BFA

Martine Somda, activiste engagée dans la lutte contre le VIH au Burkina Faso, poursuit son combat pour défendre les droits des personnes vivant avec le VIH

26 juillet 2022

Mme Martine Somda Dakuyo a 34 ans lorsqu’elle est diagnostiquée positive au VIH. Cette annonce, qu’elle décrit comme traumatisante, bouleverse soudainement tous les espoirs et projets de cette mère de quatre enfants. « J’ai beaucoup souffert de la peur de mourir prématurément et dans des conditions déplorables » explique-t-elle. Malgré un profond sentiment de colère et d’injustice, elle parvient finalement à accepter son statut et va même jusqu'à le rendre publique dans les médias pour encourager les personnes vivant avec le VIH à s’accepter et obtenir de l’aide.

Aujourd’hui, grâce à ses traitements qui contrôlent sa charge virale et la maintiennent en bonne santé, Martine peut espérer vivre une vie heureuse et productive. Elle est l’une des pionnières de la lutte contre le sida au Burkina Faso avec près de 29 ans de combat aux côtés de l’ONG Responsabilité Espoir Vie Solidarité (REVS+). Cette association, dont elle est l’initiatrice et la Présidente du Conseil d’Administration, œuvre en faveur de la prévention du VIH, la prise en charge des personnes exposées au virus et la promotion de leurs droits humains.

« La lutte contre le sida en Afrique de l’Ouest et du Centre reste une urgence sanitaire » alerte Mme Somda. Bien que le taux de prévalence du VIH s’élève à 0,7% au Burkina Faso, Mme Somda nous interpelle sur la situation des populations clés, davantage exposées aux dangers du VIH, et sur les raisons qui conduisent à cette triste réalité. Elle évoque notamment le contexte politique et sécuritaire de la région, les propositions de lois discriminatoires à l’égard des populations clés et la faible implication des personnes affectées par le VIH dans la lutte contre le sida comme obstacles à une prise en charge effective.

Afin de préserver les populations clés des dangers liés au VIH, Mme Somda a pour ambition de permettre l’accès universel aux méthodes de prévention, lesquelles sont un aspect crucial de la lutte contre le sida.

« Se concentrer sur l’accès effectif à la santé et aux droits des personnes en situation de rejet social et de criminalisation, c’est le défi auquel la lutte contre le sida devra répondre », affirme-t-elle.

Pour parvenir à un accès universel aux services de prévention, de soins et de suivi, Mme Somda préconise, entre autres, une plus grande implication des personnes affectées par le VIH dans l’élaboration des stratégies nationales de lutte contre le sida, une meilleure reconnaissance des actions menées sur le terrain et l’élimination des inégalités sociales et économiques qui alimentent l’épidémie.

En outre, Mme Somda nous fait part de ses préoccupations concernant le conservatisme et les pressions culturelles, religieuses et traditionnelles, qui favorisent la stigmatisation et la discrimination des personnes vivant avec le VIH.  Cette discrimination se manifeste sous diverses formes ; par des attaques verbales ou physiques, des menaces, du harcèlement, des arrestations arbitraires, observe-t-elle. De tels comportements sont dangereux et représentent un obstacle majeur à la lutte contre le sida puisqu’ils découragent les personnes vivant avec le VIH à se tourner vers les services appropriés. Il est ainsi urgent de mettre fin à ces violences pour créer un climat favorable au respect et à la protection des droits des personnes vivant avec le VIH. Instaurer un discours plus inclusif, sans préjugés discriminatoires et erronés, permettra une réponse plus efficace et guidée par des valeurs de respect, d'intégrité et d'égalité.

C’est dans cette dynamique que REVS+ a mis en place en 2015 des ateliers et formations destinés aux décideurs, dirigeants religieux et coutumiers, professionnels de santé, police et médias. L'objectif de ces activités est avant tout de dénoncer les stéréotypes autour des personnes vivant avec le VIH et de mettre fin à la discrimination.

« La contribution des services communautaires à la réponse au VIH est connue et avérée, en cela qu’elle vient en complémentarité des services offerts par le système sanitaire public », explique Mme Somda. Assurer la continuité de leurs activités, et permettre au plus grand nombre d'en profiter est une nécessité pour lutter efficacement contre le sida dans la région. C’est notamment grâce à la résilience des réseaux comme REVS+, qui ont assuré le maintien des activités de prévention et des services de prise en charge des personnes affectées par le VIH, que l’impact de la pandémie de COVID-19 sur les personnes vivant avec le VIH a pu être minimisé.

