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Une logistique vitale en Ukraine

14 avril 2022

Le 10 avril, Tetyana Pryadko (nous avons changé son nom) reçoit un appel de son médecin annonçant que sa thérapie antirétrovirale contre le VIH est arrivée. Cet appel est très important pour Tetyana, car elle suit un traitement depuis 10 ans sans interruption. Or il lui reste des médicaments pour seulement cinq jours. Elle vit à Chernihiv, une ville sur la ligne de front coupée des chaînes d’approvisionnement habituelles qui permettaient jusque-là à Tetyana d’obtenir régulièrement son traitement anti-VIH.

Avant le déclenchement du conflit, la thérapie antirétrovirale était en effet très facilement disponible en Ukraine. Larisa Getman, directrice du service Gestion et riposte au VIH du Centre de santé publique du ministère ukrainien de la Santé, a expliqué que « l’État a obtenu la majorité des thérapies antirétrovirales par l’intermédiaire de l’Agence nationale des marchés publics. » 100% LIFE est la plus grande organisation de personnes vivant avec le VIH en Ukraine. Elle assure l’approvisionnement en matériel médical dans le cadre des projets du Fonds mondial et gère l’aide humanitaire dans le cadre des programmes du PEPFAR, y compris l’approvisionnement d’urgence en antirétroviraux.

Valeria Rachinskaya, responsable des Droits humains, du genre et du développement communautaire chez 100% LIFE, suit elle-même une thérapie antirétrovirale depuis de nombreuses années. Elle explique que la pandémie de COVID-19, contre toute attente, a amélioré le respect du traitement, car il est devenu courant de disposer chez soi d’un stock de médicaments pour plusieurs mois et que la thérapie est envoyée à celles et ceux qui n’ont pas accès à un établissement de soin. Les téléconsultations et l’utilisation généralisée des applications mobiles font également partie du quotidien.

« Au début de la guerre, les gens n’étaient pas sans médicaments. Le pire a été pour la population des villes les plus touchées par les bombardements, où non seulement les installations médicales ont été détruites, mais dont les chaînes logistiques ont également été interrompues », indique-t-elle.

« Avant la guerre, l’ensemble du processus d’approvisionnement et de livraison était assez facile en Ukraine », explique Evgenia Rudenka, responsable du département Approvisionnement de 100% LIFE. « Les livraisons arrivaient à l’aéroport, nous nous occupions des formalités dans notre entrepôt et nous les distribuions. Mais la guerre est arrivée et il est devenu urgent de déterminer comment assurer la livraison de ces médicaments dans le pays et, surtout, comment les mettre à disposition des patients et patientes. Dès les premiers jours de la guerre, nous avons ainsi élaboré ces mécanismes avec nos partenaires. »

À la demande du Centre de santé publique ukrainien, avec l’appui de l’USAID et du CDC, le Plan d’urgence du président des États-Unis pour la lutte contre le sida (PEPFAR) a accepté de contribuer à l’approvisionnement d’urgence en thérapie antirétrovirale. Chemonics, une agence du PEPFAR responsable des achats, a recherché dans le monde entier des stocks disponibles et a réservé du matériel vital.

Grâce au soutien de l’Union européenne qui a immédiatement mis au point les procédures spéciales de transit de l’aide humanitaire pour l’Ukraine, les livraisons ont commencé à se mettre en place à partir de pays voisins, principalement la Pologne et la Roumanie. « Grâce au soutien des chemins de fer, nous avons organisé l’enlèvement des marchandises dans une autre gare que celle du point de livraison central de la plupart des services d’aide humanitaire destinés à l’Ukraine. L’objectif était d’organiser immédiatement la distribution aux régions. (Étant donné qu’énormément de matériel humanitaire provenant de différents pays passe par l’Agence d’État pour les réserves stratégiques de Pologne, il est assez difficile d’avoir accès immédiatement aux livraisons.) Nous faisons donc appel à une entreprise de logistique capable de livrer des marchandises en Ukraine sous le régime du transit humanitaire, dans un entrepôt à Lviv, d’où nous pouvons effectuer la distribution immédiate », a déclaré Mme Rudenka.

La partie la plus difficile et la plus importante du processus est la livraison dans toute l’Ukraine, y compris sur le front.

Selon Mme Rudenka, de nombreuses entreprises de logistique ont cessé leurs activités à cause de la guerre, et celles encore actives ont multiplié par deux ou trois le coût de leurs services.

Les entreprises commerciales ne sont pas prêtes à se rendre dans des villes telles que Kharkiv, Kherson ou Mykolaiv, mais des bénévoles, travaillant en coordination avec les autorités locales, s’y rendent pour évacuer des gens et livrer des médicaments et d’autres articles.

« Dans les zones de combat, les bénévoles déchargent, par exemple, au siège de l’administration régionale, puis nous contactons les institutions médicales qui sont les destinataires finaux et nous leur disons où récupérer la livraison », explique-t-elle.

Néanmoins, plusieurs bénévoles ont été victimes d’attaques et quatre ont perdu la vie.

« La situation des personnes vivant avec le VIH en Ukraine est accablante. Nous essayons de fournir des médicaments, de la nourriture et de l’aide d’urgence sous d’autres formes aux personnes dans le besoin, mais le travail est dangereux et les bénévoles mettent leur vie en jeu. Si nous n’obtenons pas plus d’aide, je ne sais pas combien de temps nous pourrons continuer, en particulier pour atteindre les gens en première ligne », a déclaré le responsable du conseil de coordination de 100% LIFE, Dmytro Sherembey.

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Press Release

L’ONUSIDA tire la sonnette d’alarme : la guerre en Ukraine risque de déclencher une catastrophe humanitaire pour les personnes vivant avec le VIH et touchées par le virus

Appel urgent lancé pour intensifier considérablement l’aide internationale afin de soutenir les efforts héroïques des réseaux dirigés par la société civile qui œuvrent pour atteindre les personnes suivant une thérapie antirétrovirale 

GENÈVE, le 13 avril 2022—La guerre en Ukraine entraîne la destruction et la perturbation des services de santé et des chaînes logistiques dont dépend la survie de centaines de milliers de personnes vivant avec le VIH et touchées par le virus. Plus d'un quart de million d'Ukrainiens vivent avec le VIH. Si jamais l’accès au traitement antirétroviral et aux services de prévention devait manquer, cela pourrait entraîner une vague de décès et une résurgence de la pandémie de sida dans le pays. L’action des réseaux dirigés par les communautés est essentielle pour maintenir des services vitaux et ces organisations ont besoin de toute urgence que l’aide internationale passe à la vitesse supérieure.  

Plus de 40 établissements de santé qui proposaient des services de traitement, de prévention et de soins anti-VIH avant le conflit sont désormais fermés, et les activités d’autres sites sont perturbées à plus ou moins grande échelle. Au 11 avril, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) avait recensé plus de 100attaques contre des établissements de santé en Ukraine, tandis que les voies d’approvisionnement au sein du pays sont désorganisées. Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance signale que les attaques contre les infrastructures d’eau et les coupures de courant ont privé totalement d’accès à l’eau 1,4 million de personnes, tandis que 4,6 millions supplémentaires n’y ont plus qu’un accès limité. De son côté, la Banque mondiale a déclaré s’attendre à ce que l’économie ukrainienne recule de 45 % cette année, ce qui constitue une menace désastreuse pour la pérennité des programmes sociaux et de santé essentiels. 

Une première livraison de plus de 18 millions de doses de médicaments antirétroviraux vitaux fournies par le Plan d’urgence du Président des États-Unis pour la lutte contre le sida (PEPFAR) est arrivée à Lviv la semaine dernière. Sa distribution est en cours en partenariat avec le Centre de santé publique du ministère de la Santé ukrainien et 100 % Life, la principale organisation de personnes vivant avec le VIH en Ukraine. À condition qu’ils puissent atteindre les personnes qui en dépendent, ces médicaments suffiront à couvrir pendant six mois les besoins de toutes les personnes séropositives sous traitement de première intention. Cette première tranche fait partie de l’engagement du PEPFAR de financer les besoins de traitement anti-VIH pour 12 mois en Ukraine. Avant l’éclatement de la guerre, l’ONUSIDA estimait à 260 000 le nombre de personnes séropositives dans le pays, dont 152 000 qui prenaient quotidiennement des médicaments contre le VIH.  

Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme (Fonds mondial) apporte également un financement d’urgence pour assurer la continuité des services vitaux de lutte contre le VIH et la tuberculose. 

