Reportage
"The First Fallen", un film d'espoir
03 novembre 2022
03 novembre 202203 novembre 2022Debout devant un cinéma, Rodrigo de Oliveira se réjouit d’avoir été invité sur plus de 40 festiva
Debout devant un cinéma, Rodrigo de Oliveira se réjouit d’avoir été invité sur plus de 40 festivals internationaux afin de promouvoir son long métrage sur le VIH, « Os Primeiros Soldados » (les premières victimes)
« Le sentiment d’appartenance à une communauté est une chose abstraite, mais j’ai vu les visages de nombreuses personnes de la communauté LGBTQI à chaque étape de la promotion de mon film », explique-t-il. « Et, d’une certaine manière, c’est ce que j’ai voulu montrer. »
Le film commence le jour de la Saint-Sylvestre 1983. Un jeune homme rentre dans sa ville natale au Brésil après avoir vécu à Paris. Il se sent un peu déprimé et distant. Il craint d’avoir attrapé quelque chose. Tout au long du film, une maladie inconnue est évoquée à mots couverts, mais le sida ou le VIH n’est mentionné que dans la dernière scène. Rodrigo de Oliveira suit la lente évolution de la santé du jeune homme qui « disparaît » et se cache dans une maison de campagne. Il y est rejoint par une femme transgenre et un autre ami qui lui non plus ne se sent pas bien. Un ami intime leur envoie plusieurs médicaments depuis Paris. Certains comprimés sont une première génération d’antirétroviraux, d’autres sont des vitamines ou à base d’aileron de requin. Les trois protagonistes ont peur d’être victimes d’une maladie qui défie la logique.
« Pour moi, l’espoir réside dans la connaissance. C’est fondamental. Mais comme vous pouvez le voir, la communauté et le soutien sont essentiels pour surmonter n’importe quelle situation », indique M. de Oliveira.
Passant sa main sur son crâne chauve, il avoue qu’il s’agit de son premier film abordant la communauté LGBTQI et le VIH après sept longs métrages.
« Mes films auront mis plus de temps que moi pour sortir du placard », s’exclame-t-il. « En 2021, je faisais mes premiers pas sur la scène en tant qu’homme gay et j’ai perdu des proches du sida. Je me suis donc senti responsable envers les personnes que j’ai vues disparaître. »
Né en 1985, M. de Oliveira explique qu'il pense toutes les semaines au VIH. Comme il le montre dans le film, le VIH était synonyme de mort dans les années 80 et 90. Cela a pris fin avec la démocratisation du traitement vital contre le VIH. Depuis, il est devenu normal de vivre en pleine forme avec le VIH.
M. de Oliveira raconte que lors d’une projection, des jeunes n’ont pas compris la scène où deux des personnages montrent des signes du sarcome de Kaposi (plaques rougeâtres plates et décolorées sur la peau, symptôme d’un cancer déclenché par un système immunitaire affaibli chez les personnes vivant avec le VIH qui ne prennent pas de médicaments).
« J’ai été surpris par ce manque de connaissances », déclare-t-il. Cette conversation l’a conforté dans son projet de montrer des destins au milieu des années 80 dans son pays d’origine.
« La communauté LGBTQI est tellement habituée à être oubliée que nous devons documenter nos vies et ce [film] est un témoignage », continue M. de Oliveira. « Dans mon film, les trois protagonistes réagissent différemment à la « maladie qui défie la logique »... l’un se bat, l’autre la documente et le troisième adopte une approche artistique/scientifique », explique-t-il.
Ces trois perspectives étaient importantes pour lui afin de documenter la peur, l’angoisse et les efforts nécessaires pour surmonter cette crise. En évoquant à peine le VIH, Rodrigo de Oliveira souhaite illustrer le « grand silence » qui entourait la maladie à l’époque.
Dans une scène, la sœur du jeune homme demande à voir son frère dans une clinique délabrée, mais le personnel l’en empêche en disant : « la honte les enfermera. »
« Je voulais parler de la stigmatisation et de la discrimination, mais je ne pouvais pas imaginer mettre en scène une agression réelle », explique-t-il.
La directrice de l’ONUSIDA pour l’égalité des sexes, les droits humains et l’engagement communautaire, Suki Beavers, qui était récemment sur scène avec M. de Oliveira lors d’une projection à Genève à l’occasion du festival du film Everybody’s Perfect, a déclaré que le film est un exemple de droits bafoués. Et que les inégalités concomitantes, comme être pauvre ou transgenre ou gay ou illettré, aggravent uniquement les difficultés (dans une scène, le personnage transgenre entre dans une colère noire après avoir été jeté d’un bus après une dispute).
« [Le film] montre une violation évidente des droits au Brésil dans les années 80, ainsi qu’une revendication militante de ces droits », a-t-elle déclaré. « Ce phénomène est aujourd’hui encore très vivace dans de nombreuses régions du monde, c’est pourquoi nous ne pouvons pas abandonner la lutte pour mettre fin au sida. »
M. de Oliveira ajoute que malgré le thème plutôt sombre de son film, il souhaite que les gens sortent du cinéma avec le sentiment que l’amour est universel. « Le baiser qu'échangent les deux nouveaux amis montre bien que nous allons réussir », indique-t-il.
Il déclare vouloir réaliser deux autres longs métrages axés sur l’évolution de la riposte au sida. Il veut faire la chronique des années 90 dans l’un et des deux dernières décennies dans l’autre.
« Il me faut quatre à cinq ans pour réaliser un film, mais je sais que je partage le même objectif que l’ONUSIDA... mettre fin au sida », conclut-il. « J’aimerais juste pouvoir faire un film par jour tout comme vous sauvez une vie par jour. »