Enfin, pour garantir l’efficacité de la lutte contre le sida dans la région, et plus particulièrement au Burkina Faso, Mme Somda espère voir des financements plus conséquents et « davantage orientés sur le terrain, sur l’alignement des politiques, des stratégies et en accord avec les besoins des groupes marginalisés ».

Grâce à cet échange avec Mme Somda, nous constatons une nouvelle fois que le chemin à parcourir est encore long pour mettre fin au sida dans la région. Cet objectif est toutefois à portée de main si l'ensemble des acteurs de la riposte au VIH travaillent conjointement à l'élaboration de stratégies multi-sectorielles. La mise en œuvre de mesures permettant un accès universel aux services de prévention, l'élimination des inégalités et des stéréotypes liés au VIH ainsi qu’une meilleure gestion des investissements sont des priorités incontournables pour mettre fin au sida d'ici 2030.

Investir dans les communautés pour faire la différence en Afrique occidentale et centrale

09 octobre 2019

Plus de 5 millions de personnes vivent avec le VIH en Afrique occidentale et centrale, la région accuse un retard pour parvenir à l’objectif de mettre fin au sida d’ici 2030. Chaque jour, on y recense plus de 760 nouvelles contaminations et seulement 2,6 millions des 5 millions de personnes porteuses du virus suivent un traitement.

Un désintéressement de la classe politique, des systèmes de santé fragiles et un faible soutien accordé aux organisations citoyennes, auxquels viennent s’ajouter des barrières telles que la pénalisation liée au VIH, sont les principaux obstacles à toute amélioration. Un plan de rattrapage régional vise à aider la région à combler son retard pour atteindre son objectif de tripler le nombre de personnes suivant une thérapie antirétrovirale d’ici 2020 et de contrôler l’épidémie. Même si des progrès sont faits, leur rythme reste trop lent. La situation des enfants est particulièrement préoccupante dans cette région : seulement 28 % des moins de 15 ans vivant avec le VIH ont accès à une thérapie antirétrovirale.

« Nous avons besoin de réglementations et de programmes qui mettent l’accent sur les personnes et non les maladies. Cela permettra d’impliquer totalement les communautés dès les premières phases de conception, d’élaboration et de réalisation des stratégies de santé », a expliqué Gunilla Carlsson, Directrice exécutive par intérim de l’ONUSIDA, lors de son allocution au cours de la 6e Conférence de reconstitution des ressources du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme organisée en France à Lyon les 9 et 10 octobre.

En effet, les exemples d’investissements réussis dans les communautés ne manquent pas. « La riposte est plus rapide et efficace lorsqu’elle est menée par les personnes qui en ont le plus besoin », a indiqué Jeanne Gapiya qui vit avec le VIH depuis de nombreuses années et est à la tête de l’organisation non gouvernementale ANSS au Burundi.

Le dépistage et la prévention du VIH sont plus efficaces, en particulier parmi les groupes marginalisés, lorsqu’ils sont offerts par les communautés. « La plupart des personnes dépistées par les communautés le faisaient pour la première fois, ce qui illustre bien l’importance unique et cruciale des organisations citoyennes », a expliqué Aliou Sylla, directeur de Coalition Plus Afrique.

L’un des défis fondamentaux de la région consiste à réduire le nombre de nouvelles infections parmi les enfants et de garantir que les femmes accèdent aux services dont elles ont besoin. Les réseaux de mères séropositives qui s’entraident pour rester en bonne santé et pour éviter la transmission du VIH de la mère à l’enfant constituent un moyen efficace d’améliorer la santé aussi bien des mères que des enfants.

« Notre stratégie reposant sur les communautés fonctionne. Les endroits où nous sommes présents ont atteint l’objectif de zéro nouvelle infection au VIH parmi les enfants et tous les enfants qui viennent chez nous suivent un traitement », a indiqué Rejane Zio de Sidaction.

