De nouveaux médicaments peuvent aider à mettre fin au sida, mais les prix élevés et les monopoles pourraient empêcher les pauvres d’y avoir accès

18 mai 2022

Cet article a été publié pour la première fois par Inter Press Service

Matthew Kavanagh et Eamonn Murphy

Les auteurs sont tous deux directeurs exécutifs adjoints du Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA)

WASHINGTON DC, 18 mai 2022 (IPS) - Une bonne nouvelle pour commencer : nous assistons à l’émergence d’un nouveau type de médicaments révolutionnaires pour prévenir et traiter le VIH. Bientôt disponibles, ces médicaments dits à action prolongée ne devront être pris que quelques fois par an seulement au lieu des thérapies quotidiennes actuelles. S’ils sont mis à disposition d’un très large public au fur et à mesure de leur mise sur le marché, ils permettront de sauver de nombreuses vies et d’aider à mettre fin à la pandémie de sida.

Mais voici la mauvaise nouvelle : dans la situation actuelle, la plupart des personnes qui en ont besoin ne pourront pas les obtenir rapidement à cause de leur prix élevés et parce que des monopoles excluront les personnes dans les pays à revenu faible et intermédiaire. C’est, une fois encore, la direction que nous prenons.

L’ONUSIDA s’est entourée de scientifiques, de chercheurs et chercheuses de réputation mondiale. Tous et toutes ont mis en avant que des médicaments de prévention à action prolongée sont désormais disponibles. Ces derniers se limitent à quelques injections par an pour protéger très efficacement contre la transmission du VIH. Les États-Unis les ont déjà autorisés et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) se penche actuellement sur le dossier.

À court terme, nous disposerons également d’autres médicaments prometteurs pour un traitement à action prolongée actuellement en cours de développement. S’ils tiennent leurs promesses, ils faciliteront le suivi à vie d’une thérapie contre le VIH, même pour les personnes dont le mode de vie ne permet pas de prendre aisément un comprimé tous les jours.

De nouveaux outils de prévention du VIH comme la prophylaxie pré-exposition (PPrE) à action prolongée sont indispensables pour lutter contre la pandémie en cours. En 2020, alors que l’humanité s’était donné pour objectif commun de ramener les nouvelles infections en dessous de la barre des 500 000 cas, nous en avons recensé 1,5 million et les nouvelles contaminations au VIH augmentent dans beaucoup trop de communautés.

La PPrE injectable à action prolongée pourrait aider à combler une lacune essentielle en matière de prévention du VIH pour les personnes exposées à des niveaux de risque extrêmes, en particulier ceux et celles dont la vie, les conditions logistiques et le contexte juridique gênent l’accès et la prise d’une PPrE orale.

On retrouve parmi ces populations les victimes de discriminations, les hommes gays et les personnes transgenres, les travailleurs et travailleuses du sexe et les toxicomanes en Afrique, en Asie, en Amérique latine et aux Caraïbes, ainsi qu’en Europe de l’Est. Les jeunes femmes africaines ont également besoin de nouvelles options de prévention du VIH, car elles sont exposées à des risques disproportionnés par rapport aux jeunes hommes de leur âge.

Des études ont montré que de nombreuses personnes souhaitent une option à action prolongée et on estime en effet que 74 millions de personnes dans le monde optent pour des méthodes de contraception injectables à action prolongée. Des études à la méthodologie précise présentées lors de la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI) ont montré que la PPrE à action prolongée peut empêcher davantage de nouvelles infections que la prise quotidienne d’un comprimé.

Si l’OMS approuve son utilisation, le monde aura l’obligation de la rendre rapidement disponible à grande échelle. La meilleure façon de s’assurer que ces découvertes révolutionnaires changent la donne tout autour du globe est de les mettre librement à la disposition de toutes les personnes qui la choisissent.

L’année dernière, les États membres de l’ONU ont approuvé une nouvelle Déclaration politique sur le VIH/sida qui fixe un objectif ambitieux : que 11 millions de personnes aient accès à la PPrE d’ici 2025. Pour y parvenir, les gouvernements et les institutions qui devront acheter des stocks importants auront besoin de le faire à un prix abordable pour eux.

