Reportage

Entendre les attentes de la société civile concernant la Réunion de haut niveau sur le VIH/sida

04 juin 2021

Lors de la Réunion de haut niveau des Nations Unies sur le VIH/sida, qui aura lieu du 8 au 10 juin, les États membres adopteront une nouvelle déclaration politique qui permettra à la riposte au VIH de combler son retard. Suite aux progrès inégaux accomplis dans la lutte contre le VIH depuis la Réunion de haut niveau de 2016, la rencontre servira cette année de tremplin à une décennie d’action visant à réduire les inégalités et à éliminer les facteurs sociaux qui favorisent l’épidémie de VIH.

L’ONUSIDA s’est entretenue avec deux personnes vivant avec le VIH et représentant la société civile afin de connaître les attentes et les espoirs de cette dernière concernant la réunion de haut niveau et la déclaration politique. Jacqueline Rocha Côrtes (JRC) appartient au Mouvement national des femmes vivant avec le VIH/sida (MNCP/Brésil), au Mouvement latino-américain et caribéen des femmes séropositives (MLCM+) et de l’Institut national des femmes réassignées (INAMUR/Brésil). Andrew Spieldenner (AS) est le directeur exécutif de MPact. Ces deux personnalités ont participé à la rédaction de la déclaration de la société civile pour la réunion de haut niveau 2021, dans laquelle les organisations enjoignent aux États membres de concentrer leurs efforts et leurs ressources là où ils sont le plus nécessaires et d'adopter une déclaration politique qui reconnaît explicitement les populations les plus exposées au risque du VIH et identifie les raisons de cette vulnérabilité. Par ailleurs, ce document de la société civile demande aux États membres de s’engager à financer pleinement et à soutenir des ripostes au VIH efficaces, ainsi qu’à assumer la responsabilité de leurs actions.

 

Quel est l’objectif de la déclaration de la société civile que vous avez publiée en amont de la réunion de haut niveau ?

JRC : les objectifs de la déclaration de la société civile sont multiples. Il s’agit tout d’abord de centraliser les principales contributions de la société civile à l’échelle mondiale pour ce qui est du contenu souhaité de la déclaration politique 2021 sur le VIH/sida. Ensuite, la déclaration de la société civile sert d’outil pour mobiliser les efforts communautaires au niveau local et régional, et pour harmoniser et affiner nos positions afin de renforcer la position de nos communautés concernant nos demandes à travers le monde.

AS : la déclaration de la société civile publiée avant la réunion de haut niveau illustre clairement les valeurs, les préoccupations et les besoins de nos communautés. Là où les États membres se préoccupent peut-être plus de la politique, la société civile continue de mettre en avant et de se concentrer sur les populations les plus touchées par le VIH, ces populations que les gouvernements marginalisent le plus souvent par des lois et des politiques punitives. Nous, porte-parole de la société civile, voulons nous assurer que les États membres comprennent ce que nous défendons, dans l’espoir qu’ils soutiennent notre travail et les communautés dans la rédaction de la déclaration politique.

 

Que demande en particulier la société civile aux États membres?

JRC : selon moi, la déclaration de la société civile sert à montrer et à rappeler aux États membres notre force et notre capacité à mobiliser et à canaliser ce qui est nécessaire pour mettre fin au sida. Il s’agit d’une opportunité de montrer que nous, les communautés, sommes vivantes et attentives, d’autant plus dans des périodes comme aujourd’hui marquées par l’impact négatif de la pandémie de COVID-19 sur la riposte au sida. C’est également un appel aux organisations internationales et multilatérales.

AS : nous voulons que les États membres reconnaissent l’impact disproportionné du VIH sur les travailleuses et travailleurs du sexe, les toxicomanes, les personnes transsexuelles et les hommes gays et bisexuels et qu’ils mettent l’accent sur les besoins des populations clés dans la riposte au VIH. Nous voulons que les États membres soutiennent la concrétisation des actions nécessaires en matière de VIH, comme l’éducation sexuelle complète, la réduction des risques sous toutes ses formes et la prévention et le traitement du VIH. Nous voulons que les États membres protègent la santé et les droits sexuels et reproductifs. Nous voulons que les États membres fassent preuve de souplesse dans l’application des aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) concernant les technologies du VIH et qu’ils financent pleinement la riposte au VIH.

 

Quelles sont les attentes des communautés et des organisations de la société civile concernant la prochaine réunion de haut niveau et la nouvelle déclaration politique ?