Le financement reste toutefois un problème. Même si les ressources totales allouées à la riposte au sida ont augmenté et que le VIH reste le thème prioritaire du développement de l’aide sanitaire, les investissements nationaux ne représentent toujours que 38 % des ressources disponibles pour lutter contre le VIH en Afrique occidentale et centrale, contre 57 % dans le monde entier. L’accélération de la riposte régionale nécessite d’intensifier les investissements nationaux et de renforcer simultanément l’aide apportée par les donateurs internationaux. Bintou Dembele, directrice exécutive d’ARCAD-Sida au Mali, a expliqué : « Les communautés disposent de l’expertise, mais les fonds nous manquent pour satisfaire les besoins. »

Les stratégies impliquant la base de la société dans la région jouissent d’un support croissant. Reconnaissant l’importance des efforts menés par les communautés, Expertise France et l’Institut de la Société Civile pour la Santé et le VIH en Afrique de l’Ouest et du Centre ont annoncé un nouveau partenariat, le 9 octobre. « L’institut réunit 81 organisations de 19 pays. Sa mission consiste à améliorer l’influence politique au niveau national et international, ainsi qu’à galvaniser l’expertise de la société civile dans la réalisation des programmes. Ce partenariat attire l’attention sur notre contribution essentielle », a déclaré Daouda Diouf, directeur d’Enda Santé et président du comité de direction de l’institut. « La situation en Afrique de l’Ouest et centrale reste une priorité. Il est indiscutable que les stratégies impliquant les communautés offrent plus de souplesse et sont mieux adaptées pour apporter une réponse aux pandémies », a ajouté Jérémie Pellet d’Expertise France.

L'adoption d'une approche mettant en avant les individus figure au cœur des réformes régionales. On assiste à un renforcement de la volonté régionale d’accélérer la riposte et de renforcer les stratégies communautaires éprouvées. Cela donne espoir en l’avenir pour ce qui est de la lutte contre l’épidémie du VIH en Afrique occidentale et centrale.

Focus sur le Burkina Faso

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Venir en aide à une génération oubliée

25 mars 2019

Face à de nombreux jeunes gens, Christine Kafando multiplie les questions.

« Ressentez-vous une pression de la part des autres garçons et filles ? » « Vous sentez-vous abandonnés à cause de la pauvreté ? » « Avez-vous toutes les informations dont vous avez besoin concernant votre santé et le VIH ? Sinon, demandez-moi, demandez à vos partenaires, demandez ! OK ? »

Parmi la quarantaine de garçons et de filles certains acquiescent et d'autres haussent les épaules. Tous sont là pour un atelier organisé par l’Association Espoir pour Demain (AED) à Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso, qui vise à créer un espace réservé aux jeunes pour qu’ils puissent en apprendre davantage sur leur santé sexuelle et pour en former quelques-uns afin qu’ils deviennent pairs-éducateurs.

« Après avoir vu plusieurs jeunes étudiantes venir vers nous enceintes, nous avons senti qu’il était nécessaire de lancer ces ateliers », explique Mme Kafando, la fondatrice d’AED.

Pour Issa Diarra l’atelier a permis d’entamer le dialogue. « Dans notre société, nous ne parlons pas vraiment beaucoup de sexe, ni même de santé, mais ici nous avons réellement la chance de parler de tout ça », explique-t-il. Un point de vue partagé par Roland Sanou: « Aujourd’hui, le sexe reste tabou pour les jeunes, mais je ne veux pas que ça reste comme ça ».

Beaucoup d’entre eux estiment que l'époque a evolué, et que la façon dont ils pensent est différente de celle de leurs parents. « Aujourd'hui, notre géneration est consciente de ce qu'elle veut et nous savons que le fait de tomber malade peut nous empêcher de réaliser nos rêves, et c’est pour ça que nous nous mobilisons », raconte Baba Coulibaly.

Au départ, AED avait pour objectif de faciliter l'accès des femmes vivant avec le VIH  au traitement. Ensuite, l'association s’est mise à aider les mères et leurs bébés nés avec le VIH. Quinze ans plus tard, bon nombre de ces enfants devenus des adolescents viennent encore de temps en temps. En faisant le bilan de ses vingt années d’activisme sur le VIH, Mme Kafando considère que: « Depuis de nombreuses années, les femmes sont le visage du VIH, mais qu'il est crucial d’impliquer les hommes et les garçons pour les sensibiliser davantage ».

Pour Jacinta Kienou, infirmière membre de l’association depuis sa création, deux grands problèmes se posent: un certain nombre de jeunes vivant avec le VIH ne prennent plus leur traitement régulièrement et de nombreux jeunes ne savent pas très bien comment gérer leurs relations sentimentales.