Aujourd’hui, l’accent est mis sur la livraison rapide de médicaments primordiaux contre le VIH à toutes les personnes qui en ont besoin. Les organisations de la société civile déploient des efforts héroïques pour fournir des articles médicaux et des services anti-VIH essentiels aux personnes vivant avec le VIH et touchées par le virus, y compris aux populations vulnérables. Malgré les énormes obstacles auxquelles elles sont confrontées, elles vont à la rencontre des personnes vivant dans des endroits extraordinairement difficiles d’accès. Mais les organisations de la société civile dont dépend ce système de livraison et de soins ne pourront pas continuer leur action sans un renforcement de l’aide internationale.  

« La situation des personnes vivant avec le VIH en Ukraine est accablante. Nous essayons de fournir des médicaments, de la nourriture et de l’aide d’urgence sous d’autres formes aux personnes dans le besoin, mais le travail est dangereux et les bénévoles mettent leur vie en jeu », a déclaré le responsable du conseil de coordination de 100 % Life, Dmytro Sherembey. « Si nous n’obtenons pas plus d’aide, je ne sais pas combien de temps nous pourrons continuer, en particulier pour atteindre les gens dans les zones de première ligne. » 

L’ONUSIDA a débloqué un premier fonds d’urgence de 200 000 $US pour répondre aux demandes humanitaires et programmatiques urgentes dans sept centres de l’épidémie de VIH (Chernihiv, Dnipro, Kharkiv, Kryvy Rih, Kiev, Odessa et Poltava). Dans le cadre de l’augmentation au sens large de l’aide nécessaire, elle demande de toute urgence à la communauté internationale de fournir 2 420 000 $US supplémentaires en faveur des organisations de la société civile fournissant des services anti-VIH en Ukraine et de celles qui accueillent des réfugiées et réfugiés touché-es par le VIH dans d’autres pays.  

« Les organisations de la société civile et les communautés de personnes vivant avec le VIH et touchées par le virus forment la base de la riposte au VIH en Ukraine », a expliqué la directrice exécutive de l’ONUSIDA, Winnie Byanyima. « Elles ont besoin sans attendre d’un soutien financier et logistique supplémentaire pour assurer la continuité des programmes de traitement, de soins et de prévention du VIH. Nous encourageons l’ensemble des donateurs et donatrices à participer au maintien de ces services pour sauver des vies et prévenir une résurgence de la pandémie de sida en Ukraine. »  

La seule raison pour laquelle la riposte contre le VIH est capable de fournir encore des services aux personnes même au milieu des horreurs de la guerre est que l’Ukraine a choisi une approche moderne qui repose sur un partenariat entre les services publics et ceux des communautés. Mais les réseaux de la société civile, dont la créativité et le courage sont essentiels aux services anti-VIH, ne pourront pas garantir encore longtemps la continuité des opérations au niveau nécessaire sans une aide internationale plus importante.  

Aujourd’hui, il reste extrêmement difficile d’apporter les équipements et les services médicaux aux groupes vulnérables. L’ONUSIDA travaille dans ce domaine avec des partenaires humanitaires en Ukraine et dans le monde en vue de faire émerger des solutions d’urgence pour fournir une aide médicale et humanitaire à des centaines de milliers d’Ukrainiens et d’Ukrainiennes.  

L’Alliance for Public Health s’efforce de fournir l’aide d’urgence nécessaire pendant le conflit. Elle utilise des minibus pour répondre aux besoins humanitaires impératifs, notamment en évacuant des populations vulnérables et en assurant des livraisons de nourriture et de médicaments. Les communautés en première ligne de la riposte font des efforts incroyables pour rester en contact avec les personnes. Par exemple, des cliniques mobiles ont été déployées par l’Alliance for Public Health pour proposer un traitement de substitution aux opioïdes aux toxicomanes dans les zones où les établissements ont été contraints de fermer. L’ONUSIDA travaille également avec le Fonds mondial et un coparrainant de l’ONUSIDA, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, pour obtenir davantage de traitement substitutif aux opiacés. 

Le conflit a déjà forcé des millions d’Ukrainiens et d’Ukrainiennes à quitter le pays et des milliers de femmes et d’enfants ukrainiens vivant avec le VIH ont besoin d’aide dans les pays d’accueil. Les réseaux de la société civile soutenus par les coparrainants et les partenaires de l’ONUSIDA aident les populations réfugiées à accéder à la thérapie antirétrovirale en République de Moldavie et dans toute l’Union européenne.  

L’OMS a aidé à parvenir à un accord avec le groupe pharmaceutique ViiV Healthcare portant sur des dons de médicaments anti-VIH à la Pologne, à la République tchèque et à d’autres pays de l’Union européenne accueillant un grand nombre de personnes réfugiées d’Ukraine.  

L’ONUSIDA enjoint également à la communauté internationale d’aider les centres d’hébergement de réfugié-es à renforcer leur soutien aux personnes les plus exposées aux risques, notamment en élargissant les services psychosociaux, de traitement et de prévention du VIH et ceux liés à la violence sexiste. Un coparrainant de l’ONUSIDA, l’ONU Femmes, a déclaré que les abus sexuels et les actes de trafic d’êtres humains signalés en Ukraine indiquaient une crise de protection de la population. L’ONUSIDA met en garde contre l’augmentation des risques pour les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées. 

Mme Byanyima a réitéré l’appel des Nations Unies à mettre fin à la guerre. « La paix est ce dont nous avons besoin en premier », a déclaré Mme Byanyima. « La guerre en Ukraine doit cesser. Maintenant. Il n’y aura pas d'amélioration sans l’arrêt de ce conflit. Et même lorsqu’il sera terminé, les besoins en aide seront considérables. Cette guerre met gravement en danger la population ukrainienne vivant avec le VIH. Les réseaux d’intervention dirigés par la société civile pour les services anti-VIH risquent leur vie pour en sauver d’autres. Ils ont besoin de tout le soutien possible. » 

Ligne Info VIH en Ukraine : 0800 500 451. 

Le site de l’initiative ART Initiative for Ukrainians Abroad, établie en coordination avec le Centre de santé publique de l’Ukraine, apporte une assistance supplémentaire aux personnes réfugiées ukrainiennes vivant avec le VIH. Des données plus précises sur la localisation et les besoins des personnes vivant avec le VIH en Ukraine et de celles qui sont forcées de fuir le pays sont en cours de collecte.

Contact

UNAIDS Geneva
Michael Hollingdale
tel. +41 79 500 2119
hollingdalem@unaids.org

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La militante ukrainienne Anastasiia Yeva Domani explique à l’ONUSIDA comment la communauté transgenre fait face à la guerre en Ukraine

30 mars 2022

Anastasiia Yeva Domani est directrice de l’association Cohort, experte du Groupe de travail des personnes transgenres sur le VIH et la santé en Europe de l’Est et en Asie centrale, et représentante de la communauté transgenre au Conseil national ukrainien sur le VIH/sida et la tuberculose.

L’ONUSIDA a parlé avec elle pour savoir comment elle et la communauté transgenre au sens large vont depuis l’attaque russe contre l’Ukraine.

Parlez-nous un peu de vous et de la communauté transgenre en Ukraine

Je suis la directrice de Cohort, une organisation pour les personnes transgenres. Cohort existe depuis environ deux ans, même si je milite depuis plus de six ans. Selon le Centre de santé publique du ministère ukrainien de la Santé, avant la guerre, environ 10 000 personnes transgenres vivaient dans le pays, bien que ce chiffre soit sûrement sous-estimé, car de nombreuses personnes transgenres ne communiquent pas ouvertement leur identité de genre. Beaucoup ne demandent de l’aide qu’en cas de crise, comme c’était le cas pendant la pandémie de COVID-19, et aujourd’hui à nouveau avec la guerre. À présent, nous recevons des demandes d’aide de la part de personnes dont nous n’avons jamais entendu parler auparavant, des personnes qui ont un besoin urgent d’assistance humanitaire, financière et médicale.

L’Ukraine a créé l’environnement le plus favorable aux personnes transgenres parmi tous les pays postsoviétiques en ce qui concerne le changement des documents officiels, ainsi que les aspects juridiques et médicaux de la transition entre les sexes. C’est loin d’être parfait, mais d’autres organisations et nous-mêmes avons fait notre maximum pour améliorer la situation. Depuis 2019, les personnes transgenres sont représentées au Conseil national ukrainien sur le VIH/sida et la tuberculose.

Quelle était la situation pour les personnes transgenres au début de la guerre ?

En 2016, un nouveau protocole clinique pour les soins médicaux de la dysphorie sexuelle a été adopté en Ukraine, ce qui a grandement facilité la partie médicale de la transition entre les sexes. Grâce à lui, des personnes ont pu recevoir l’année suivante des attestations de changement de sexe.

