Reportage

Venir en aide à une génération oubliée

25 mars 2019

Face à de nombreux jeunes gens, Christine Kafando multiplie les questions.

« Ressentez-vous une pression de la part des autres garçons et filles ? » « Vous sentez-vous abandonnés à cause de la pauvreté ? » « Avez-vous toutes les informations dont vous avez besoin concernant votre santé et le VIH ? Sinon, demandez-moi, demandez à vos partenaires, demandez ! OK ? »

Parmi la quarantaine de garçons et de filles certains acquiescent et d'autres haussent les épaules. Tous sont là pour un atelier organisé par l’Association Espoir pour Demain (AED) à Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso, qui vise à créer un espace réservé aux jeunes pour qu’ils puissent en apprendre davantage sur leur santé sexuelle et pour en former quelques-uns afin qu’ils deviennent pairs-éducateurs.

« Après avoir vu plusieurs jeunes étudiantes venir vers nous enceintes, nous avons senti qu’il était nécessaire de lancer ces ateliers », explique Mme Kafando, la fondatrice d’AED.

Pour Issa Diarra l’atelier a permis d’entamer le dialogue. « Dans notre société, nous ne parlons pas vraiment beaucoup de sexe, ni même de santé, mais ici nous avons réellement la chance de parler de tout ça », explique-t-il. Un point de vue partagé par Roland Sanou: « Aujourd’hui, le sexe reste tabou pour les jeunes, mais je ne veux pas que ça reste comme ça ».

Beaucoup d’entre eux estiment que l'époque a evolué, et que la façon dont ils pensent est différente de celle de leurs parents. « Aujourd'hui, notre géneration est consciente de ce qu'elle veut et nous savons que le fait de tomber malade peut nous empêcher de réaliser nos rêves, et c’est pour ça que nous nous mobilisons », raconte Baba Coulibaly.

Au départ, AED avait pour objectif de faciliter l'accès des femmes vivant avec le VIH  au traitement. Ensuite, l'association s’est mise à aider les mères et leurs bébés nés avec le VIH. Quinze ans plus tard, bon nombre de ces enfants devenus des adolescents viennent encore de temps en temps. En faisant le bilan de ses vingt années d’activisme sur le VIH, Mme Kafando considère que: « Depuis de nombreuses années, les femmes sont le visage du VIH, mais qu'il est crucial d’impliquer les hommes et les garçons pour les sensibiliser davantage ».

Pour Jacinta Kienou, infirmière membre de l’association depuis sa création, deux grands problèmes se posent: un certain nombre de jeunes vivant avec le VIH ne prennent plus leur traitement régulièrement et de nombreux jeunes ne savent pas très bien comment gérer leurs relations sentimentales.

« Comme ils vivent avec le VIH et qu’ils sont jeunes, beaucoup de problèmes apparaissent au moment de leurs rapports amoureux, et se pose la question de l’acceptation par les autres à propos de leur séropositivité», explique-t-elle. «Nous donnons des conseils aux jeunes et à leurs parents en même temps », ajoute-t-elle.



Au Burkina Faso, les jeunes représentent plus de 60 % de la population et les données indiquent que beaucoup d’entre eux ignorent leur état sérologique. André Kaboré, Responsable de l’information stratégique à l’ONUSIDA, décrit deux problèmes concernant les jeunes. « Malgré un traitement de haute qualité facilement disponible, il y a encore des enfants ici qui ne savent pas qu’ils vivent avec le VIH. Pire encore, bon nombre de ceux qui savent qu’ils vivent avec le VIH n’ont pas accès au traitement », déclare-t-il.

Dans ce pays, 94 000 personnes vivent avec le virus, dont 9 400 sont des enfants de moins de 15 ans. Alors que 65 % des adultes vivant avec le VIH prennent un traitement antirétroviral qui leur sauve la vie, les enfants ne sont que 28 %.  Seulemtent 3 500 sont sous traitement. Mme Kafando les a baptisés la génération oubliée. « Ils sont passés à travers les mailles du filet parce que jusqu’à présent, ils n’ont jamais été malades ou n’ont jamais eu besoin de soins, et donc ils n’ont jamais été dépistés », explique-t-elle.

La responsable du Conseil national de lutte contre le sida pour Bobo-Dioulasso et la région des Hauts-Bassins, Suzanne Sidibé, ajoute : « Nous avons perdu de vue les enfants nés avec le VIH. Notre objectif, avec l’aide de l’Association Espoir pour Demain (AED), est d'aller à l'encontre des familles avec l’aide des médiatrices de santé ».

Hoho Kambiré, qui vit avec le VIH, a quatre enfants, dont deux sont séropositifs. Elle fait partie de ces médiatrices et rend visite aux familles, accompagne les femmes dans les dispensaires et leur apporte son soutien.

« Il est nécessaire de faire dépister tous les enfants pour savoir lesquels sont malades et lesquels ne le sont pas et pouvoir les suivre afin qu’ils restent en bonne santé », explique-t-elle. AED dispose aujourd’hui de plus de 50 médiateurs de santé, la plupart étant des femmes comme Mme Kambiré, venue initialement à l’association pour solliciter son aide.

Le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF) et l’ONUSIDA soutiennent AED financièrement. Mireille Cissé, spécialiste du VIH à l’UNICEF, explique qu’au Burkina Faso, les Nations Unies ont identifié les principales priorités de la riposte au sida dans le pays.  Le travail avec la société civile est l'une des pierres angulaires.

« Nous avons convenu qu’un lien devait être établi avec les communautés, car elles représentent notre point d’entrée dans les familles », indique-t-elle. L’UNICEF qui apporte un soutien financier à ses médiatrices œuvre main dans la main avec le bureau régional du Ministère de la Santé.

« Une véritable victoire pour nous a été de voir les médiateurs de santé être intégrés dans les équipes sanitaires des districts », se réjouit Mme Cissé. « Cette reconnaissance a réellement facilité le rôle des médiatrices ».

L’ONUSIDA a renforcé les capacités des médiateurs de santé afin d’élargir leur champ d’intervention, qui va du conseil psychosocial à la formation sur l’observance du traitement. « Maintenir nos progrès dans la riposte au VIH et en finir avec le sida dépend beaucoup de la société civile, comme avec l’Association Espoir pour Demain », déclare Job Sagbohan, Directeur national de l’ONUSIDA. « Nous espérons vraiment avoir un impact maximum ».