« Comme ils vivent avec le VIH et qu’ils sont jeunes, beaucoup de problèmes apparaissent au moment de leurs rapports amoureux, et se pose la question de l’acceptation par les autres à propos de leur séropositivité», explique-t-elle. «Nous donnons des conseils aux jeunes et à leurs parents en même temps », ajoute-t-elle.



Au Burkina Faso, les jeunes représentent plus de 60 % de la population et les données indiquent que beaucoup d’entre eux ignorent leur état sérologique. André Kaboré, Responsable de l’information stratégique à l’ONUSIDA, décrit deux problèmes concernant les jeunes. « Malgré un traitement de haute qualité facilement disponible, il y a encore des enfants ici qui ne savent pas qu’ils vivent avec le VIH. Pire encore, bon nombre de ceux qui savent qu’ils vivent avec le VIH n’ont pas accès au traitement », déclare-t-il.

Dans ce pays, 94 000 personnes vivent avec le virus, dont 9 400 sont des enfants de moins de 15 ans. Alors que 65 % des adultes vivant avec le VIH prennent un traitement antirétroviral qui leur sauve la vie, les enfants ne sont que 28 %.  Seulemtent 3 500 sont sous traitement. Mme Kafando les a baptisés la génération oubliée. « Ils sont passés à travers les mailles du filet parce que jusqu’à présent, ils n’ont jamais été malades ou n’ont jamais eu besoin de soins, et donc ils n’ont jamais été dépistés », explique-t-elle.

La responsable du Conseil national de lutte contre le sida pour Bobo-Dioulasso et la région des Hauts-Bassins, Suzanne Sidibé, ajoute : « Nous avons perdu de vue les enfants nés avec le VIH. Notre objectif, avec l’aide de l’Association Espoir pour Demain (AED), est d'aller à l'encontre des familles avec l’aide des médiatrices de santé ».

Hoho Kambiré, qui vit avec le VIH, a quatre enfants, dont deux sont séropositifs. Elle fait partie de ces médiatrices et rend visite aux familles, accompagne les femmes dans les dispensaires et leur apporte son soutien.

« Il est nécessaire de faire dépister tous les enfants pour savoir lesquels sont malades et lesquels ne le sont pas et pouvoir les suivre afin qu’ils restent en bonne santé », explique-t-elle. AED dispose aujourd’hui de plus de 50 médiateurs de santé, la plupart étant des femmes comme Mme Kambiré, venue initialement à l’association pour solliciter son aide.

Le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF) et l’ONUSIDA soutiennent AED financièrement. Mireille Cissé, spécialiste du VIH à l’UNICEF, explique qu’au Burkina Faso, les Nations Unies ont identifié les principales priorités de la riposte au sida dans le pays.  Le travail avec la société civile est l'une des pierres angulaires.

« Nous avons convenu qu’un lien devait être établi avec les communautés, car elles représentent notre point d’entrée dans les familles », indique-t-elle. L’UNICEF qui apporte un soutien financier à ses médiatrices œuvre main dans la main avec le bureau régional du Ministère de la Santé.

« Une véritable victoire pour nous a été de voir les médiateurs de santé être intégrés dans les équipes sanitaires des districts », se réjouit Mme Cissé. « Cette reconnaissance a réellement facilité le rôle des médiatrices ».

L’ONUSIDA a renforcé les capacités des médiateurs de santé afin d’élargir leur champ d’intervention, qui va du conseil psychosocial à la formation sur l’observance du traitement. « Maintenir nos progrès dans la riposte au VIH et en finir avec le sida dépend beaucoup de la société civile, comme avec l’Association Espoir pour Demain », déclare Job Sagbohan, Directeur national de l’ONUSIDA. « Nous espérons vraiment avoir un impact maximum ».

Le Burkina Faso à la tête d’un projet pilote sur la PrEP

08 avril 2019

Depuis quatre mois, Benjamin Sana se rend régulièrement à la Clinique de l’Oasis à Ouagadougou, au Burkina Faso, pour y consulter un médecin qui lui fait un bilan complet.

Le médecin vérifie également si M. Sana a des questions concernant son traitement de prophylaxie pré-exposition (PrEP) et des pairs-éducateurs, spécialement formés, sont à sa disposition pour assurer un accompagnement psycho-social plus personnel.  La PrEP est destinée aux personnes séronégatives au VIH, mais exposées à un fort risque d’infection, et ce traitement s’est révélé très efficace pour protéger les personnes contre le VIH.

