne ma longue histoire », dit-il.
Depuis le pic de l’épidémie du VIH à laquelle fait référence M. Namarika, marqué par 110 000 nouvelles infections (en 1993 et 1994) et 65 000 décès dus aux maladies liées au sida (en 2004 et 2005), le Malawi a réalisé des progrès considérables dans sa lutte contre le VIH.
Ces progrès découlent de l’introduction d’innovations comme la méthode de dépistage « Test and Start » mise en place en 2016, qui propose un traitement immédiat contre le VIH à toutes les personnes vivant avec le VIH, ainsi que Option B+, lancée en 2011. Cette stratégie de prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant vise à s'assurer que toutes les femmes enceintes vivant avec le VIH aient accès à vie au traitement contre le VIH.
Ainsi, les nouvelles infections au VIH au Malawi ont chuté de 40 %, passant de 64 000 en 2010 à 39 000 en 2017. Le nombre de décès liés au sida a lui diminué de moitié, passant de 34 000 en 2010 à 17 000 en 2017. L’espérance de vie continue d’augmenter, passant de seulement 46 ans en 2004 à 64 ans en 2018. Selon les estimations, elle pourrait même atteindre 74 ans d'ici 2030.
En 2017, 92 % des femmes enceintes vivant avec le VIH au Malawi avaient accès aux services de prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant. Cette situation a permis de réduire le nombre de nouvelles infections au VIH chez les enfants (0-14 ans), jusqu'à atteindre un record historiquement bas de 4 900 infections en 2017.
M. Namarika attribue ces réussites en grande partie à la lutte multisectorielle contre le VIH, ainsi qu’à l’engagement politique et à la volonté des responsables au plus haut niveau. « Outre les politiques élaborées au plus haut niveau du gouvernement, d’autres ministères que celui de la Santé se sont également impliqués, dont les ministères du Budget, de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de l’Éducation et les collectivités territoriales. Nous avons pu compter sur la société civile, les communautés religieuses, les responsables culturels et l’assistance technique des partenaires de développement tels que l’ONUSIDA », explique-t-il.
Il salue aussi les innovations programmatiques, telles que le transfert de certaines tâches des médecins au personnel infirmier et au personnel soignant de proximité. Cet aspect a permis de proposer le service de dépistage et de traitement du VIH à davantage de personnes.
Le Plan stratégique national de lutte contre le VIH/sida 2015-2020 place l’objectif 90-90-90 au cœur de sa mission et se fixe pour objectif ultime de mettre fin au sida au Malawi d’ici 2030. Le Malawi enregistre de nets progrès au niveau du nombre de personnes vivant avec le VIH diagnostiquées (90 %) et du nombre de personnes vivant avec le VIH qui suivent un traitement contre la maladie (71 %). Toutefois, il reste beaucoup à faire pour rendre indétectable la charge virale de davantage de personnes vivant avec le VIH (61 %). Le Malawi risque donc de ne pas atteindre ses objectifs dans les 500 prochains jours.
M. Namarika affirme que le principal obstacle aux progrès du Malawi pour atteindre ces objectifs est dû à l'isolement de certaines personnes. Celui-ci découle des disparités socioéconomiques et structurelles liées à des relations de pouvoir, comme la pauvreté, le chômage et les inégalités entre les femmes et les hommes. Il souhaite également adopter une approche prenant en considération le rapport entre la zone géographique et la population, afin de traiter les situations de vulnérabilité exacerbées par les migrations et les catastrophes naturelles, telles que les épisodes de sécheresse et les inondations auxquels est confrontée la population au sud-est du pays.
Le taux élevé de nouvelles infections au VIH chez les adolescentes et les jeunes femmes âgées de 15 à 24 ans constitue un autre défi dans la lutte contre le sida à l’échelle nationale. On a enregistré 9 500 nouvelles infections en 2017, soit plus du double par rapport aux hommes de la même tranche d’âge (4 000).
« La plupart des jeunes ne parviennent pas à boucler leurs fins de mois. Cette situation est très risquée pour les jeunes filles, car des hommes plus âgés peuvent aisément bafouer leurs droits. Les jeunes hommes doivent également changer de comportement en matière de santé », ajoute M. Namarika.
Toutefois, M. Namarika reste convaincu que le principal obstacle aux progrès dans la lutte contre le sida reste l’autosatisfaction.
« Lorsque j’étais jeune médecin, il arrivait que je prononce jusqu’à 19 décès, uniquement dans le service pédiatrique. Pas dans tout l’hôpital, seulement dans le service pédiatrique. Aujourd’hui, les jeunes médecins ne sont plus confrontés à ce genre de situation. Ils oublient donc que le VIH est une vraie maladie », explique-t-il.
Selon lui, il est primordial de rester engagés aux côtés des communautés pour lutter contre le sida avec le même degré d’urgence qu’au début des années 2000, afin de préserver les résultats remarquables obtenus dans le pays.
« Si le coût du sida n’est pas considéré comme l’une des catastrophes historiques les plus graves de nos 54 années d'indépendance, notre histoire perd tout son sens », insiste-t-il.
La meilleure façon de progresser, c'est de continuer à financer la lutte contre le sida et d'insister davantage sur la prévention du VIH. Selon lui, un investissement national croissant s’impose, et des partenaires de développement convaincants seront nécessaires pour investir davantage de sources de financement externes dans la prévention du VIH.