Reportage
#NotYetUhuru : Patson Manyati, 60 ans, parle de sa vie d’homme gay au Zimbabwe*
17 mai 2021
17 mai 202117 mai 2021La figure solitaire de Patson Manyati détone dans cette pièce grouillant de jeunes dans leur ving
La figure solitaire de Patson Manyati détone dans cette pièce grouillant de jeunes dans leur vingtaine. Avec son allure élégante, sa barbe grisonnante et sa chemise bleue, il lui faudrait perdre au moins 40 ans pour se fondre dans la masse.
Nous rencontrons M. Manyati au cours d’une des premières visites au centre d’accueil de Gays and Lesbians of Zimbabwe (GALZ) situé à Mutare dans l’est du pays. Le GALZ est une association sur adhésion qui promeut, représente et protège les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI) au Zimbabwe.
Bien que M. Manyati puisse donner l’impression de ne pas être à sa place, il ne s’est jamais senti aussi « à l’aise » qu’au GALZ de toute sa vie de sexagénaire gay vivant au Zimbabwe.
« Je suis très heureux lorsque je vois des gens comme moi », raconte M. Manyati de sa voix douce et mélodieuse. Ses yeux pétillent lorsqu’il parle, ce qui peut paraître surprenant pour quelqu’un qui a grandi dans une société où l’homophobie est omniprésente et qui a vu en 2017 l’ex-président décrire les gays comme étant « pire que des chiens et des porcs ».
Le GALZ déclare que la haine et la peur causées par les répercussions de la campagne homophobe du dernier président « sont toujours présentes aujourd’hui au Zimbabwe ».
Même si M. Manyati se sent bien au GALZ, il doit rester sur ses gardes et être vigilant dès qu’il quitte l’enceinte de l’association, et ce, pas uniquement pour se protéger des insultes. Le risque d’emprisonnement en effet est réel, car le Zimbabwe punit les relations sexuelles entre personnes du même sexe de peines de prison pouvant atteindre 14 ans.
Outre la menace de l’incarcération, il existe encore des manifestations quotidiennes de discrimination et de violence, ainsi que des crimes de haine auxquels sont confrontées les personnes LGBTI, non seulement au Zimbabwe, mais aussi dans les 69 pays du monde qui criminalisent les relations sexuelles entre personnes de même sexe.
Et même dans les pays où cela ne l’est pas, comme dans l’Afrique du Sud voisine. Bien que le mariage entre personnes du même sexe y est légal et que les droits LGBTI sont inscrits dans la constitution, être gay continue d’y être dangereux. Au cours du premier semestre 2021, la communauté LGBTI a été endeuillée par une série d’assassinats de jeunes gays. Elle a alors demandé au gouvernement, aux médias et au grand public de prendre plus au sérieux les crimes de haine.
Dans ces conditions, le simple fait de vivre est un acte de bravoure et encore plus d’afficher son bonheur.
Le bonheur est quelque chose que M. Manyati a tenté et tente toujours de se construire pour lui-même, non sans difficultés.
Né à Mutoko, une bourgade de la province du Mashonaland oriental au Zimbabwe, M. Manyati explique que ses parents voulaient qu’il se marie dans sa vingtaine avec une femme et qu’il perpétue ainsi le nom de sa famille en tant que l’un des sept fils Manyati.
M. Manyati a tenu bon tout le temps que ses parents ont insisté sur un mariage. Étant donné qu’il était le seul à s’occuper de ses parents et de ses frères et sœurs, ils ont fini par accepter et il a vécu une vie de célibataire sans jamais annoncer son homosexualité à ses parents.
« Me marier était impossible parce que j’ai le corps d’un homme, mais, à l’intérieur, je me sens comme une femme. Je sais que je suis... que je me sens... comme une femme. Alors pourquoi devrais-je me marier avec une femme ? », dit-il visiblement en proie à des concepts complexes sur son identité de genre sans avoir les mots pour l’exprimer.
Ici au GALZ, toutes les personnes lui disent « qui elles sont », raconte M. Manyati. Il finira peut-être à mettre un nom sur ses sentiments en revenant encore quelques fois et en continuant de parler avec les jeunes autour de lui qui sont tellement plus à l’aise avec leur orientation sexuelle et leur identité de genre.
Le GALZ est une bouffée d’air frais pour ses membres. Il propose régulièrement des journées dédiées à la santé dans son centre d’accueil de Harare et renvoie vers d’autres établissements dans ses autres centres d’accueil à Mutare et Masvingo. L’association propose différents services de santé, y compris la prévention et le traitement du VIH. Elle fournit également des services de conseil essentiels et un espace protégé pour que les personnes LGBTI puissent sociabiliser et souffler, loin de la dure réalité de la rue.
La direction du GALZ affirme que la situation s’améliore lentement pour la communauté LGBTI au Zimbabwe.
En 2017, le GALZ a été inclus en tant que participant officiel à la proposition de financement élaborée pour le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. L’association a ainsi obtenu 2 millions de dollars destinés à des programmes en faveur des gays et autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes. Il s’agit du plus important investissement jamais réalisé dans une riposte au VIH et à la santé sexuelle et reproductive pour la communauté. Cette enveloppe a permis d’ouvrir les trois centres d’accueil du GALZ.
Avec le soutien de l’ONUSIDA, le National AIDS Council (NAC) du Zimbabwe dispose d’un forum pour les populations clés auquel le GALZ appartient. Le NAC œuvre véritablement à améliorer la santé et le bien-être des populations clés, même si leurs activités restent criminalisées.
Malgré les progrès, la stigmatisation et la discrimination auxquelles la communauté LGBTI est toujours confrontée au Zimbabwe ont conduit M. Manyati et sa génération à vivre dans l’isolement.
« Je me sens plus en sécurité lorsque je suis seul », explique M. Manyati, ajoutant que tous ses amis et toutes ses connaissances au sein de la communauté LGBTI sont décédés aujourd’hui. « Parfois je pleure », soupire-t-il.
Lorsque les amis de M. Manyati étaient en vie, ils profitaient au maximum de la vie, même si la loi était une épée de Damoclès et qu’ils n’ont jamais été heureux en amour avec les hommes qu’ils ont rencontrés.
« [On sentait qu’]il ne vous aime pas vraiment parce qu’il a quelqu’un d’autre ailleurs et que vous n’en êtes qu’une aventure sans lendemain. Au final, il se marie et vous quitte ». Voici le constat que tire M. Manyati de ces rencontres.
M. Manyati est persuadé qu’il est maintenant « trop vieux » pour chercher l’amour et il préfère se concentrer sur sa santé comme l’un des 1,4 million de Zimbabwéennes et Zimbabwéens que l’on estime vivre avec le VIH.
M. Manyati a découvert sa séropositivité lorsqu’il s’est mis à tousser il y a cinq ans. Il s’est rendu dans une organisation non gouvernementale locale, New Start, pour se faire dépister du VIH et après un traitement contre la tuberculose il a obtenu immédiatement une thérapie contre le VIH. Sa santé est sa priorité.
« Je continue de prendre mon traitement contre le VIH. C’est comme ça que j’ai l’air en bonne santé aujourd’hui », conclut M. Manyati sans jamais se départir du pétillement dans ses yeux.
* Not Yet Uhuru est une citation du militant kenyan pour la liberté Oginga Odinga. Uhuru est un mot swahili signifiant « liberté » ; traduite librement, cette citation signifie « pas encore libre ». Le GALZ utilise régulièrement ce hashtag dans ses publications sur les réseaux sociaux.