« Deux plus un, plus un », répond M. Sana, interrogé sur le moment où il doit prendre ses comprimés : deux comprimés avant un rapport sexuel, puis un le lendemain et à nouveau un le jour suivant, ou un par jour jusqu’à son dernier rapport sexuel. Une fois son bilan médical achevé, cet homme gay de 34 ans déclare : « La PrEP me protège et je me sens rassuré ». Il utilise toujours des préservatifs et du lubrifiant, mais quand il ne le fait pas, il dit se sentir plus en sécurité.



M. Sana est l’un des 100 hommes qui participent au projet pilote de PrEP auprès de la Clinique de l’Oasis, gérée par l’Association African Solidarité (AAS). Des établissements de santé communautaire de Côte d’Ivoire (Espace Confiance), du Mali (Arcad-Sida) et du Togo (Espoir de Vie) participent également à ce projet pilote, en cours depuis 2017.

Camille Rajaonarivelo, médecin de l’AAS, explique que la PrEP fait partie d’une approche de prévention combinée qui inclut aussi la paire éducation. Selon elle, le projet va servir à mesurer l’observance du traitement et à vérifier si les participants prennent correctement la PrEP.

« Le but final de ce projet pilote est d’élargir et de déployer la PrEP à l’échelle nationale une fois que les autorités auront donné le feu vert », indique-t-elle. 

L’étude vise à évaluer l'acceptabilité de la PrEP par les HSH et son accessibilité dans un contexte ouest-africain.  Financé par l’Agence publique française de recherches sur le sida (ANRS) et l'Initiative 5% d'Expertise France, le projet est coordonné par trois instituts de recherche (IRD, l'INSERM, et l'Institut de Médecine Tropicale d'Anvers) en partenariat avec Coalition PLUS. Cette étude permettra d’obtenir des données et de vérifier si le traitement fait reculer le nombre de nouvelles infections à VIH chez les hommes gays et les autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes.

Le Burkina Faso ne pénalise pas l’homosexualité, mais la stigmatisation à son encontre est élevée. En conséquence, les hommes gays et les autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes cachent souvent leur sexualité et ont tendance à éviter les services de santé. Au Burkina Faso, la prévalence du VIH est de 1,9 % chez les hommes gays et les autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, soit plus du double du taux au sein de la population générale.

Les premiers résultats définitifs du projet pilote sur la PrEP à Ouagadougou devraient être disponibles en 2020. M. Sana raconte que beaucoup de ses amis ont montré un intérêt pour la PrEP. « Comme le nombre de participants au projet pilote est limité, beaucoup de gens ont été refusés », explique-t-il.

Il pense que la PrEP va sauver des vies, en particulier chez les hommes jeunes. « De nos jours, les jeunes hommes prennent beaucoup de risques et ils ne se protègent pas », ajoute M. Sana. Mme Rajaonarivelo approuve et ajoute que cela s’applique aussi bien aux jeunes hommes qu’aux jeunes femmes. « Je suis stupéfaite du nombre de nouveaux cas de VIH que j’observe chaque semaine », déclare-t-elle. « Il faut renforcer à nouveau la prévention et la sensibilisation au VIH ».

Santé et sécurité : quand les professionnelles du sexe s’entraident

26 février 2019

Quittant la réunion de REVS PLUS, une association de lutte contre le sida au Burkina Faso, les femmes se saluent en se disant « À demain soir ! ». Rassemblées dans un centre d’accueil qui sert également de point de rencontre pour divers réseaux anti-VIH de Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du pays, elles discutaient du planning des activités prévus pour le lendemain soir : diverses opérations de dépistage VIH 'hors les murs.' 

« Nous échangeons nos expériences et nous jouons le rôle de confidentes », explique Camille Traoré (son nom a été changé), professionnelle du sexe et pair-éducatrice. Sa collègue, Julienne Diabré (son nom a été changé), vêtue d’une longue robe fluide, intervient : « Dans notre métier, c’est dur de se confier à quelqu’un, alors la confidentialité est très importante ».

Charles Somé, responsable plaidoyer à  REVS PLUS/Coalition PLUS, décrit ce groupe de femmes comme un maillon indispensable de la chaîne pour atteindre les professionnelles du sexe.

« À cause de la stigmatisation et de la discrimination, beaucoup de professionnelles du sexe se cachent et se déplacent. Les services de santé ne peuvent pas les atteindre et elles sont davantage susceptibles d’être infectées par le VIH », explique-t-il. Au Burkina Faso, la prévalence du VIH chez les professionnel(le)s du sexe est de 5,4 %, alors qu’elle n’est que de 0,8 % dans l’ensemble de la population adulte du pays.