JRC : dans la déclaration politique, nous espérons voir l’apparition d’un socle minimum d’une vaste terminologie progressive qui inclut tout le monde afin qu’il soit clair que lorsque nous parlons de la riposte au sida, nous parlons aussi des droits humains, de la souplesse des accords commerciaux, du financement de la riposte au sida, des ripostes dirigées par les communautés, de la réduction et de l’élimination des violences basées sur le genre. Nous espérons que la déclaration politique comprenne des engagements fermes pour atteindre les nombreux objectifs établis dans la déclaration politique de 2016 et dans d’autres déclarations politiques qui n’ont pas encore été respectées. Elle doit aussi intégrer les dernières priorités établies par la Stratégie mondiale de lutte contre le sida 2021–2026 de l’ONUSIDA, qui ont été convenues par de nombreux pays et appellent à l’élimination des inégalités pour mettre fin au sida d’ici 2030.

Nous espérons également qu’une terminologie technique  teintée de politiquement correct ne servira pas à masquer des intérêts particuliers, en laissant de côté des questions telles que la diversité sexuelle et humaine, la santé sexuelle et les droits reproductifs, ainsi que la réduction et l’élimination progressive des lois punitives qui contribuent à stigmatiser les personnes et punissent des citoyens et citoyennes, que l'on incarcère ou assassine simplement parce ce qu’ils et elles vivent.

AS : en tant que société civile et communautés, nous attendons des États membres qu’ils soutiennent la Stratégie mondiale de lutte contre le sida 2021-2026. Nous comprenons que certains États membres seront contre les éléments de langage décrivant les populations clés, et contre des actions clés en matière de VIH, y compris en ce qui concerne la réduction des risques, l’éducation sexuelle complète et une application souple des ADPIC. Nous espérons que les États membres chercheront des compromis pour adopter et soutenir ce qui est nécessaire pour que la riposte au VIH aille de l’avant.

 

Certains États membres sont toujours réticents à soutenir l’ordre du jour lorsqu’il concerne les populations clés, la consommation de drogues et la criminalisation du commerce du sexe. Quel message souhaitez-vous leur adresser ?

JRC : je souhaiterais leur dire, qu’ils le veuillent ou non, que l’humanité ne sera pas linéaire comme certains de leurs projets politiques et économiques et même des projets sociaux qui essaient de dicter le déroulement de la vie des personnes, sur lesquels les autorités ne peuvent pas ni n’ont le droit de gouverner . De la même manière que les États membres des Nations unies se réfèrent à la souveraineté nationale pour décider s’il convient d’adopter ou non certaines mesures, les citoyens et citoyennes disposent d’une autonomie inaliénable pour décider ce qui leur convient le mieux pour leur vie et comment mener leur existence.

Il est impératif que les États membres reconnaissent l’existence et les droits des populations clés.

En tant que femme transsexuelle réassignée vivant avec le VIH depuis 27 ans, je ne me fatigue pas de dire que si nous voulons mettre fin aux inégalités, nous devons nécessairement prendre conscience et accepter la diversité humaine.

AS : après 40 ans de VIH, les populations clés, y compris les toxicomanes, les travailleuses et travailleurs du sexe, les hommes gays et bisexuels et les personnes transgenres, sont touchées de manière disproportionnée par le VIH. Nous n’arriverons pas à mettre fin à l’épidémie de VIH si nous ne nous concentrons pas sur les besoins des populations clés, notamment en renforçant l’implication des personnes séropositives. Si les États membres continuent d’ignorer nos besoins, de marginaliser nos communautés et d’adopter des lois contre nous, l’épidémie de VIH continuera de fleurir, quelles que soient les avancées des technologies de lutte contre le VIH.

 

Une fois la déclaration politique adoptée, quel sera le rôle de la société civile dans sa transcription sur le terrain ?

JRC : nous ferons ce que nous avons toujours fait : militer et peser sur la politique. Nous surveillerons et mobiliserons, combattrons, continuerons nos efforts communautaires et fournirons des réponses communautaires, construirons et agirons avec solidarité, respecterons la dynamique interne des différents domaines, y compris les gouvernements, mais nous agirons en utilisant nos droits et exigerons de nos instances gouvernementales qu’elles fassent leur travail et respectent leurs engagements et leurs devoirs.

Et nous comptons sur l’ONUSIDA, l’un de nos partenaires les plus précieux, ainsi que sur d’autres agences des Nations Unies.

AS : les réseaux mondiaux de populations clés militent en faveur de ripostes dirigées par les communautés et des mécanismes de reddition des comptes. Avec le soutien d’un financement multilatéral et philanthropique, nous continuerons à soutenir les actions citoyennes au niveau local et régional. Malheureusement, avec la réduction du financement et de l’espace alloué à la société civile, ce ne sera pas facile. Nous avons besoin d’un soutien multilatéral et philanthropique pour continuer à endosser ce rôle.

Réunion de haut niveau sur le sida (8-10 juin 2021)