Cependant, de nombreuses personnes transgenres n’ont pas encore modifié tous leurs papiers. Certaines personnes ne les ont pas du tout changés, d’autres n’en ont changé que quelques-uns et seulement très peu d’entre elles ont tout changé, y compris leur permis de conduire, leurs diplômes et ceux liés à l’enregistrement et à l’enrôlement dans l’armée. Nous avions signalé ce problème et nous avons maintenant une guerre. De nombreuses personnes transgenres ne savaient pas qu’elles devaient se désinscrire au bureau d’enregistrement militaire.

En raison de la loi martiale, les hommes âgés de 18 à 60 ans ne peuvent pas quitter le territoire de l’Ukraine s’ils n’ont pas l’autorisation du bureau d’enregistrement et d’enrôlement militaires. Nous avons beaucoup de personnes non binaires qui ont des papiers pour un homme et qui ne peuvent donc pas fuir.

Avec le déclenchement de la guerre, de nombreuses personnes transgenres sont parties dans l’ouest de l’Ukraine. Mais si vos papiers indiquent que vous êtes un homme, vous ne pouvez pas quitter l’Ukraine.

Quelle est la situation actuelle et sur quels aspects concentrez-vous votre travail ?

En raison de la guerre, nous n’avons plus personne dans certaines villes. Kharkiv comptait le plus grand nombre d’activistes transgenres après Kiev, notamment parce que beaucoup avaient quitté les régions occupées de Luhansk et Donetsk en 2014. Et maintenant, ces personnes doivent à nouveau se déplacer. Aucune information ne nous est parvenue sur la mort de personnes transgenres, mais je pense que c’est uniquement parce que nous n’avons aucun contact avec certaines villes, comme Mariupol. Beaucoup n’ont tout simplement pas eu le temps de quitter la ville avant que cela ne devienne impossible. J’ai peur que les chiffres ne soient terribles, il faudra juste du temps pour comprendre ce qui s’est passé là-bas.

Un travail important est en cours à Odessa. Nous y avons deux Yulias, des femmes transgenres qui apportent une aide incroyable à la communauté. Elles ont pris en charge des pans entiers de l’assistance et du financement. À Odessa, la situation des hormones et les médicaments est meilleure. Nous avons également toujours une coordinatrice à Dnipro, elle fait aussi un travail considérable.

Notre travail se concentre désormais sur l’assistance financière, médicale et juridique aux personnes transgenres qui se trouvent en Ukraine, où qu’elles soient, dans l’ouest de l’Ukraine, dans des abris ou des appartements, ou dans leurs villes sous les bombes. Tout le monde a peur, mais il faut quand même se raccrocher à quelque chose en soi et essayer de se battre. Je ne pense pas que tout le monde devrait partir. Je comprends que beaucoup de gens ont une dent contre la société, l’État. Pendant de nombreuses années, ils ont vécu comme des victimes. Pour beaucoup, il n’y a rien qui les retient ici, ni travail ni logement.

Qui vous soutient financièrement ?

Nous avions des projets prévus pour 2022, et littéralement le premier ou le deuxième jour de la guerre, les représentants de nos donateurs ont déclaré que l’argent pouvait être utilisé non seulement pour les projets programmés, mais aussi pour l’aide humanitaire. Il s’agissait notamment de RFSL, en Suède, qui a abordé ce problème de la manière la plus flexible possible et nous a permis non seulement d’utiliser l’argent du projet, mais aussi d’envoyer de l’argent directement à nos coordinateurs et coordinatrices afin de leur permettre de payer pour des gens le logement, les déplacements, etc.

Ensuite, GATE (Global Action for Trans Equality) a immédiatement déclaré que leurs fonds pouvaient être utilisés pour l’aide humanitaire et a promis des fonds supplémentaires. La Public Health Alliance, par l’intermédiaire du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, nous a autorisés à modifier le budget et la nature des activités prévues.

Nous allons maintenant faire ce que nous pouvons dans le contexte de la guerre, et la mobilisation de la communauté se poursuivra à Dnipro, Odessa, Lviv et Chernivtsi. De nouveaux partenaires ont fait leur apparition et ont immédiatement répondu à nos besoins.

Chaque jour, j’utilise des fonds d’OutRight Action pour répondre aux besoins humanitaires des personnes transgenres, ainsi que des fonds de LGBT Europe. Il y a aussi des dons privés, pas de grosses sommes, bien sûr, mais ils existent également.

À quoi ressemble une journée type pour vous ?

Ma journée est pleine d’échanges avec des journalistes de médias d’envergure. Je vais également au supermarché faire des courses que je distribue aux personnes qui en ont besoin. J’ai des formulaires Google dans lesquels je peux voir les demandes d’aide.

Je gère les demandes de consultations avec deux spécialistes en psychologie et en endocrinologie qui continuent de travailler en Ukraine. Je reçois de nombreuses questions concernant le passage de la frontière et je fournis des informations sur la manière de communiquer avec le bureau d’enregistrement militaire et sur les documents nécessaires pour se désinscrire.

Je reçois beaucoup d’appels, donc je dois recharger mon téléphone cinq fois par jour. Je possède deux comptes Instagram, deux comptes Facebook, trois adresses e-mail, Signal, WhatsApp, etc. Je dois être constamment joignable. Je dois également prévoir du temps pour faire la queue pendant deux heures au bureau de poste. Cela me fait perdre énormément de temps, mais les gens ont besoin que je leur envoie des médicaments. J’ai également besoin de garder du temps pour suivre l’actualité, je dois savoir ce qui se passe en première ligne, dans les villes.

Qu’est-ce qui vous donne de la force ?

Jusqu’à ce que ma famille et mon enfant quittent la ville, je ne pouvais pas travailler en paix.

Je suis actuellement à Kiev. Au cours des 10 premiers jours de la guerre, j’étais sous le choc et j’avais peur, nous vivions littéralement une heure à la fois. Maintenant que nous nous sommes habitués au danger, je n’ai plus peur. Si c’est mon destin, alors je l’accepte. Je ne descends plus dans l’abri. J’ai tant de travail, tant de demandes d’aide, d’appels, de consultations qui arrivent chaque minute.

Je suis née ici, à Kiev, c’est ma ville natale. Je me suis rendu compte que lorsque votre pays est dans une mauvaise passe, il faut rester. Je ne peux pas m’enfuir, ma conscience ne m’y autorisera pas. Je ne peux pas, car je sais que ma ville doit être protégée. Il n’est pas nécessaire d’être dans l’armée pour aider. Il y a la défense militaire, mais il y a aussi le bénévolat. L’aide humanitaire, c’est beaucoup de travail.

Qu’est-ce qui me donne de la force ? Parce que c’est mon pays, je sais que celles et ceux qui peuvent faire quelque chose, sur n’importe quel front, sont là. Nous pouvons le faire partout, tout le monde peut apporter sa contribution, faire quelque chose d’utile, et cela me donne le sentiment d’être nécessaire, un sentiment que nous pouvons réussir tellement de choses ensemble.

Press Statement

Les partenaires de santé redoublent d'efforts pour obtenir des médicaments et des services vitaux anti-VIH pour les personnes touchées par la guerre en Ukraine

Alors que les livraisons de traitement antirétroviral arrivent, les obstacles se multiplient pour les remettre aux personnes qui en ont besoin

GENÈVE, le 5 avril 2022—La guerre en Ukraine a déclenché une crise humanitaire catastrophique. Le nombre de décès et de blessé-es, de destructions de villes et d’agglomérations entières et d’attaques inadmissibles contre des établissements de santé et d’autres cibles civiles ne cesse d’augmenter. Tout cela met gravement en danger la population ukrainienne vivant avec le VIH.

« Il devient de plus en plus difficile pour les personnes d’accéder aux soins dont elles ont besoin, y compris les services anti-VIH », a déclaré la directrice exécutive de l’ONUSIDA, Winnie Byanyima. « Avant l’éclatement de la guerre, l’ONUSIDA estimait à 260 000 le nombre de personnes séropositives en Ukraine, dont 152 000 qui prenaient quotidiennement des médicaments contre le VIH. Le VIH ne peut pas être soigné. Sans accès aux médicaments antirétroviraux, les personnes vivant avec le VIH mourront. »

L’Organisation mondiale de la Santé estime qu’il y a eu 82 attaques distinctes contre des hôpitaux, des ambulances et des médecins en Ukraine depuis le début de la guerre, tuant 72 personnes et blessant au moins 43 personnes. Près de 50 % des pharmacies ukrainiennes sont potentiellement fermées et nombre de professionnel-les de santé sont déplacé-es ou incapables de travailler.

