Reportage

La riposte à la COVID-19 doit préserver et protéger les droits humains des professionnel(le)s du sexe

24 avril 2020

Le Réseau mondial des projets sur le travail du sexe (NSWP) et l’ONUSIDA ont publié récemment une déclaration commune invitant les pays à prendre des actions fondamentales et immédiates en vue de protéger la santé et les droits des professionnel(le)s du sexe pendant la pandémie de COVID-19.

La pandémie de COVID-19, comme toute autre crise sanitaire, révèle au grand jour les inégalités existantes et touche de manière disproportionnée les populations déjà criminalisées, marginalisées, se trouvant dans une situation sanitaire et économique précaire, et qui souvent ne bénéficient pas des mécanismes de protection sociale.

Dans le monde entier, la riposte des gouvernements à la crise de la COVID-19 ne prend pas en compte les professionnel(le)s du sexe. Leur clientèle étant aussi confinée, les professionnel(le)s du sexe perdent toute protection, et leur vulnérabilité augmente au point de ne plus être en mesure de subvenir à leurs besoins ni à ceux de leur famille. En Équateur, le Colectivo Flor De Azalea (association des professionnelles du sexe) a souligné que leur communauté est soudainement confrontée à un manque de soutien et d’accès aux services fondamentaux. « Les professionnelles du sexe sont davantage touchées par la crise sanitaire. Nous descendons sur le trottoir la peur au ventre et nous craignons les violences. Nous n’avons pas d’argent ni pour acheter à manger ou des médicaments ni pour payer notre loyer. Les services de santé sont fermés. Nous n’avons pas accès aux préservatifs. Des collègues sont mortes de la COVID-19. »

« La législation sur les droits humains stipule qu’ils sont inaliénables, universels, interdépendants et indivisibles », a déclaré la Directrice exécutive de l’ONUSIDA, Winnie Byanyima. « Il est essentiel au cours de cette pandémie de garantir qu'ils s’appliquent sans exception, en particulier aux plus vulnérables d'entre nous. Cela permettra aussi de bâtir les communautés résilientes que nous souhaitons voir émerger de cette crise. »

Alors que des professionnel(le)s du sexe signalent, par endroit, ne plus pouvoir se fournir en préservatifs à cause de la pandémie, celles et ceux vivant avec le VIH indiquent être en train de perdre l'accès aux médicaments essentiels. En Eswatini, Voice of Our Voices rapporte que « les personnes qui suivent un traitement contre le VIH ont du mal à se rendre à leurs consultations faute de transports. Quant aux produits de prévention, ils sont difficiles à obtenir. »

Alors que le commerce du sexe est criminalisé dans pratiquement tous les pays, les professionnel(le)s du sexe souffrent également davantage des mesures punitives liées à l’application des règlements relatifs à la COVID-19. Une présence accrue des forces de l’ordre peut les exposer à une recrudescence d’abus et de violences. Cela s’est déjà traduit dans plusieurs pays par des razzias à leur domicile, un dépistage obligatoire de la COVID-19, mais aussi des arrestations et des menaces de reconduite à la frontière pour les professionnel(le)s du sexe migrant(e)s. Pour celles et ceux qui se retrouvent à la rue après avoir perdu leur toit, comme c’est le cas pour nombre de professionnel(le)s du sexe migrant(e)s et exerçant dans des maisons de passe, l’absence d’aide engendre une grande insécurité ou une insuffisance de moyens pour respecter les exigences gouvernementales.

La criminalisation du travail du sexe dans la plupart des pays dresse également des obstacles spécifiques à cette activité pour bénéficier des aides gouvernementales. Aux États-Unis d’Amérique, les porte-paroles de SWOP-Tucson (the Sex Workers Outreach Project) ont expliqué que beaucoup de ces programmes demandent de prouver la perte d’emploi ou d’une partie de l’activité à cause de la COVID-19. Vu que le travail du sexe est criminalisé, il n’est pas possible de fournir les documents et les justificatifs nécessaires concernant la perte d’activité ou une situation difficile. Par conséquent, les professionnel(le)s du sexe ne peuvent pas bénéficier de moratoires de paiement sur le loyer/les prêts immobiliers, des abattements sur leur facture d’eau et d’électricité ou des primes de chômage. »

Même dans les pays où le commerce du sexe est partiellement légalisé, nombre de professionnel(le)s du sexe font l’amère découverte que le système d’aides élargies au secteur formel ne s’applique pas à leur communauté. C’est le cas par exemple en Allemagne où des professionnel(le)s du sexe mettent en avant les difficultés à se faire aider que rencontrent celles et ceux vivant en dehors du système. « Alors que le gouvernement fournit un éventail d’aides pour les indépendant(e)s (déclaré(e)s), il ne prend pas en compte les professionnel(le)s du sexe de manière spécifique, et personne en situation irrégulière ici n’a aucune chance d’obtenir de l’argent du gouvernement. »

Alors que la crise mondiale s’intensifie, la pression s’accroît sur les professionnel(le)s du sexe qui doivent choisir entre s’isoler sans revenu ni aide ou travailler en mettant leur santé et leur sécurité en jeu. La fermeture de la majorité du parc d’hébergements à court terme abordables pose un autre problème à l’heure où les professionnel(le)s du sexe ont des difficultés à payer leur loyer ou leur chambre d’hôtel. La disparition de ce type de logements conjuguée à la fermeture brutale des lieux de travail se traduit par une perte de domicile soudaine pour les professionnel(le)s du sexe dans de nombreux pays. La situation est encore plus grave pour la partie migrante de cette communauté largement piégée par la fermeture des frontières.

Malgré leur exclusion systématique des groupes de planification d’urgence de la santé publique, la communauté des professionnel(le)s du sexe a commencé à coordonner sa propre riposte à la crise. Plusieurs campagnes de collecte de fonds d’urgence et d’entraide ont ainsi vu le jour, qui permettent aux communautés et à leurs membres d’accéder à des moyens financiers et à des produits de première nécessité et de les distribuer. And Soppeku, une organisation sénégalaise dirigée par des professionnel(le)s du sexe, a lancé une telle initiative. Elle distribue des rations alimentaires et des kits d’hygiène à ses membres dans trois régions (Dakar, Thies et Kaolack). En l’absence d’action et d’aide de la part des gouvernements, des initiatives similaires sont déployées dans le monde entier.

Toutefois, les organisations autogérées de personnes et de groupes ne doivent pas être considérées comme un substitut à un soutien gouvernemental nécessaire de toute urgence. La législation internationale sur les droits humains impose aux gouvernements de les faire respecter, protéger et mettre en oeuvre sans discrimination, y compris en situation d’urgence.

Les professionnel(le)s du sexe et leurs organisations demandent la même protection légale et et le même accès au soutien financier et aux soins de santé. L’ONUSIDA se rallie à cet appel. L’organisation souligne l’importance d’une approche basée sur les droits de l’homme aux ripostes à la COVID-19, une approche qui fait la part belle à l’autonomisation et à l’engagement des communautés.

Les témoignages cités dans cet article ont été recueillis au cours de l’étude COVID-19 Impact Survey du NSWP qui s’adresse aux professionnel(le)s du sexe et à leurs organisations. L’objectif de cette enquête est d’assurer un suivi de l’action des gouvernements en faveur de cette communauté

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