Avec le recrutement de pairs-éducatrices qui connaissent les réalités du travail et peuvent entrer en contact avec d’autres femmes, la sensibilisation au VIH s’est accrue au sein de la communauté, selon M. Somé.

« Nous avons aussi innové en organisant des dépistages du VIH le soir dans les lieux où les professionnelles du sexe se rassemblent », ajoute-t-il. La prostitution n’est pas illégale au Burkina Faso, mais le code pénal interdit le racolage. 



Le lendemain soir, le long d’une rue plongée dans le noir, REVS PLUS installe des tables pliantes avec deux chaises à chaque table. Des petites lampes de camping à énergie solaire permettent aux pairs-éducatrices de voir dans l’obscurité et de prendre des notes. Munies de gants en plastique, les pairs-éducatrices formées s’assoient avec les femmes, leur font une piqûre au doigt et, en cinq minutes, leur donnent le résultat de leur test de dépistage du VIH.

M. Somé explique qu’au fil des années, les actions de proximité de REVS PLUS ont permis de gagner la confiance des professionnelles du sexe.

Il raconte que les pairs-éducatrices l’appellent régulièrement pour se plaindre des violences policières. « Cela va des arrestations arbitraires au vol de leur argent, en passant par des viols », explique M. Somé.

Mme Diabré décrit ses rapports avec la police. « Le jour, ils vous pointent du doigt et se montrent discriminants, tandis que la nuit ils deviennent tout mielleux pour obtenir des faveurs et si on n’obéit pas, ça tourne au vinaigre », raconte-t-elle.

Au bout d’une année de documentation sur les abus de la police avec l’aide de propriétaires de bars et des témoignages de professionnelles du sexe, REVS PLUS a pu rencontrer des responsables du gouvernement, puis de la police.

« Notre approche a attiré leur attention et nous avons lancé des sessions de formation et de sensibilisation auprès des agents de police sur la base de notions élémentaires de droit et du commerce du sexe », déclare M. Somé.

Progressivement, REVS PLUS a gagné des alliés dans chaque commissariat, afin de faciliter le dialogue en cas d’incident. En outre, toutes les professionnelles du sexe doivent maintenant avoir sur elles une carte de santé indiquant qu’elles font des bilans de santé réguliers.

Une femme nigériane portant du rouge à lèvres violet, Charlotte Francis (son nom a été changé), ajoute : « Nous avons encore des problèmes et nous les évitons, mais ça va mieux ». Elle brandit sa carte de santé bleue, que les propriétaires de bars lui demandent régulièrement de présenter, d’après elle.

En faisant visiter son bar et une série de chambres individuelles dans une cour extérieure, Lamine Diallo explique que la police ne fait plus de descentes dans son établissement. « Avant, la police embarquait toutes les femmes, et même mes clients », raconte-t-il.

Avec des fonds octroyés par le Luxembourg, l’ONUSIDA est en train de conclure un partenariat avec REVS PLUS pour élargir la formation et la sensibilisation de la police à tout le pays. Des formations ont été organisées à Ouagadougou, la capitale, et à Bobo-Dioulasso.

Aboubakar Barbari, Responsable de la mobilisation communautaire au Burkina Faso pour l’ONUSIDA, estime que ce programme joue sur deux plans. « Nous soutenons les sessions de sensibilisation pour la police et les forces de l’ordre non seulement parce que cela permet de réduire la stigmatisation, mais aussi parce que cela permet de mettre en lumière des droits humains élémentaires ». 

Ils ne me jugent pas, alors pourquoi je les jugerais ?

28 février 2019

« J’ai de la chance », déclare Charles Somé. Ce défenseur des droits de l’homme hyperactif originaire du Burkina Faso se souvient d’être allé à une session de formation et avoir blâmé quelques hommes présents à propos de leur orientation sexuelle. « J’avais des préjugés et je leur ai demandé « Vous ne voulez donc pas vous marier, avoir des enfants» ? », raconte-t-il. Un jeune homme s’ouvre alors à lui et, au bout de plusieurs jours de franche discussion, M. Somé voit son opinion changer radicalement.

« J’ai réalisé que si je n’étais pas jugé, je n’avais pas à juger les autres », explique M. Somé, responsable du plaidoyer à REVS PLUS/Coalition PLUS. Depuis, lorsqu’il s’exprime pour défendre les hommes gays et les autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, il utilise le mot « nous ».

