Reportage
Interview avec Rosalind Coleman, experte PPrE auprès de l’ONUSIDA
16 septembre 2019
16 septembre 201916 septembre 2019La prophylaxie pré-exposition (PPrE) consiste en une pilule contenant un complexe de médi
La prophylaxie pré-exposition (PPrE) consiste en une pilule contenant un complexe de médicaments. Sa grande efficacité a été prouvée pour empêcher la contamination de personnes séronégatives. Elle est actuellement disponible ou fait l’objet de projets pilotes dans de nombreux pays du monde entier, dont le Royaume-Uni. Rosalind Coleman, experte PPrE auprès de l’ONUSIDA, nous explique.
En quoi le déploiement de la PPrE au Royaume-Uni diffère-t-il de celui d’autres pays à revenu élevé ?
Le Royaume-Uni dispose du plus grand programme PPrE d’Europe quant au nombre de personnes à avoir commencé à prendre le médicament. Les procédures de mise à disposition du médicament varient toutefois d'un pays à l'autre. Cette disparité montre bien qu’une stratégie universelle n’existe pas. Elle illustre également l’importance que jouent les militantes et militants et la collaboration entre toutes les parties prenantes.
En Écosse, la prophylaxie est distribuée gratuitement aux résidents écossais dans les établissements de santé sexuelle. Les acheteurs au niveau national ont réussi à négocier un prix d’achat abordable pour la PPrE.
En Angleterre, la PPrE n’est pas disponible systématiquement, ce qui force les militants, les fournisseurs de la PPrE progressive et d’autres parties prenantes soutenant sa prescription à être imaginatifs. Des médicaments génériques ont été achetés à des prix concurrentiels grâce à la mise en place d’un essai à grande échelle qui rend la PPrE disponible dans les établissements de santé sexuelle. Cette étude ne permettant cependant pas de satisfaire la demande, de nombreuses personnes s’approvisionnent aussi à l’étranger sur des plateformes en ligne. Cette clientèle en ligne ne devrait pas être oubliée dans la création et la promotion d’un accès à une aide clinique, à des tests et à un suivi indispensables pour assurer un service de qualité de la PPrE.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le déploiement de la PPrE dans les pays à faible et moyen revenu ?
La situation est très contrastée selon les pays. On enregistre des progrès importants en Afrique australe et orientale ainsi que dans d’autres régions du monde comme la Thaïlande et maintenant le Vietnam en Asie, mais aussi au Brésil en Amérique latine. Dans d’autres pays, en particulier là où l’épidémie de VIH se renforce, l’accès à la PPrE est extrêmement difficile, et ce, pour plusieurs raisons : le coût du programme et la faible attention accordée en général à la prévention primaire du VIH jouent certainement un rôle, tout comme la stigmatisation et la discrimination. Ils empêchent d’apporter des services adaptés à de nombreuses populations clés qui en auraient besoin. Des connaissances insuffisantes sur la PPrE et même des informations erronées répandues parmi les utilisateurs potentiels et les fournisseurs de la prophylaxie entravent également sa promotion.
Afin de réduire les nouvelles infections au VIH, il est essentiel de planifier très clairement la démocratisation de la PPrE au sein d’un programme complet de prévention du VIH.
L’utilisation de la PPrE est souvent associée aux populations clés comme les professionnel(le)s du sexe ou les gays et autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes. Est-elle aussi utile dans d’autres contextes ?
L’efficacité d’un programme de PPrE dépend de la prise du médicament par des gens réellement exposés à un risque de contamination au VIH, qui souhaitent contrôler cette éventualité. Il s’agit souvent de membres de populations clés, mais toute personne potentiellement exposée à un risque élevé devrait être en mesure de se renseigner sur la PPrE et d’y avoir accès. Ainsi, cela concerne également les partenaires séronégatifs dans un couple sérodifférent tant que la charge virale de la personne vivant avec le VIH n’est pas supprimée ou les individus diagnostiqués auparavant avec une infection sexuellement transmissible (IST) et comptant parmi leurs partenaires sexuels un taux élevé de VIH non traité.
Prendre correctement la PPrE au cours d’une période de forte exposition potentielle au VIH est vital, mais cela dépend de la motivation personnelle à suivre le traitement, des informations sur son utilisation et son arrêt, ainsi que de la facilité d’accès.
La manière de communiquer sur la PPrE fait toute la différence sur l’utilisation et le suivi de la prophylaxie : il ne s’agit pas de stigmatiser, mais d’encourager, que ce soit dans les campagnes publicitaires des services publics ou dans l’attitude du personnel soignant.
Des voix relativisent l’efficacité de la PPrE, car elle contribuerait à une recrudescence des IST comme la syphilis et la gonorrhée. Qu’en est-il vraiment ?
Le lien entre l’utilisation de la PPrE et l’augmentation des cas d’autres IST, hors VIH, est une thématique très actuelle ! Ce débat ne devrait cependant pas être une raison de réduire l’accès à la PPrE, mais plutôt de reconnaître et d’encourager des services de santé sexuelle améliorés et complets afin de prévenir, d’identifier et de traiter toutes les IST. Une discussion ouverte sur les risques d’IST et leur prévention devrait accompagner l’accès à la PPrE.
La dernière étude systématique en date confirme que, sans surprise, le taux d’IST était déjà élevé parmi les personnes demandant la PPrE et que ces dernières ont des rapports sexuels sans préservatif. Par conséquent, l’incidence d’IST parmi les personnes prenant la PPrE est élevée. Il n’est toutefois pas encore clair si cela est imputable à un changement de comportement sexuel ou à une meilleure détection des IST, car ces personnes se font dépister plus souvent dans le cadre du programme de PPrE.
Quoi qu’il en soit, ce qu’il faut en retenir, c’est que les taux élevés d’IST détectés chez les personnes prenant la PPrE révèlent un besoin de prévention, de diagnostic et de traitement des IST encore à satisfaire. Vu ainsi, l’accès à la PPrE ouvre la voie à de meilleurs soins de santé sexuelle plus larges et présente une chance de réduire l’incidence des IST. Cela s’applique à toutes les populations utilisant la PPrE.
La PPrE est-elle alors en train de changer la donne dans la riposte au VIH ?
Aujourd’hui, la PPrE est sous les feux des projecteurs. Elle fait l’objet de financements, de groupes de réflexion et d’efforts physiques dans différents cadres, notamment dans la recherche de nouvelles méthodes de délivrance (injection ou anneau vaginal par exemple) qui pourraient élargir le choix et améliorer la prise et la continuité de la PPrE. Si ces efforts s’accompagnent d’une amélioration générale des services liés au VIH (prévention primaire, tests et traitement) et sont intégrés à d’autres services de santé comme les soins de santé sexuelle et psychologique, alors l’impact de la PPrE pourrait dépasser la simple prévention de la contamination au VIH au niveau individuel. Cependant, il serait imprudent de relâcher nos efforts en se disant que la PPrE va changer d’elle-même la donne.