L’ONUSIDA et ses coparrainants, l’OMS et l’UNICEF, ainsi que USAID, le PEPFAR et le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme œuvrent pour fournir aux personnes séropositives en Ukraine des médicaments pour 12 mois. Une livraison de 209 000 traitements antirétroviraux pour 90 jours est arrivée à Lviv, en Ukraine, afin d’être apportée aux personnes qui en ont besoin. Cependant, la distribution dans le pays risque d’être difficile, en particulier dans les zones de conflit. L’ONUSIDA appelle au respect et à la protection des corridors humanitaires pour permettre la distribution de l’aide humanitaire et un passage sans danger des civils vers des zones où il n’y a pas de combats.

Le Secrétaire général des Nations Unies a appelé à garantir « un accès sans entrave à toutes les personnes et communautés touchées » et à mettre fin à la guerre.

« Grâce à des efforts remarquables de la société civile et du gouvernement, la plupart des sites fournissant un traitement antirétroviral fonctionnent encore au moins en partie, mais la guerre a perturbé les chaînes d’approvisionnement et l’accès des patients et patientes à ces sites », a déclaré Mme Byanyima. « Les partenaires sur le terrain s’efforcent de fournir des médicaments essentiels aux personnes en faisant attention à la sécurité. La souplesse dont dispose la société civile pour atteindre les personnes est primordiale et des fonds sont nécessaires de toute urgence pour soutenir et renforcer ces liens vitaux. »  

L’ONUSIDA a lancé un appel à financement pour aider les personnes vivant avec le VIH et les populations clés à accéder aux services anti-VIH et aux besoins humanitaires de base, y compris la fourniture ininterrompue d’un traitement anti-VIH et des services de réduction des risques tels que le traitement de substitution aux opioïdes (TSO – un traitement efficace contre la dépendance aux opiacés). Les personnes vivant avec le VIH sont invitées à contacter la ligne Info VIH en Ukraine* pour obtenir plus d’informations sur la disponibilité du traitement anti-VIH.

Plusieurs prisons ne sont plus contrôlées par le gouvernement ukrainien. Les personnes incarcérées dans le besoin doivent avoir accès à un traitement antirétroviral contre le VIH ou un TSO (en cas de dépendance aux opiacés).

Plus de 4 millions de personnes ont fui l’Ukraine depuis le début de la guerre. On estime que jusqu’à 1 % des réfugiés et réfugiées pourraient vivre avec le VIH et avoir besoin de services anti-VIH. L’ONUSIDA et ses coparrainants, l’OMS et l’UNHCR, ont tenu des discussions avec les pays riverains de l’Ukraine : la Roumanie, la Slovaquie, la Moldavie, la Hongrie et la Pologne. Au cours de ces échanges, ils ont informé les gouvernements respectifs et les responsables de la santé sur les besoins des réfugié-es vivant avec le VIH ainsi que sur l’importance de fournir des services de prévention du VIH.

Dans le cadre des efforts visant à assurer la continuité du traitement du VIH, l’OMS,  coparrainant de l’ONUSIDA, a contribué à un accord avec le groupe pharmaceutique ViiV Healthcare portant sur des dons de médicaments anti-VIH à la Pologne, à la République tchèque et à d’autres pays de l’Union européenne accueillant un grand nombre de personnes réfugiées venant d’Ukraine. Le site de l’initiative ART Initiative for Ukrainians Abroad, établie en coordination avec le Centre de santé publique ukrainien, apporte une assistance supplémentaire aux personnes réfugiées ukrainiennes vivant avec le VIH.

L’Organisation mondiale de la Santé travaille avec le Centre de santé publique ukrainien sur la collecte de données, tout en préservant la confidentialité, afin de comprendre où se trouvent les personnes vivant avec le VIH touchées par la guerre et quels sont leurs besoins. Il n’existe actuellement aucune donnée précise sur les mouvements de personnes séropositives qui ont déjà quitté le pays.

L’ONUSIDA surveille la situation et travaille en étroite collaboration avec les organisations de la société civile pour aider les réfugié-es et les personnes vivant avec le VIH en Ukraine. L’ONUSIDA œuvre également pour garantir que les personnes issues des populations clés, notamment les membres de la communauté LGBTI, encore en Ukraine ou ayant fui le pays, ont accès à l’aide humanitaire. 

*Ligne Info VIH en Ukraine : 0800 500 451

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Sophie Barton-Knott
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« Avec les milliards dépensés pour cette guerre dénuée de sens, l’humanité pourrait trouver un remède contre le VIH, mettre fin à la pauvreté et résoudre d’autres crises humanitaires »

23 mars 2022

Yana Panfilova est Ukrainienne et est née avec le VIH. À 16 ans, elle a créé Teenergizer, une organisation de la société civile qui vient en aide aux adolescentes, adolescents et jeunes vivant avec le VIH en Ukraine. Teenergizer s’est internationalisée en 2016 et elle milite pour les droits des ados et des jeunes en Ukraine et dans sept villes de cinq pays d’Europe de l’Est et d’Asie centrale. En 2019, l’organisation a commencé à fournir des consultations par des pairs et une assistance psychologique aux ados. Elle a formé plus de 120 psychologues-conseils sur Internet pour soutenir les jeunes dans toute la région. En juin 2021, Yana Panfilova est intervenue lors de l’ouverture de la Réunion de haut niveau de l’Assemblée générale des Nations Unies sur le VIH/sida. Lorsque la guerre a commencé en Ukraine, elle a quitté Kiev avec sa famille et s’est rendue à Berlin, en Allemagne, où elle poursuit son travail pour aider les jeunes vivant avec le VIH dans son pays.

Pourquoi et comment avez-vous quitté Kiev ?

Dans les jours qui ont suivi le début de l’invasion russe, j’ai compris que nous devions prendre une décision qui allait bouleverser nos vies. Des gens avec des mitraillettes patrouillaient dans les rues. J’ai dû convaincre ma mère de partir, car elle était réticente. Nous avons fait nos valises en moins d’une heure, nous sommes allées à la gare de Kiev, nous avons laissé notre voiture là-bas et nous sommes montées dans le premier train que nous pouvions trouver. La gare était pleine de gens, de mères, d’enfants, de pères et de frères qui faisaient leurs adieux à leur famille, et beaucoup de gens étaient paniqués. Nous sommes restées debout 12 heures dans le train, avec nos valises et notre chat. Lorsque notre grand-mère nous a retrouvées au premier arrêt, nous avons traversé ensemble l’Ukraine avec son chien, puis nous sommes passées en Pologne avant d’arriver à Berlin. Le voyage a duré sept jours en tout. C’était le voyage le plus long et le plus difficile de ma vie. Je n’avais pas l’intention de laisser ma superbe ville de Kiev sans savoir où nous allions arriver. Aujourd’hui, nous sommes ici à Berlin, réfugiées, en sécurité, mais nous avons toujours du mal à croire ce que nous avons vécu et ce que vit le peuple ukrainien. Mais au moins, nous sommes en sécurité et ensemble : ma mère, ma grand-mère et son chien, ainsi que moi et mon chat. J’ai eu la chance d’avoir emporté suffisamment de traitement antirétroviral pour tenir environ deux mois.

Êtes-vous bien installée à Berlin ?

Je vis toujours dans l’incertitude, comme c’est le cas pour des millions d’autres femmes et enfants qui ont fait ce voyage depuis l'Ukraine. Mais toutes les personnes que nous avons rencontrées à chaque étape de ce périple ont été vraiment gentilles et accueillantes. Nous sommes en train de clarifier les questions juridiques pour rester ici à Berlin les prochaines semaines, ainsi que la manière dont nous pouvons accéder aux services médicaux et sociaux de la ville. Nous ne savons même pas avec certitude comment louer un appartement. Nous avons pris rendez-vous en ligne avec les services de la ville de Berlin pour éclaircir ces détails avec eux. Ils essaient de me fournir une assurance médicale afin que je puisse accéder aux soins médicaux et poursuivre sans interruption mon traitement anti-VIH.

Je suis également en contact avec la Berliner Aids-Hilfe, l’une des plus anciennes organisations non gouvernementales de lutte contre le VIH en Europe. Depuis la guerre en ex-Yougoslavie, elle a beaucoup d’expérience dans le travail avec des migrants et migrantes qui vivent avec le VIH. L’équipe est incroyable. Elle est prête à m’aider à trouver une thérapie antirétrovirale ainsi qu’à apporter une solution aux autres besoins que les Ukrainiens et Ukrainiennes vivant avec le VIH auront ici à Berlin.

Vous êtes donc plus ou moins en sécurité maintenant. Comment vont les autres jeunes de Teenergizer ?