Actuellement, aux États-Unis, la PPrE à action prolongée coûte des dizaines de milliers de dollars. Cependant, les membres du Comité consultatif scientifique et technique (STAC) de l’ONUSIDA estiment qu’il est possible de produire une PPrE à action prolongée à un prix abordable, ce qui fera passer son coût de plusieurs dizaines de milliers de dollars à quelques dizaines de dollars seulement. Une baisse des prix serait possible sans rogner sur les profits à long terme des fabricants.

Pour le traitement du VIH, la science fait également des progrès rapides, et des technologies prometteuses en cours de développement pourraient rebattre les cartes. L’année dernière, 28,2 millions de personnes séropositives suivaient un traitement contre le VIH, ce qui correspond à plus de 10 milliards de comprimés consommés par an.

Mais 10 millions d’autres personnes ont toujours besoin d’un traitement anti-VIH. Le choix entre une pilule dont l’effet dure une semaine et une injection qui est efficace pendant des mois, faciliterait considérablement la mise en place et le suivi d’une thérapie, et, par conséquent, permettrait de sauver des vies et de donner un coup d’arrêt à la transmission du VIH.

L’accès généralisé à ces médicaments est entravé par plusieurs obstacles structurels, dont le fait que leur production reste jusqu’à présent entre les mains d’un nombre restreint d’entreprises présentes dans de rares pays. Cette situation maintient les prix à un niveau élevé et limite (et concentre) l’offre. Nous savons par expérience (avec les premiers ARV, la deuxième génération d’ARV et les vaccins et médicaments contre la COVID-19) que cette barrière ne peut être surmontée que par une intervention sur le marché.

Lorsqu’un traitement contre le VIH est apparu pour la première fois à la fin des années 1990, la thérapie coûtait plus de 10 000 $ par personne par an à cause des monopoles, si bien que des millions de personnes séropositives n’avaient pas les moyens de se l’offrir.

Une des conséquences a été la mort de 12 millions de personnes en Afrique. Nous avons observé une utilisation massive des antirétroviraux pour mettre fin au sida à partir du moment où les pays à revenu faible et intermédiaire ont lutté contre les pressions exercées et ont commercialisé des médicaments génériques concurrents, mais aussi lorsque la société civile mondiale a contraint les entreprises et les gouvernements occidentaux à cesser de se mettre en travers de leur route.

Cette expérience a conduit l’humanité à la conclusion qu’il ne fallait plus jamais que les personnes des pays en voie de développement soient exclues de l’accès aux technologies médicales vitales. Pourtant cette même approche d’exclusion aux conséquences mortelles empêche actuellement l’Afrique d’avoir accès à suffisamment de vaccins pour lutter contre la crise de la COVID-19.

Et vu la direction prise aujourd’hui, nous craignons que l’histoire ne se répète avec les nouveaux médicaments anti-VIH. Il faudra peut-être des années avant que de nouveaux médicaments disponibles à New York ou à Londres atteignent les personnes qui en ont le plus besoin à Manille, Freetown, Maputo, Sao Paolo et Port-au-Prince.

Toutefois, une autre stratégie existe, une stratégie qui garantit que les découvertes scientifiques développent leur plein potentiel. Les entreprises qui fabriquent des médicaments anti-VIH sont en mesure de fixer des prix à des niveaux que les pays à revenu faible et intermédiaire peuvent payer. La production de génériques dans les pays à revenu faible et intermédiaire est essentielle pour garantir des prix abordables sur le long terme.

Pour ce faire, nous devons briser les monopoles. Le regroupement des brevets et le transfert proactif de technologies permettront à un plus grand nombre d’entreprises en Afrique, en Asie et en Amérique latine de fabriquer des ARV à action prolongée à faible coût. Cela doit devenir une pratique standard. Par ailleurs, il est possible de partager des informations avant même d’avoir obtenu l’autorisation officielle de mise sur le marché.

