Reportage

Fidji : encourager l’émergence d’une économie de la bonté grâce à la tradition du troc

17 juillet 2020

Les îles Fidji se réveillent doucement. Une tasse de café à la main, Marlene Dutta est assise sur la terrasse à l’arrière de sa maison entourée par la végétation. Même le gazouillis des oiseaux en toile de fond ne parvient pas à la détourner de son écran d’ordinateur. Elle est absorbée par le tri des messages et le suivi des activités de Barter for Better Fiji, la page Facebook qu’elle a créée. Cette communauté en ligne donne une nouvelle jeunesse à la tradition fidjienne du troc et elle aide les communautés à subvenir à leurs besoins au cours de l’épidémie de COVID-19.

« Dès le saut du lit, les autres administrateurs et administratrices bénévoles et moi-même avons les yeux rivés sur cette page », déclare Mme Dutta, conseillère en développement de compétences professionnelles. Tout le monde est occupé à surveiller ou à relayer les informations du gouvernement concernant les restrictions s’appliquant aux articles à troquer.

Aux îles Fidji où le produit intérieur brut dépend à 30 % environ du tourisme, les restrictions de déplacement destinées à éviter la propagation de la COVID-19 sont pour beaucoup de personnes sources de lendemain qui déchantent.

Lorsqu’on lui demande comment l’idée de cette page Facebook lui est venue, Mme Dutta explique : « le troc a toujours fait partie intégrante du quotidien des Fidjiens et Fidjiennes. Il est pratiqué entre proches, en famille, au sein des communautés. Nous avons tous et toutes des compétences, un talent, quelque chose qui pousse dans notre jardin ou qui traîne chez nous. Si nous pouvons échanger des articles ou des services pour obtenir ce dont nous avons besoin, alors tout le monde pourra traverser sans encombre cette période. » L'association Barter for Better Fiji (Troquer pour améliorer les îles Fidji) est née de ces réflexions. Mme Dutta est étonnée de la popularité actuelle de cette page, car elle la destinait initialement à ses proches. Aujourd’hui, elle est suivie par plus de 180 000 personnes, un chiffre ahurissant par rapport à la population totale du pays estimée à 900 000 personnes, et des milliers de nouvelles demandes d’inscription arrivent quotidiennement.

Outre le fait d’aider ses membres à troquer la nourriture ou les services nécessaires ou aider les petites entreprises en établissant des liens avec de nouveaux fournisseurs, la page renforce également le sentiment d’appartenance à une communauté. Des membres retissent des liens avec le voisinage, des proches ou des ami-es d’enfance perdu-es de vue. Mme Dutta se souvient de personnes qui ne se connaissaient pas du tout, qui se sont rencontrées sur la page pour faire du troc et qui ont fini par découvrir qu’elles vivaient dans la même rue ou qu’elles partageaient des liens traditionnels.
« Avec cette page, nous espérons encourager l’émergence d’une économie de la bonté. Ce souhait se cache derrière chaque activité sur ce groupe », indique Mme Dutta. « En elle-même, elle fait émerger ce sentiment d’appartenir à une communauté où les membres font délibérément et intentionnellement preuve de bonté, de compassion et de clémence les un-es envers les autres. »

Bien que la page Facebook Barter for Better Fiji ne s’adresse pas spécialement aux besoins des groupes vulnérables ou de personnes vivant avec le VIH, des groupes comme le Fiji Network for People Living with HIV, la Rainbow Pride Foundation et le Survival Advocacy Network Fiji signalent que les membres de leur communauté profitent également de cette plateforme en ligne de troc. La page fait du troc la « nouvelle normalité » pour les groupes vulnérables.

« LGBTQI+ ou pas, nous sommes en définitive des êtres humains et nous avons besoin de nous entraider d’une manière ou d’une autre. C’est la raison pour laquelle je ne pense que du bien de ce type de pages », témoigne un membre de la Rainbow Pride Foundation.
Des membres de la communauté ont troqué des biens ou fait le ménage en échange de provisions, et d’autres indiquent que l’argent économisé avec le troc leur a permis de se lancer dans d’autres activités, sources de revenus comme un potager ou un stand pour vendre de la nourriture. Alors que le tourisme recule, certains groupes, comme les professionel-les du sexe, ont vu disparaître leurs sources de revenus.

Les membres de la communauté lesbienne, gay, bisexuelle, transgenre et intersexuée sont également victimes de la stigmatisation à cause d’idées fausses circulant sur la manière dont le nouveau coronavirus se propage. Toutefois, des membres de ces groupes indiquent que les histoires encourageantes et les liens développés entre les membres de la page Facebook les aident à gérer la situation et à améliorer leur santé mentale. Toutes ces expériences positives, ces histoires de communautés se serrant les coudes pour lutter contre la pandémie de COVID-19, amènent Barter for Better Fiji à réfléchir dorénavant à étoffer la page Facebook d’un site Internet et d’une application.

Alors que les îles Fidji luttent pour surmonter l’épidémie de COVID-19, Barter for Better Fiji est consciente du rôle qu’elle joue pour le futur. Elle est bien plus qu’une place de troc, elle est également un espace de partage d’expériences réconfortantes sur des liens qui favorisent l’émergence d’une économie de la bonté.