La plupart des ados vivant avec le VIH et membres de l’association ont déjà quitté l’Ukraine et sont désormais en Estonie, en Allemagne, en Lituanie, en Pologne et dans d’autres pays. Nous sommes quotidiennement en contact avec la plupart. Certains de nos activistes ont choisi de rester avec leurs parents à Kiev et dans d’autres villes qui sont la cible d’attaques. Nous étudions les dernières informations et essayons de savoir où se trouve tout le monde et si chacun, chacune est en sécurité. Mais ce n’est pas quelque chose de facile ou rapide. Tout le monde essaie en ce moment de survivre et de rester en contact. Notre personnel, nos pairs-éducateurs et éducatrices, ainsi que notre clientèle vivent désormais dans différents pays, chacun avec des lois, des régimes de traitement et un accès à Internet différents. Les personnes toujours à Kiev sont en lien avec nos partenaires qui continuent d’offrir un accès à une thérapie antirétrovirale et à l’aide humanitaire d’urgence. La plupart de nos psychologues-conseils fournissent toujours une assistance en ligne aux personnes qui en ont le plus besoin.

Quels problèmes rencontrez-vous pour rester à Berlin ?

Les Berlinois-es et l'ensemble des Allemand-es que nous rencontrons depuis notre arrivée ont fait preuve d'une incroyable gentillesse et d'un sens de l'accueil phénoménal. Nous en sommes très reconnaissantes. Je sais que toutes les villes d’Europe s’efforcent d’aider des millions de compatriotes, mais je ne pense pas que nous aurions pu trouver un endroit plus sûr et plus tolérant que Berlin.

Bien entendu, nos problèmes les plus pressants sont de nature juridique en lien avec le statut temporaire ici, puis viennent les questions concernant l’accès aux soins médicaux et au traitement antirétroviral. La troisième grande question concerne le logement. Je n’aurais jamais imaginé que la question du logement serait si importante ou si usante mentalement. Les associations locales de bénévoles nous aident 24 heures sur 24 et des millions d’Européen-nes nous ouvrent les portes de leur foyer. Mais pour les centaines de milliers de personnes restées en Ukraine, qui vivent encore dans des entrepôts, des abris et d’autres hébergements temporaires, ne pas avoir d’endroit digne du nom de logement temporaire peut plomber le moral.

Selon vous, qu’est-ce qui est le plus important pour continuer maintenant ?

Quelle que soit l’évolution de la guerre, nous devons continuer à nous serrer les coudes au sein de la famille Teenergizer. En Ukraine, nous avons passé des années à lutter pour la protection de la santé et des droits des jeunes vivant avec le VIH. Et maintenant, il semble que beaucoup de nos victoires chèrement acquises ont disparu du jour au lendemain. Au milieu de cette crise, nous devons continuer à défendre nos droits et nous concentrer sur les besoins urgents auxquels sont confrontés les membres les plus vulnérables de notre réseau Teenergizer. J’ai beaucoup de chance d’être en vie et de me trouver ici en sécurité sous la protection de l’Allemagne. Mais bon nombre de nos proches se trouvent toujours à Kiev et dans d’autres villes d’Ukraine et se battent pour défendre leur vie et notre pays. Un bon nombre n’a pas les moyens de quitter le pays et d’autres ne veulent pas laisser leur maison et leur famille. Aujourd’hui plus que jamais, ces gens ont besoin de notre soutien et de savoir que nous continuerons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour les aider quand c'est le plus nécessaire.

Premièrement, nous devons les aider à traverser cette nouvelle crise et préserver les services vitaux : le traitement du VIH pour les cas urgents, ainsi que les services de prévention et de dépistage. Deuxièmement, pendant cette crise, nous devons continuer à fournir aux jeunes des services de santé mentale, en particulier des consultations menées par des pairs. Dans notre région, le VIH est plus un problème social qu’un problème de santé. Aujourd’hui, en Ukraine, les jeunes vivant avec le VIH sont confrontés à trois crises : une crise sanitaire, une crise sécuritaire, ainsi qu’une crise liée au stress et à la dépression graves causés par la guerre. Les psychologues appellent cela le stress post-traumatique. Ce traumatisme touche une génération entière d’Ukrainiens et d’Ukrainiennes. Les jeunes qui ont besoin d’un soutien psychologique professionnel commenceront à consommer des drogues et certains de ces jeunes contracteront le VIH, mais auront trop peur ou honte de demander de l’aide dans la crise actuelle. Il en va de même pour les adolescentes et les femmes qui ne peuvent pas exercer leurs droits reproductifs et sexuels, ou les jeunes qui n’utilisent pas de préservatif lors de rapports sexuels, ou les millions de femmes ukrainiennes qui risquent d’être exploitées lorsqu’elles seront seules en Europe, loin de leur famille et de leurs proches. Aujourd’hui, en Ukraine, il y a toujours des milliers d’ados vivant avec le VIH qui ont peur de révéler leur statut sérologique. Beaucoup ne savent pas comment se protéger du VIH et des violences liées à la guerre. Des millions de jeunes en Ukraine vivent dans la solitude face à leurs peurs et à leurs angoisses, et toute une génération sera touchée par des troubles post-traumatiques, ce qui nécessite une attention urgente. Je suis convaincue que si nous leur fournissons dès maintenant des conseils et un soutien même de base, les jeunes confrontés à de multiples crises seront mieux à même de faire face à leurs problèmes pour les années à venir.

Et quoi qu’il en soit, nous devons également pousser les responsables politiques à écouter les jeunes et leur permettre d’influencer le processus de prise de décision sur leur propre santé et leur avenir. Les voix des jeunes, en particulier celles des jeunes femmes, devraient être entendues pour mettre fin à la guerre et reconstruire l’Ukraine.

Comment voyez-vous l’avenir de Teenergizer maintenant ?

Aujourd’hui, ma famille et mon pays sont confrontés à la plus grande crise de notre vie. Donc, ne sachant pas ce que demain réserve, il m’est difficile de prédire en quoi l’avenir consistera. Au fil des années, nous avons construit une vraie famille, des équipes de jeunes leaders Teenergizer présentes dans différentes villes d’Europe de l’Est et d’Asie centrale, au Kazakhstan, au Kirghizstan, au Tadjikistan, en Ukraine, et même en Russie. Mais maintenant nous ne sommes plus ensemble. Après la Seconde Guerre mondiale, Winston Churchill a prédit qu’il y aurait un mur. Et je pense qu’un nouveau mur est en train de se former.

Que diriez-vous aujourd’hui si vous vous teniez à nouveau sur la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies ?

Il s’agit d’une guerre entre l’ancien et le nouveau monde.

Nous sommes des jeunes qui souhaitent vivre dans un monde nouveau, où il n’y a pas de guerres, où les pandémies telles que le VIH, la tuberculose et la COVID-19 sont terminées, où la pauvreté et le changement climatique sont résolus. Dans ce nouveau monde, toutes les personnes, peu importe qui elles sont ou qui elles aiment, quelle que soit la langue qu’elles parlent ou le passeport qu’elles détiennent, peuvent profiter de la liberté et vivre leur vie avec dignité, et voyager et traverser des frontières ouvertes, entre des pays pacifiques. Ces dernières années, lorsque nous avons pu voyager, nous avons appris à quel point cela est important et précieux. Nous avons pu voir comment des gens pacifiques vivaient dans d’autres parties du monde, et cela nous a fait apprécier la beauté et la liberté que nous avons en Ukraine. Aujourd’hui plus que jamais, nous comprenons seulement ce que nous voulons reconstruire dans notre propre pays en le comparant aux valeurs que nous trouvons dans d’autres pays.

Et c’est cet ancien monde qui finance et soutient cette guerre. C’est un non-sens.

Avec les milliards dépensés pour cette guerre dénuée de sens, l’humanité pourrait trouver un remède contre le VIH, mettre fin à la pauvreté et résoudre d’autres crises humanitaires.

Le nouveau monde est synonyme de développement, pas de destruction. Il s’agit de pouvoir s’améliorer soi-même, d’améliorer sa qualité de vie et d’aider vraiment les autres à faire de même.

Tout a une fin. La guerre aussi, un jour. Que ferez-vous le premier jour après la fin de la guerre ?

Je me mettrai à lire Guerre et paix de Léon Tolstoï.

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Collaborer pour aider les populations réfugiées en République de Moldavie

24 mars 2022

Au début de l’invasion de l’Ukraine, le gouvernement de la République de Moldavie voisine de l’Ukraine a estimé qu’environ 300 000 personnes pourraient fuir vers le pays. Cette estimation est désormais passée à 1 million de personnes réfugiées : un chiffre énorme pour ce pays de seulement 2,6 millions d’habitantes et habitants, qui compte parmi les plus pauvres d’Europe.

Peu après le début de la guerre, plusieurs organisations humanitaires, agences des Nations Unies et partenaires de la société civile, placés sous l’égide du gouvernement, ont formé des groupes de coordination de la riposte. Ils ont commencé à répondre aux besoins les plus pressants des personnes fuyant la guerre, notamment pour ce qui est de l’hébergement, de l’alimentation, de la santé, de la protection sociale, de la prévention de la violence sexiste et du soutien en matière de santé mentale.