Bien entendu, le prix et la production locale ne sont pas les seuls obstacles à une utilisation efficace de ces traitements. Certains systèmes de santé publique auront besoin de la solidarité et du soutien du monde entier pour assurer leur approvisionnement. Cette aide ne se limitera pas à l’achat, mais couvrira la logistique et le stockage, des formations pour assurer une fourniture efficace des médicaments, ou encore l’engagement des communautés pour couvrir la demande en traitements et apporter les connaissances suffisantes sur ces thérapies afin de renforcer leur suivi. Le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida et nos partenaires apportent leur soutien à tous ces domaines.

Appuyons-nous sur la riposte urgente contre la COVID-19 pour mettre fin aux inégalités d’accès à toutes les technologies de santé, en encourageant les meilleures recherches scientifiques et en les transmettant à tout le monde, en investissant dans toutes les innovations en matière de santé qui sont des biens publics pour l’humanité entière.

Pour stopper les pandémies d’aujourd’hui et prévenir celles de demain, il est essentiel de passer d’une logique de monopoles des connaissances sur les technologies de santé vitales à une logique de partage dans le monde entier. Nous devons réformer les règles relatives à la protection de la propriété intellectuelle qui nous ont fait échouer au cours de ces pandémies, de sorte que l’accès aux découvertes scientifiques vitales ne dépende plus de votre passeport ou de l’argent que vous avez en poche.

Nous avons besoin que les gouvernements utilisent leurs compétences pour obliger le partage des découvertes scientifiques et des technologies liées aux pandémies, et nous avons besoin de leviers pour obliger les entreprises et les pays à utiliser les mécanismes dirigés par l’OMS. Nous devons créer une séparation entre les incitations en faveur de l’innovation et les monopoles sur la fabrication. Les monopoles restreignent l’offre, perpétuent des prix inabordables, aggravent les inégalités et se sont révélés un moteur d’innovation peu fiable, en particulier pour les problèmes de santé qui touchent de manière disproportionnée les personnes vivant dans la pauvreté.

Nous devons maintenant investir pour renforcer les capacités mondiales de production dans le domaine de la santé. Nous devons donner la priorité aux investissements dans les universités et autres établissements de recherche publics afin d’améliorer notre capacité technique à développer des technologies médicales pour toute l’humanité.

Nous pouvons mettre fin à la pandémie de sida. Ainsi qu’à la pandémie de COVID-19. Et arrêter les pandémies de demain. Mais nous avons pris du retard, en partie parce que les découvertes en biomédecine n’atteignent pas ceux et celles qui en ont le plus besoin. Agir en faveur des ARV à action prolongée évitera une contamination à de nombreuses personnes qui auraient sinon contracté le VIH. Les personnes vivant avec le VIH qui, autrement, seraient décédées du sida resteront en vie. Et le bien-être et la dignité des personnes exposées au VIH ou vivant avec le virus en seront renforcés.

Le fonctionnement normal du seul marché ne peut garantir un accès équitable à l’échelle mondiale aux technologies de lutte contre les pandémies. Ce dernier dépend aussi de la politique et de la pratique. Nous ne pouvons pas attendre le déploiement à grande échelle de toutes ces technologies dans les pays riches pour nous pencher sur ces règles. Nous devons nous y atteler sans attendre.

Les leaders des réseaux de la société civile, en particulier ceux dirigés par les personnes vivant avec le VIH et par les populations clés, nous demandent d’agir maintenant pour garantir l’accès de l’humanité entière aux nouvelles technologies anti-VIH. Nous en avons la capacité et le devoir.

En effet, le partage des découvertes scientifiques sauvera des vies et stoppera les pandémies.

Bureau IPS de l’ONU

ONUSIDA

Le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) guide et mobilise la communauté internationale en vue de concrétiser sa vision commune : « Zéro nouvelle infection à VIH. Zéro discrimination. Zéro décès lié au sida. » L’ONUSIDA conjugue les efforts de 11 institutions des Nations Unies – le HCR, l’UNICEF, le PAM, le PNUD, l’UNFPA, l’UNODC, ONU Femmes, l’OIT, l’UNESCO, l’OMS et la Banque mondiale. Il collabore étroitement avec des partenaires mondiaux et nationaux pour mettre un terme à l’épidémie de sida à l’horizon 2030 dans le cadre des Objectifs de développement durable. Pour en savoir plus, consultez le site unaids.org, et suivez-nous sur Facebook, Twitter, Instagram et YouTube.

