La première fille de Mahabad Asanova a été diagnostiquée séropositive au VIH après avoir été emmenée d’urgence à l’hôpital suite à une forte poussée de fièvre. Lors de la sa deuxième grossesse, Mme Asanova a dû attendre 18 mois avant que son fils soit déclaré séronégatif au VIH.
Mais au moment de sa troisième grossesse, les choses ont radicalement changé. Un mois à peine après l’accouchement, Mme Asanova a su que sa fille était séronégative au VIH. La mise en place d’une méthode révolutionnaire de dépistage du VIH chez les nourrissons, qui utilise des prélèvements de sang desséché, a permis de réduire considérablement le délai de diagnostic.
« Attendre 18 mois pour connaître le statut de mon enfant vis-à-vis du VIH a été terrible », raconte Mme Asanova. « Je suis tellement soulagée, le dépistage avec le sang desséché a complètement changé ma vie ». Avant cette méthode de dépistage, il fallait attendre au moins un an pour tester les enfants.
Le dépistage par prélèvement de sang desséché est simple : il ne nécessite ni équipement sophistiqué, ni moyens invasifs. Une piqûre est pratiquée au niveau du talon du nouveau-né pour prélever une goutte de sang sur un papier filtre, qui est ensuite séchée. L’échantillon est envoyé dans un laboratoire pour analyse et les résultats sont connus avant que le nourrisson ait atteint l’âge d’un mois, ce qui permet d’entamer immédiatement un traitement avec des médicaments antirétroviraux vitaux chez les nourrissons vivant avec le VIH.
« Avant la mise en place du dépistage par prélèvement de sang desséché au Kirghizistan en 2013, seuls 15 % environ des nourrissons bénéficiaient d’un diagnostic précoce », explique Edil Tilekov, Responsable du programme VIH auprès du Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF). « En 2017, ce chiffre a atteint près de 90 % ».
Aujourd’hui, les connaissances scientifiques sur le VIH et les méthodes de diagnostic sont de plus en plus avancées. L’UNICEF encourage les méthodes de diagnostic du VIH sur le lieu des soins pour les nourrissons, qui permettront d’établir un diagnostic deux heures seulement après le prélèvement de sang.
La mise en place de la méthode par prélèvement de sang desséché et une meilleure formation des médecins ont permis de mettre un frein à la stigmatisation à l’encontre des personnes vivant avec le VIH.
« La stigmatisation au sein du personnel médical a commencé à reculer avec l’intégration des médicaments antirétroviraux dans le système des soins de santé primaires », explique Elmira Narmatova, Directrice du Centre de lutte contre le sida Och Oblast. « C’est un peu devenu comme une maladie chronique, et la mortalité a baissé ».
Les enfants qui sont traités de façon précoce s’en sortent mieux et plus les médicaments fonctionnent, plus les parents sont confiants. Aujourd’hui, grâce au dépistage par prélèvement de sang desséché, plus de 95 % des enfants vivant avec le VIH à Och, au Kirghizistan, ont accès au traitement antirétroviral.
Malgré tout, il reste encore des poches de résistance. En dépit du diagnostic précoce, tous les nourrissons ne reçoivent pas les médicaments dont ils ont besoin. « Nous interrogeons les parents et le personnel médical pour savoir pourquoi certains parents ne veulent toujours pas donner des médicaments antirétroviraux à leurs bébés », indique M. Tilekov.
Des indices se font jour au détour de conversations informelles : cette résistance serait due à des motifs religieux, au scepticisme à propos de l’immunisation, voire à des légendes urbaines.
« Bien que de nombreuses actions aient été entreprises pour informer les parents et le personnel médical, nous manquons toujours de ressources et de personnel formé, de sorte que certains parents passent à travers les mailles du filet et ne sont pas forcément bien éclairés sur les effets secondaires », explique M. Tilekov. « Ainsi, lorsque leurs bébés perdent du poids ou ne mangent pas correctement après le démarrage du traitement antirétroviral, les parents mettent en cause les médicaments ».
À Och, lorsqu’un nourrisson ou une mère subit un test de dépistage du VIH, le laboratoire envoie les résultats au Centre de lutte contre le sida de la ville, une belle bâtisse entourée d’arbres située dans un quartier périphérique verdoyant, dont les portes ouvertes accueillent chaleureusement les visiteurs. Les couloirs sont décorés avec des tableaux du conte populaire Vitaminka, en une sorte de bande dessinée qui aide les agents de santé et les parents à expliquer aux enfants l’importance de prendre régulièrement ses médicaments antirétroviraux.
En proposant des espaces accueillants pour les enfants et un soutien psychosocial en plus du traitement médical, le centre met à l’aise les parents et les encourage à venir régulièrement pour récupérer les médicaments prescrits et se faire dépister.
Rénové par le Ministère de la Santé en partenariat avec l’UNICEF et l’ONUSIDA et avec l’appui du gouvernement russe, le centre traite aujourd’hui plus de 200 enfants et un psychologue assure le soutien psychosocial des enfants vivant avec le VIH.
Loin des pressions sociales, dans une ambiance amicale, les parents peuvent échanger sur leurs espoirs pour l’avenir et trouvent un soutien indispensable au sein du centre.
Mme Asanova a l’air détendue en caressant son ventre du bout des doigts, sa robe vert olive contrastant avec son hijab couleur crème. Mahabad Asanova n’est pas son vrai nom, car elle s’inquiète tout de même de la stigmatisation et de la discrimination hors des murs du centre. Mais alors qu’elle attend un autre enfant, elle n’a plus peur. Quoi qu’il arrive, grâce au dépistage par prélèvement de sang desséché, elle n’aura plus à subir de longs mois d’angoisse en attendant le diagnostic.