« Nous devons en premier lieu nous concentrer sur les besoins fondamentaux. Il reste encore beaucoup à faire en matière de coordination avec les nombreuses organisations humanitaires qui participent à la riposte. C’est également la première fois que les Moldaves affrontent une crise de cette ampleur. Ainsi, nous apprenons et tirons des leçons au fur et à mesure », a déclaré Iurie Climasevschi, coordinateur national pour le sida à l’hôpital de dermatologie et des maladies transmissibles de la République de Moldavie.

Svetlana Plamadeala, responsable pays de l’ONUSIDA pour la République de Moldavie, a visité plusieurs centres de personnes déplacées près de la frontière ukraino-moldave. « Les gens y sont bien accueillis. Le gouvernement veille à apporter un hébergement et de la nourriture et essaie de garantir que les enfants aillent à l’école ou à la crèche. En effet, 75 % des personnes réfugiées environ sont des femmes et des enfants et on recense quelque 40 000 enfants de moins de 18 ans dans les centres », a-t-elle expliqué.

Selon Mme Plamadeala, près de la moitié des personnes réfugiées sont hébergées chez la population locale. « Nous voyons l’extraordinaire mobilisation de gens ordinaires, qui apportent un soutien remarquable aux personnes qui fuient la guerre », a-t-elle déclaré. 

Le gouvernement s’engage à ce que les personnes réfugiées ukrainiennes reçoivent les mêmes services que les Moldaves, y compris ceux liés au VIH. « Si une personne réfugiée demande une thérapie antirétrovirale, nous lui fournirons. Nous ne refuserons pas d’aider quelqu’un si nous pouvons le faire », a annoncé M. Climasevschi.

« L’ONUSIDA a participé au processus de planification dès le début de la crise afin de garantir que les personnes réfugiées aient accès à tous les services liés au VIH dont disposent les Moldaves, y compris la thérapie antirétrovirale, le traitement de substitution aux opioïdes et le dépistage du VIH et de la tuberculose  », a indiqué Mme Plamadeala. « La stigmatisation et la discrimination des personnes vivant avec le VIH demeurent monnaie courante. Il est possible que toutes les personnes vivant avec le VIH n’aient pas pu accéder aux services, c’est pourquoi nous nous engageons avec nos partenaires de la société civile à fournir de notre propre initiative des informations aux personnes afin qu’elles sachent où se tourner pour obtenir de l’aide. »

Ruslan Poverga, de l’organisation non gouvernementale Initiativa Pozitiva, a déclaré que l’organisation s’occupe actuellement d’identifier les personnes réfugiées qui ont besoin d’un traitement antirétroviral et de les orienter vers des services d’assistance. « Nous avons déjà pris l’initiative d’informer les gens et, si nécessaire, de fournir un ensemble intégré de services de prévention du VIH, y compris le dépistage du VIH, de la tuberculose et de l’hépatite, ainsi que la fourniture de préservatifs et de solutions de réduction des risques. Nous aurons une meilleure compréhension des besoins pour ces types de services dans un avenir proche. »

Le Bureau pays de l’ONUSIDA pour la République de Moldavie a réalloué des fonds pour répondre à des besoins humanitaires urgents. Cela augmentera la capacité du Programme national de lutte contre le sida à fournir un traitement antirétroviral à un nombre beaucoup plus important de personnes réfugiées vivant avec le VIH. Des tests de la charge virale sont disponibles pour vérifier si un changement de régime de traitement est nécessaire.

« La situation évolue. Nous la surveillons de très près pour comprendre quand et auprès de qui chercher plus de soutien. Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme est prêt à procéder à des réallocations si nécessaire, et la République de Moldavie est en mesure d’accéder aux ressources du fonds d’urgence du Fonds mondial. Dans le cas où le Programme national de lutte contre le sida ne serait pas en mesure de répondre à ces besoins, nous chercherons à obtenir davantage d’aide du Fonds mondial, de l’ONUSIDA, du Fonds des Nations Unies pour l’Enfance et de l’Organisation mondiale de la Santé », a déclaré Mme Plamadeala.

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Un membre du personnel de l’ONUSIDA témoigne de l’invasion de l’Ukraine

18 mars 2022

Le 24 février, Olena Sherstyuck, responsable de la présence mondiale de l’ONUSIDA en Ukraine, n’a pas eu d’autre choix que de fuir Kiev. Nous avons discuté avec elle depuis son nouveau refuge dans l’ouest de l’Ukraine.

Le 24 février, à quoi avez-vous pensé en premier ?

Ma journée a commencé très tôt. Mon fils m’a envoyé un message à 5 heures du matin en me disant : « On dirait que la guerre est déclenchée. » Lorsque je suis sortie sur mon balcon, j’ai entendu des bruits puissants qui ressemblaient à des bombes.

Avez-vous décidé à ce moment-là de quitter Kiev ?

Au début, je suis montée en voiture avec mes chats, puis, après avoir contacté le directeur national et le reste du personnel, j’ai décidé d’aller dans ma maison de campagne qui a un jardin, hors de la ville. J’y ai retrouvé mon fils et sa femme.

Le lieu était-il suffisamment sûr ?

Lorsque je suis arrivée, j’ai compris que c’était pire qu’en ville. En effet, ma maison se trouve près de l’aéroport de Hostomel qui était la cible de missiles. Nous avons à peine dormi. Le ciel était rouge. Ce que j’aime dans cette maison, ce sont ses baies vitrées panoramiques, mais cette fois-ci, c’était loin d’être agréable. Les vitres vibraient sans cesse.

Qu’avez-vous fait ensuite ?

Le 25 février à minuit, nous avons décidé de partir pour l’ouest de l’Ukraine. J’avais travaillé dans la région pendant cinq ans alors que je travaillais pour le Fonds des Nations Unies pour l’enfance et j’y suis retournée après. Par conséquent, cette région montagneuse m’a semblé être une bonne option.

Pour cela, il a fallu conduire 28 bonnes heures, car nous avons dû zigzaguer pour éviter les combats et changer plusieurs fois d’itinéraire parce que des routes étaient fermées ou des ponts détruits. Notre itinéraire changeait constamment. Le trajet a été plutôt difficile.

J’ai demandé à des amis de la région de m’aider à trouver un endroit où loger et nous vivons maintenant dans une maison en bois de cinq pièces avec une cuisine commune.

Avez-vous pris contact avec votre équipe et votre responsable ?

Le bureau de l’ONUSIDA en Ukraine est un petit bureau et depuis la COVID-19, nous restons en contact par toutes sortes de moyens, en utilisant WhatsApp, Viber, etc. Tous les matins, nous avons notre réunion d’équipe habituelle. Cela nous aide à maintenir le contact. Des collègues de la région et de la plateforme mondiale ont également pris des nouvelles, ce qui me donne une impression de normalité.

Une impression de normalité, vraiment ?

Je n’arrive pas à dormir ni à manger, mais le travail, les réunions et les efforts de coordination m’aident à garder la tête sur les épaules. Cela me permet de continuer.

Cependant, je suis scotchée aux infos. Je n’arrive pas à arrêter de regarder et de lire ce qui se passe. Je pense à mon appartement en ville et à mon jardin, et quand nous pourrons toutes et tous retourner à Kiev.

Je n’ai aucun regret d’être partie. Je ne suis ni une combattante ni dans l’armée, donc je ne veux pas gêner les personnes qui combattent. La première semaine, j’étais sous le choc et je pensais que cela se terminerait rapidement, mais cela fait maintenant trois semaines.

Je suppose que vous avez pris votre passeport et votre téléphone, mais qu’en est-il de la nourriture et des vêtements ?

J’ai pris mes papiers importants, mon passeport et mon ordinateur de travail, mais je n’avais que des vêtements de jardinage dans ma maison, donc je porte une veste d’homme à tout faire depuis. Disons simplement que j’ai l’air un peu débraillée, mais je ne suis pas la seule ! (Rire.)

Pour ce qui est de la nourriture, il y a des petits marchés et jusqu’à présent, nous n’avons pas eu de pénurie. Nous essayons de nous occuper en aidant des femmes de la région à faire du pain et d’autres activités communes sont organisées dans le village.

(Une pause) Vous entendez ça, Charlotte ? Vous avez entendu la sirène annonçant un raid aérien ? Elle s’est tue maintenant.

N’ayant jamais vécu une telle situation, quel conseil avez-vous pour nous ?

Tout d’abord, dans ces moments-là, les relations personnelles avec des gens sont très utiles. Non seulement j’ai pu entrer en contact avec mes collègues du moment, mais je l’ai aussi fait avec mes ancien-nes ami-es du travail.

