Reportage
Décision historique de la Haute Cour de Delhi qui reconnaît que la criminalisation abusive est un obstacle à la santé, aux droits de l’homme et à la dignité
07 juillet 2009
07 juillet 200907 juillet 2009La Haute Cour de Delhi a déclaré que l’article 377 du Code pénal indien, qui criminalisait les actes sexuels entre adultes consentants dans la sphère privée, violait les droits à la vie privée, à la liberté, à la santé et à l’égalité consacrés dans la Constitution indienne. Même si cette décision a été surtout considérée comme une victoire pour les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les personnes transsexuelles, il s’agit là d’une victoire pour tous, qu’elles que soient l’orientation et l’identité sexuelle de chacun. Ce jugement est remarquable et progressiste du fait qu’il traduit le rejet d’une conception hétéronormative et homogène de la sexualité. Pour le juge Shah et le juge Muralidhar, la Constitution indienne reconnaît, protège et célèbre la diversité.
Le juge Edwin Cameron de la Cour Constitutionnelle d’Afrique du Sud, s’exprimant lors d’une réunion sur les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes à Katmandou, Népal, a déclaré : « L’admissibilité des gays et des lesbiennes est la mesure ultime montrant la capacité d’une société à considérer l’humanité dans son entièreté ainsi que son engagement pour l’égalité, la justice, la laïcité et la coexistence humaine. » Ce jugement a fait faire à la riposte de l’Inde au sida et au mouvement en faveur des droits de l’homme un bond de géant dans cette direction.
La Haute Cour de Delhi a rendu à des millions d’hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et de personnes transsexuelles en Inde leur dignité et leurs droits de l’homme. Les lois oppressives telles que l’article 377 poussent les gens dans la clandestinité, ce qui fait qu’il est beaucoup plus difficile de les atteindre au moyen des services de prévention, de traitement et de prise en charge du VIH.
M. Michel Sidibé, le Directeur exécutif de l’ONUSIDA.
« La Haute Cour de Delhi a rendu à des millions d’hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et de personnes transsexuelles en Inde leur dignité et leurs droits de l’homme », a déclaré le Directeur exécutif de l’ONUSIDA, M. Michel Sidibé. « Les lois oppressives telles que l’article 377 poussent les gens dans la clandestinité, ce qui fait qu’il est beaucoup plus difficile de les atteindre au moyen des services de prévention, de traitement et de prise en charge du VIH. »
Le jugement du juge Shah et du juge Muralidhar se fonde sur des données et repose sur les droits de l’homme. Il s’appuie sur la jurisprudence indienne et du monde entier, les déclarations et engagements internationaux, les études scientifiques et les politiques de l’ONUSIDA.
Dans son affidavit devant les juges, l’Organisation indienne de lutte contre le sida (NACO), adoptant une position contraire à celle du ministère de l’Intérieur, a affirmé que l’article 377 entravait les efforts de prévention du VIH. La NACO a indiqué que seuls 6 % des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes avaient accès aux services de prévention, de traitement, de soins et d’appui en matière de VIH car la plupart d’entre eux n’étaient pas disposés à révéler leur comportement sexuel par peur d’extorsion, de harcèlement et de violence de la part de la justice et de la police. Il a été noté que l’article 377 encourageait les personnes à rester cachées, ce qui fait qu’il leur est plus difficile d’accéder aux services de base aussi bien sociaux, de santé, que liés au VIH.
D’après Jeffrey O’Malley, Directeur du groupe VIH au PNUD, « Une criminalisation abusive constitue un obstacle majeur à la réalisation de l’accès universel. Ce jugement historique souligne l’importance de l’amélioration de l’état des droits de l’homme pour les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les personnes transsexuelles du monde entier. Nous espérons que d’autres pays suivront cette voie. La réalisation des droits de l’homme pour tous est non seulement fondamentale pour notre humanité commune, mais aussi impérative pour que la riposte au sida soit efficace et que les retombées en matière de santé et de développement soient plus larges. »
La réalisation des droits de l’homme pour tous est non seulement fondamentale pour notre humanité commune, mais aussi impérative pour que la riposte au sida soit efficace et que les retombées en matière de santé et de développement soient plus larges.
Jeffrey O’Malley, Directeur du groupe VIH au PNUD.