L’homosexualité n’est pas illégale au Burkina Faso, mais la stigmatisation et la discrimination restent très fortes. Beaucoup d’hommes se marient et cachent leur double vie. Des groupes de soutien aux personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres se sont formés, mais la discrétion reste fondamentale.

« Je suis obligé de me cacher car je ne suis pas accepté », explique Rachid Hilaire (son nom a été changé). Il a rejoint un groupe de parole informel dans sa ville natale, Bobo-Dioulasso, au sein duquel des jeunes hommes parlent ensemble de relations, de sexe, du VIH et d’autres sujets. « J’ai eu beaucoup de doutes sur moi-même, mais lorsque j’ai eu davantage confiance en moi, je me suis dit que je pouvais aider les autres », explique-t-il. À l’extérieur de la salle de réunion de REVS PLUS, il plaisante avec M. Somé en lui disant qu’il garde un œil sur lui. M. Hilaire est l’un des 50 pairs-éducateurs de REVS PLUS qui animent des discussions informelles comme celle à laquelle il a assisté, conçues pour les hommes gays et les autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes. Après sa formation, avec un autre pair-éducateur, il s’est mis à organiser des dialogues ouverts avec les hommes.

Selon M. Hilaire, le plus gros défi reste d’éduquer le grand public, ainsi que les responsables politiques et religieux. « J’en veux à nos aînés pour leur manque de sensibilisation », explique-t-il. « Tout le monde mérite d’être libre et j’ai envie d’avoir cette sensation de liberté », ajoute-t-il. 

Yacuba Kientega (son nom a été changé) a fui son foyer à Bobo-Dioulasso pour aller s’installer à Ouagadougou quand sa famille a découvert qu’il avait des relations avec des hommes. « Je suis finalement revenu pour suivre mes études à Bobo-Dioulasso, mais j’habite dans un autre quartier », explique-t-il. D’après lui, la situation s’est améliorée pour les hommes gays, mais il ne va pas abandonner la lutte pour autant.

En tant que lobbyiste pour un réseau regroupant plusieurs organisations de lutte contre le VIH, le combat de M. Somé pour les droits des individus ne s’arrête jamais.

« Je fais de mon mieux pour que les communautés sous-représentées soient entendues par le gouvernement et les parlementaires », explique-t-il. Il estime que les groupes de soutien et l’éducation par les pairs ont permis d’atteindre les populations clés, comme les consommateurs de drogues injectables, les hommes gays et les autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les professionnel(le)s du sexe. « Nous avons observé une hausse de la fréquentation des services de santé en ciblant certaines communautés et j’espère que cette tendance se maintiendra », déclare M. Somé. « Pour en finir avec le sida, il va falloir s’attaquer vraiment à la stigmatisation et insister sur la prévention », ajoute-t-il.

Le Directeur national de l’ONUSIDA au Burkina Faso, Job Sagbohan, ne peut qu’approuver. « La riposte au VIH doit suivre l’évolution de l’épidémie », déclare-t-il. « À une époque, il a fallu sauver des vies et nous avons réussi en nous concentrant sur le traitement pour tous », explique-t-il. « Pour en finir avec le VIH comme menace de santé publique, nous devons cibler la prévention et la sensibilisation. C’est la seule façon de maintenir notre progression et d’en finir avec le sida ».

Un agent de santé communautaire montre la voie au Burkina Faso

19 juillet 2017

En tant que jeune bénévole dans un hôpital du Burkina Faso, Christine Kafando a eu fort à faire pour convaincre. En 1997, le VIH était synonyme de maladie mortelle et personne ne la croyait lorsqu’elle expliquait aux personnes vivant avec le VIH qu’elle était elle aussi séropositive au VIH.

« Les gens m’accusaient de mentir, en disant que j’avais l’air en trop bonne santé », raconte-t-elle. Il lui est même arrivé de prendre son traitement avec quelqu’un pour lui montrer qu’elle vivait effectivement avec le VIH.

Malgré la résistance des patients, elle a persévéré.  Elle s’est même mise à rendre visite aux gens chez eux pour des contrôles de routine.

« À l’époque », explique-t-elle, « les hôpitaux et leur personnel ne savaient pas comment gérer le VIH, alors nous avons retroussé nos manches pour combler les lacunes ».