Et dès le premier jour, j’ai pu contacter les nombreux réseaux de personnes vivant avec le VIH et d’autres organisations non gouvernementales avec lesquelles je travaille pour voir comment elles gèrent la situation. Autrement dit, j’ai passé beaucoup de temps au téléphone, mais ce sont des relations professionnelles et personnelles que j’ai établies au fil des ans. Je voulais savoir si tout le monde était en sécurité.

Je dois dire que l’ONUSIDA a très bien communiqué et transmis des informations clés sur les services disponibles, le lieu et avec quel acteur, des services tels que les renouvellements de thérapie antirétrovirale ou le traitement de substitution aux opioïdes, puis elle a mis à jour les informations. Avant la guerre, j’étais membre du comité national de surveillance et du comité programmatique qui supervise les subventions du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Par conséquent, mes collègues et moi essayons d’assurer le suivi des points du programme. Ce n’est pas facile, et pour le suivi par exemple, de nombreuses personnes se terrent encore dans les caves, ce qui complique les choses.

Par ailleurs, il est vraiment difficile d'élaborer une stratégie. Au début, tout le monde prend des décisions sur le vif. Nos partenaires, d’autres organisations internationales, en fait tout le monde s’efforçait d’aider et malheureusement, nous avons fait beaucoup de choses en double. Un jour, on me demandait de trouver des matelas, un autre, quelqu’un avait besoin de gaz, maintenant les choses semblent être mieux organisées.

J’ai appris qu’il faut du temps pour comprendre comment agir et réagir et qu’il est important de trouver sa niche. Il faut éviter de trop se disperser.

Merci pour ces bons conseils. Autrement dit, il s’agit de distribuer les rôles et d’exploiter les points forts de chaque organisation pour travailler mieux de manière générale ?

C’est cela. L’aide de la plateforme mondiale est aussi utile. Je travaille principalement avec des partenaires sur place. Pour moi, cela représente 90 % de mon temps et, en raison des choses à faire dans tous les sens et de la situation en constante évolution, il a été utile que le siège nous donne une vue d’ensemble.

Comment ?

C’est rassurant de savoir que des pays comme la Pologne et la République de Moldavie et des personnes se sont engagés à aider l’Ukraine. Je sais maintenant ce que font nos collègues dans la région en ce qui concerne les stocks de thérapie antirétrovirale et le recours à l’aide internationale. En Ukraine, nous avons adopté davantage de normes européennes, de sorte que, par exemple, nos réglementations sur les médicaments et la propriété intellectuelle sont proches des normes européennes et ont peu de points communs avec les anciens pays satellites soviétiques. Notre législation contient des chapitres sur les populations clés et interdit la discrimination. Le gouvernement ukrainien a financé des services de prévention de base du VIH pour des centaines de milliers de personnes issues des populations clés. Nous avons également vraiment encouragé les services de réduction des risques, car le VIH en Ukraine touche principalement les consommateurs et les consommatrices de drogues injectables. Des milliers de personnes suivent un traitement de substitution aux opioïdes et utilisent la prophylaxie préexposition. Les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées font également partie intégrante de la stratégie du pays en matière de droits humains.  Je ne peux pas imaginer de telles évolutions dans de nombreux pays d’Europe de l’Est.

D'autres réflexions avant de conclure ?

C’est vraiment important pour moi d’avoir des contacts humains, alors n’hésitez pas à me contacter. Et je dois dire que je suis impressionnée par les gens qui se rassemblent, l’Ukraine me semble plus unie. C’est ma touche d’optimisme dans tout cela. Les gens se serrent vraiment les coudes, c’est fantastique. Gloire à l’Ukraine ! 

Feature Story

Garantir que la réduction des risques reste disponible en Ukraine

09 mars 2022

Dix jours après le début du conflit en Ukraine, l’ONUSIDA s’est entretenue avec Oleksii Kvytkovskyi, responsable de l’antenne Volna Donbas Resource Center de l’Association ukrainienne des personnes dépendantes aux drogues, une organisation non gouvernementale qui travaille avec des consommateurs et consommatrices de drogues injectables dans le pays.

Comment vous sentez-vous Oleksii ?

J’en ai assez d’avoir peur et de fuir. J’ai décidé de continuer à faire ce que je fais depuis 14 ans : défendre les droits des communautés clés, notamment des consommateurs et consommatrices de drogues injectables et des personnes dans le besoin.

Il ne s’agit pas du premier conflit que vous traversez, n’est-ce pas ?

Il y a huit ans, j’étais là lors du conflit entre la Fédération de Russie et la partie orientale de l’Ukraine. Comme vous le savez, [ces zones] sont désormais des républiques autoproclamées. J’ai trois enfants et deux sont nés pendant ce conflit, l’un en 2014 et l’autre en 2019.

Je travaille toujours dans quatre villes de l’oblast (région) de Luhansk qui sont sous contrôle du gouvernement ukrainien et se trouvent pratiquement sur la ligne de front : Sievierodonetsk, Lysychansk, Rubizhne et Kreminna.

En quoi consiste aujourd’hui votre travail ?

Dans notre organisation non gouvernementale, nous recevons et redistribuons ensuite des traitements de substitution aux opioïdes (TSO), ainsi que de la nourriture et de l’eau aux personnes qui en ont besoin. Notre stock de TSO tiendra jusqu’à la fin du mois. Cela représente environ 28 jours. Après je ne sais pas ce que nous ferons.

L’accès à la thérapie antirétrovirale est également problématique dans certaines villes. Pour faire simple, nous regardons qui manque de quoi et s’il y a des risques d’interruption [du traitement].

Beaucoup de personnes ont-elles quitté votre région ?

Rares sont les personnes à s’en aller, car elles n’ont pas assez d’argent pour le faire. Jusqu’à présent, la priorité est accordée à l’évacuation des femmes, des enfants en bas âge et des personnes âgées.

Notre organisation non gouvernementale s’est tournée vers des organisations internationales et nous avons reçu l’aide du Réseau eurasien de réduction des risques, du Réseau eurasien des consommateurs et consommatrices de drogues et de Volna, ce qui nous aide vraiment à fournir une aide d’urgence.

Et vous ?

J’ai imploré ma femme de prendre les enfants et de partir pour Lviv. Je leur ai même trouvé un endroit où vivre, mais elle m’a dit qu’elle ne me quitterait pas, et elle est restée.

Mais j’ai peur. J’ai peur pour mes enfants et pour ma femme que j’aime.

Qu’est-ce qui vous fait avancer ?

Je vais au travail tous les jours. Les gens me demandent si je crains pour ma vie. Je réponds toujours : « Lorsque l’on résout les problèmes de quelqu’un, on oublie la peur et la guerre sans s'en rendre compte. Alors, résoudre le problème d’une personne de la communauté devient votre objectif numéro un et on se met à aider d’une manière ou d’une autre. »

Opinion

Nous ne pouvons pas laisser le conflit en Ukraine anéantir le traitement du VIH, de la tuberculose et de la COVID-19 en Europe de l’Est

09 mars 2022

Michel Kazatchkine — Cet article est paru à l’origine sur The Telegraph

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a lancé sans surprise un appel demandant que de l’oxygène et du matériel médical essentiel atteignent en toute sécurité les personnes en ayant besoin en Ukraine, et elle œuvre pour instaurer un transit sûr pour les livraisons à travers la Pologne. Mais cet appel n’est pas nouveau non plus. Nous l’avons déjà entendu par le passé.

L’annexion russe de la Crimée et le conflit dans les oblasts de Donetsk et Luhansk dans l’est de l’Ukraine en 2014 ont menacé l’approvisionnement en médicaments contre le VIH et la tuberculose. Les efforts fragiles de part et d’autre de la frontière intérieure et des financements du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme ont permis de continuer à approvisionner en médicaments les territoires séparatistes malgré le conflit des huit dernières années. 

Si la Russie vient à occuper de nouveaux territoires en Ukraine, il faut s’attendre à ce qu'il soit aussi difficile de garantir l’accès à ces médicaments pour les personnes vivant avec la tuberculose et le VIH ; les risques sont élevés si toutefois [cet accès] n’est pas déjà perdu.

Les autorités séparatistes du Donbass et l’administration russe en Crimée ont ainsi brusquement arrêté le traitement par agoniste opioïde (TAO) pour les consommateurs et consommatrices de drogues injectables, ce qui a entraîné beaucoup de souffrances et de décès par overdose et des suites d’une tentative de suicide.

Les ONG travaillant avec les communautés touchées au Donbass ont littéralement été fermées. Des décennies de lutte contre le VIH et la tuberculose nous ont appris à quel point la société civile, le leadership communautaire et les droits humains sont essentiels pour mettre fin à ces maladies.