Selon le juge Shah et le juge Muralidhar, la criminalisation de l’homosexualité condamne à la perpétuité une partie importante de la société et l’oblige à vivre dans l’ombre du harcèlement, de l’exploitation, de l’humiliation, de traitements cruels et dégradants aux mains de la machine chargée de l’application des lois. Les juges ont cité l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, selon lequel « Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. »
Les juges ont conclu que la stigmatisation ou la criminalisation des homosexuels uniquement du fait de leur orientation sexuelle allaient à l’encontre de l’éthique de la Constitution. Le jugement énonce que la moralité ne peut pas justifier une restriction des droits de l’homme. Le juge Shah et le juge Muralidhar ont conclu que « s’il est vrai que le domaine de la protection des enfants et de toute personne ne pouvant donner un consentement valide ou le domaine des relations sexuelles non consentantes pourraient constituer “un intérêt national impérieux” sur lequel légiférer, les mesures assurant le respect des mœurs publiques ne constituent pas un “intérêt national impérieux” justifiant l’invasion dans la sphère privée d’adultes homosexuels ayant des rapports sexuels avec d’autres adultes consentants dans leur sphère privée sans intention de causer du mal à autrui. » Les juges ont cité une sommité indienne, le juge Krishna Iyer : « ... L’obligation d’humanisme constitutionnel et la supposition de la bonne foi dans la vie et la liberté ne peuvent pas être inopérantes ou fragmentaires au point qu’une majorité législative de passage en colère contre une minorité puisse, par trois brèves lectures d’un projet de loi et avec le quorum nécessaire, interdire toute modalité excessive et donc rendre stérile le mandat grandiose. »
Dans leur conclusion, les juges se sont appuyés sur l’un des principes fondamentaux de la Constitution indienne, à savoir l’universalité. « S’il y a bien une doctrine constitutionnelle sous-tendant la Constitution indienne, c’est celle de l’“universalité”. La Cour pense que la Constitution indienne reflète cette valeur profondément ancrée dans la société indienne et qui a été nourrie au fil des générations. L’universalité que la société indienne révèle généralement, littéralement dans chaque aspect de la vie, reconnaît manifestement un rôle à chacun dans la société. Les personnes que la majorité considère comme “déviantes” ou “différentes” ne sont pas exclues ou isolées pour cette raison. Lorsque la société peut faire preuve d’universalité et de compréhension, ces personnes peuvent se voir assurer une vie digne et libre de discrimination. » Pour le juge Shah et le juge Muralidhar, « le droit constitutionnel indien ne permet pas au droit pénal législatif d’être prisonnier des idées fausses sur qui sont les lesbiennes, les gays et les personnes bisexuelles et transsexuelles. On ne doit pas oublier que la discrimination est l’antithèse de l’égalité et que la reconnaissance de l’égalité promouvra la dignité de chacun. »
Dans la Déclaration politique sur le VIH/sida adoptée par les Etats membres des Nations Unies en 2006, les gouvernements se sont engagés à supprimer les obstacles juridiques et à adopter des lois visant à protéger les populations vulnérables. Les données montrent que les pays dotés de lois protégeant les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes, les consommateurs de drogues injectables et les travailleurs du sexe fournissent un meilleur accès à la prévention, au traitement, aux soins et à l’appui en matière de VIH. L’ONUSIDA et le PNUD, Coparrainant chef de file, en mettant l’accent sur l’élargissement et le renforcement des politiques et des programmes à destination des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et des personnes transsexuelles, ainsi que des programmes relatifs au VIH, aideront les pays à supprimer les lois qui empêchent une riposte efficace au sida et à accroître l’accès à la prévention, au traitement, aux soins et à l’appui en matière de VIH.
L’ONUSIDA prie instamment tous les gouvernements de garantir le plein respect des droits fondamentaux des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, des lesbiennes et des personnes transsexuelles en abrogeant les lois interdisant les actes sexuels entre adultes consentants dans la sphère privée, en adoptant des lois protégeant ces groupes d’actes de violence et de discrimination, en contribuant à des campagnes de lutte contre l’homophobie, la transphobie et la stigmatisation, et en veillant à ce que l’appui et les services sanitaires et sociaux soient disponibles et accessibles.
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