Cela faisait un an que Mme Kafando avait découvert qu’elle vivait avec le VIH. Son petit ami de l’université (qui deviendra son mari) et elle étaient allés passer un test de dépistage ensemble. Il était négatif, elle non.

Elle raconte qu’elle a eu très peur et que tous ses rêves se sont effondrés. Son mari voulait absolument des enfants ; il la quittera six mois après le diagnostic.  Avec le soutien de sa famille, elle se lance dans la sensibilisation au VIH. Mme Kafando est alors devenue la première femme séropositive au VIH à révéler publiquement son statut au Burkina Faso.

« J’ai compris que les gens pensaient que le VIH n’arrivait qu’aux autres, mais je leur ai prouvé que cela pouvait arriver à n’importe qui », explique-t-elle.

En rejoignant comme bénévole l’organisation REVS+, qui venait de voir le jour, dirigée et gérée par des personnes vivant avec le VIH, elle s’est trouvé un but.

Elle est devenue une personne de confiance, autant que les différents médecins, faisant souvent la liaison entre les familles et l’hôpital.

Elle a réalisé qu’aider les personnes à accéder au traitement et surveiller leur santé était certes important, mais qu’il fallait aussi en faire davantage sur le front de la prévention.

Elle a réparti son temps entre l’hôpital et les dispensaires de dépistage.

Sans relâche, Mme Kafando a martelé le même message, encore et encore : « il vaut mieux savoir quel mal nous touche que de vivre dans l’ignorance. Faites-vous dépister ».

La « grande gueule », comme l’appellent ses pairs, a même attiré l’attention du Président du Burkina Faso. « Je lui ai dit : « si vous ne faites rien contre le sida, vous n’aurez plus personne à gouverner » », raconte-t-elle avec fierté.

D’un coup, elle a compris que son esprit de lutte avait payé, car non seulement le Président de l’époque, Blaise Compaoré, est allé se faire dépister, mais le coût du traitement s’est mis à baisser et le dépistage est devenu gratuit pour les femmes et les enfants. 

Dao Mamadou, sociologue et coordonnateur technique burkinabé, décrit Christine comme quelqu’un qui transforme les paroles en actes.

« Elle a consacré près de 20 ans de sa vie à aider les femmes et les enfants vivant avec le VIH et n’a jamais cessé d’être au service des autres », déclare M. Mamadou. 

Elle a adopté deux enfants et approfondi son expérience dans le secteur de la santé.

En revenant en arrière en 2003, elle explique que les agents de santé communautaires avaient oublié un élément fondamental. 

« Il est arrivé quelquefois que des couples vivant avec le VIH viennent me voir et, alors que je leur demandais ce qu’était devenu leur bébé, la mère me disait « il est mort » », raconte-t-elle.

Personne n’avait pensé à la transmission du VIH aux bébés et au bien-être des enfants après la naissance ; c’est pourquoi Mme Kafando a créé l’Association Espoir pour Demain (AED).

Son organisation mène des campagnes de sensibilisation au VIH auprès des femmes enceintes dans les maternités. En très peu de temps, AED est devenue la référence pour toutes les femmes enceintes vivant avec le VIH.

M. Mamadou, le coordonnateur technique pour le VIH, raconte qu’il a vu Christine devenir une icône.

« Elle est considérée comme notre Mère Teresa pour les innombrables orphelins et enfants vulnérables », déclare-t-il.

Au fil du temps, son organisation a fait des petits au-delà de Bobo-Dioulasso. Grâce à elle, plusieurs organisations de lutte contre le VIH se sont rassemblées afin de mieux coordonner les financements et les ressources.

Le moment dont elle est le plus fière, c’est celui où elle a obtenu la reconnaissance nationale de la France et du Burkina Faso en 2011.

« En recevant ces distinctions, j’ai compris que j’avais sauvé des vies », explique-t-elle.  

Son agenda actuel la voit faire sans cesse l’aller-retour entre la capitale et Bobo, presque deux fois par semaine.

Elle se sent frustrée car les jeunes d’aujourd’hui semblent hermétiques à la question du VIH.

« Le traitement du VIH a persuadé les gens qu’ils pouvaient maîtriser cela, mais ce n’est pas la bonne façon de penser », explique-t-elle.

Sa bataille actuelle porte sur le lancement de nouvelles campagnes de prévention du VIH et la diffusion de ce message, même si, admet-elle « j’ai toujours été une combattante dans la riposte au sida ».   

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