La Fédération de Russie refuse de considérer le TAO comme une mesure de réduction des risques pour réduire le risque de transmission du VIH lorsque des personnes se partagent des aiguilles.

À l’inverse, l’Ukraine est un exemple en matière de réduction des risques, notamment en ce qui concerne le TAO et les programmes d’échange des aiguilles. Cela n’est pas rien en Europe de l’Est et en Asie centrale où l’épidémie de VIH continue d’enregistrer la croissance la plus rapide au monde.

Quelque 1,6 million de personnes vivent avec le VIH dans la région (dont 70 % en Russie) et ce chiffre augmente de 146 000 nouvelles infections environ chaque année. La consommation de drogues représente près de 50 % des nouvelles contaminations, mais les rapports sexuels non protégés devraient devenir la première cause dans les années à venir.

Toutefois, l’Ukraine affiche une des plus belles réussites dans la région pour ce qui est de garantir l’accès aux médicaments antirétroviraux (146 500 bénéficiaires l’année dernière).

Ces progrès étaient déjà menacés avant le conflit, alors que les restrictions liées à la COVID-19 ont entraîné une baisse d’un quart du nombre de personnes testées en 2020. Les semaines et les mois de conflit à venir entraîneront l’anéantissement total de ces efforts. 

L’Europe de l’Est reste également l’épicentre mondial de la tuberculose multirésistante. Malgré les progrès réalisés au cours des dix dernières années, la prévalence de la tuberculose, les niveaux de mortalité et, en particulier, l’incidence de la tuberculose multirésistante restent élevés en Ukraine. Ainsi, le pays concentre la deuxième population de cas la plus importante dans la région. 

La tuberculose pharmacorésistante représente environ 27,9 % des nouveaux cas de tuberculose et 43,6 % des patients et patientes déjà sous traitement. La réussite du traitement de la tuberculose multirésistante est d’environ 50 %.

Si la COVID-19 a déjà réduit de moitié le nombre de détections de cas en 2020, il n’est pas difficile d’imaginer que la situation actuelle le réduira à zéro.

Alors que les systèmes de santé s’effondrent et que les services de traitement et de prévention sont interrompus, la mortalité due au VIH, à la tuberculose, à la tuberculose multirésistante et à la COVID-19 augmentera rapidement en Ukraine. Des centaines de milliers de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays et des villes comme Lviv manquent de médicaments et de matériel médical.

Il est inquiétant de voir que les répercussions du conflit vont aussi dépasser les frontières de l’Ukraine : plus d’un million de personnes réfugiées ont déjà fui pour sauver leur vie. L’impact de cette situation se fera sentir dans toutes les villes et régions frontalières d’Europe centrale dont la riposte à la tuberculose, au VIH et, plus récemment, à la COVID-19 a été fragile. 

Les points aux frontières et les pays voisins devront anticiper et faire face à une avalanche de nouveaux besoins en matière de santé. Nous sommes dans une impasse : la coopération internationale et la solidarité envers la région de l’Europe de l’Est n’ont pas été des axes forts de la riposte mondiale à la pandémie au cours des deux dernières années.

L’arrivée du matériel de santé de l’OMS et la formation d’un couloir sécurisé pour les personnes réfugiées sont des bribes de bonnes nouvelles sur fond de tragédie. Nous avons besoin de beaucoup plus.

Les systèmes et les installations de santé doivent être protégés, fonctionnels, sûrs et accessibles à toutes les personnes qui ont besoin de services médicaux essentiels, et le personnel de santé doit être protégé.

Michel Kazatchkine est maître de conférence au Graduate Institute for International Affairs and Development de Genève, en Suisse, et ancien Secrétaire général des Nations Unies et Envoyé spécial de l’ONUSIDA pour le VIH/sida en Europe de l’Est et en Asie centrale. Auparavant, il était Directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.

Feature Story

En Ukraine, le réseau de lutte contre le VIH réfléchit et s’organise rapidement

08 mars 2022

Lorsqu’elle est réveillée par les bombardements sur Kiev le 24 février, premier jour du conflit, Valeriia Rachynska se retourne dans son lit et essaie de se rendormir. Originaire de Luhansk, elle a en effet déjà traversé un conflit en 2014.

« Je pense que mon cerveau a analysé le bruit et s’est rendu compte que j’étais suffisamment loin du danger », a-t-elle déclaré lors d’une vidéoconférence tenue depuis un petit village de l’ouest de l’Ukraine. « Mais quand j’ai vu mes enfants pleurer et avoir peur, j’ai su qu’il était temps de déménager encore une fois. »

Ses deux garçons et elles passent alors la nuit suivante dans un abri antiaérien avant de quitter leur maison dans la capitale avec son frère et sa famille.

Directrice des droits humains, du genre et du développement de la communauté pour 100% Life, le plus grand réseau de personnes vivant avec le VIH en Ukraine, elle explique que pour pouvoir continuer à aider les gens, elle doit d’abord trouver un endroit plus sûr.

« C’est comme lorsque l’oxygène manque dans un avion », explique Mme Rachynska. « Vous mettez d’abord votre masque, puis vous aidez les autres. »

Pour elle et son organisation, il était essentiel d’avoir accès à Internet, un réseau de téléphonie mobile stable, des banques ouvertes et un relatif sentiment de sécurité. Ces derniers temps, elle a l’impression de gérer un central téléphonique.

« Je réponds à tous les appels et j’essaie de les rediriger vers les bonnes personnes », explique-t-elle. « Cela n’arrête pas et à cause des nombreuses attaques et de l'imprévisibilité de la situation, je ne peux anticiper qu’une étape à la fois. »

Elle tire son chapeau à Dmytro Sherembey, responsable de 100% Life, pour avoir déjà pris ses dispositions.

« Beaucoup de gens nous ont dit : « Vous paniquez pour rien », mais chez 100% Life, nous avons transféré nos serveurs informatiques, nos documents et tout ce qui était jugé sensible vers l’ouest de l’Ukraine, voire jusqu’en Pologne et en l’Allemagne. »

Quelques collègues sont restés à Kiev en pensant tenir bon, mais 10 jours plus tard, beaucoup ont aussi pris la route.

« Nous nous concentrons désormais sur l’évacuation et l’hébergement des personnes vivant avec le VIH et de leurs familles, ainsi que des groupes marginalisés. Nous louons pour cela des bus », a déclaré Mme Rachynska, emmitouflée dans un sweat-shirt bleu à capuche. « Pour celles qui ne vivent pas à Kiev, nous envoyons de l’argent par virement bancaire pour leur permettre d’acheter de la nourriture et d’autres produits essentiels. »

Le pays dispose de suffisamment de réserves de médicaments anti-VIH jusqu’en avril, mais avec l’aide de partenaires internationaux et de la coordination de l’ONUSIDA, 100% Life a organisé très rapidement la livraison de médicaments vitaux supplémentaires en Pologne. Le gouvernement polonais a mis à disposition un entrepôt et a accepté d’apporter une aide logistique pour fournir une thérapie antirétrovirale aux personnes vivant avec le VIH en Ukraine.

L’Ukraine est le deuxième pays le plus touché par l’épidémie de sida dans cette région. On estime à 250 000 le nombre de personnes vivant avec le VIH en Ukraine. Plus de la moitié suit une thérapie antirétrovirale qui consiste en la prise quotidienne de médicaments pour que les personnes séropositives restent en bonne santé.

« Notre plus grand défi en ce moment est de sauver des vies, d’assurer la sécurité et de faire en sorte que les gens restent sous traitement », a-t-elle déclaré. Le réseau 100% Life a déjà retravaillé des aspects clés de son programme en vue d’obtenir des financements du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme afin de répondre aux besoins immédiats.

Depuis son arrivée en 2011 au sein de 100% Life, Mme Rachynska a observé les progrès accomplis par l’Ukraine pour inverser la tendance de l’épidémie de sida. Elle est particulièrement fière de l’impact positif que les programmes de réduction des risques, y compris le traitement de substitution aux opioïdes et les stratégies d’échanges d’aiguilles et de seringues, ont eu en Ukraine pour réduire les nouvelles infections à VIH. Dans le pays, le VIH continue d’affecter de manière disproportionnée les consommateurs et consommatrices de drogues injectables et l’offensive militaire en cours risque de perturber les options de thérapies de substitution. Elle a déclaré que 100% Life travaillait activement pour éviter cela.

Ses autres préoccupations concernaient la protection des travailleuses et travailleurs du sexe, des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées et des consommateurs et consommatrices de drogues injectables. Connaissant la violence et la stigmatisation subies par ces groupes pendant le conflit dans l’est de l’Ukraine, elle craint que les populations clés deviennent les cibles de la violence.

« Notre prochaine mission sera de commencer à recenser les violations des droits humains », a-t-elle déclaré. « C’est très important pour moi. »

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