Afrique du Sud : la Free State University décerne un titre honorifique à la directrice exécutive de l’ONUSIDA, Winnie Byanyima

30 avril 2022

Voici le discours prononcé par la directrice exécutive de l’ONUSIDA, Winnie Byanyima, lors de la cérémonie de remise des diplômes organisée sur le campus Qwaqwa de l’University of the Free State d’Afrique du Sud

Cher vice-président adjoint, Professeur Naidoo, distingué(e)s responsables de cette formidable université, Mesdames et Messieurs, cher(e)s diplômé(e)s,

Je tiens à remercier l’University of the Free State Sciences pour l’honneur qui m’est échu de recevoir un titre de docteur honorifique de cette prestigieuse université. Je sais qu’à travers moi, vous reconnaissez le travail de tous ceux et celles qui œuvrent en faveur de la justice sociale dans le monde, en particulier pour le droit universel à la santé. C’est pleine d’humilité que je me tiens devant vous et je suis fière de rejoindre la communauté Kovsie !

La salle où nous nous trouvons porte le nom d’un homme courageux et sage. Madiba nous a dit, et je le cite ici, que « l’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde ». Je ne pourrais dire mieux. J’ai été touchée d’apprendre que cette université avait décerné un titre honorifique de docteur au président Mandela en 2001.

Mes deux parents étaient enseignants. L’un à l’école primaire et l’autre à l’école secondaire. Ils faisaient fi des conventions. Nous, leurs enfants, ils nous ont poussés et encouragés à relever des défis. Ils nous ont appris que ce qui compte le plus dans le monde, c’est d’appartenir à sa communauté et de lutter pour la justice.

Pour moi, comme pour tant d’autres sur le continent africain, votre lutte pour l’égalité en Afrique du Sud, une lutte inachevée comme nous pouvons le constater, est source d’inspiration. À l’époque horrible de l’apartheid, même le nom de votre province, l’État libre, laissait un goût amer dans la bouche. Aujourd’hui, alors que la longue marche se poursuit, l’objectif que vous visez rend votre nom d’État libre aussi beau que ces mots le méritent.

Je souhaite partager avec vous trois réflexions sur la liberté. Ces pensées s’inspirent en grande partie de l’histoire des gens de votre pays, y compris des mouvements étudiants passés et actuels.

La première est que la véritable liberté va bien au-delà de la liberté de vote ou, dans le cas de votre pays, de la liberté de ne pas être mis au ban de la société. La vraie liberté apparaît lorsque chacun et chacune d’entre nous est en mesure de s’épanouir. L’éducation est ici essentielle. Elle doit être un droit pour tous et toutes et non un privilège réservé à certaines personnes. Chaque fois que je me rends dans mon village natal de Ruti en Ouganda, je rencontre des amis et amies qui n’ont pas eu les mêmes chances que moi. Ces personnes ont mis brusquement un terme à leur scolarisation à cause d’un mariage précoce, parce qu’elles devaient prendre soin d’un proche malade ou travailler pour aider leur famille, ou parce qu’elles ne pouvaient pas payer les frais de scolarité. Il faut aider toutes les filles et tous les garçons à aller au bout de leur scolarité. Les écoles doivent fournir un enseignement de qualité, être des lieux sans danger et émancipatoires, et, j’ajouterai, de joie, des lieux où l’on peut passer de bons moments et profiter de sa jeunesse ! Les efforts que vos étudiants et étudiantes ont effectués en faveur de l’ouverture et de la réforme de l’enseignement supérieur, de la suppression des aspects néfastes de son héritage, de l’inclusion générale, ont été un défi pour vous, pour vos institutions, mais vous avez accompli des avancées importantes et vous méritez d’être félicités pour les progrès réalisés. Bravo à tous et à toutes ! Oui, nous suivons vos engagements : Rhodes Must Fall [retrait d’une statue controversée sur un campus, ndt], suppression des frais de scolarité et vous inspirez d’autres étudiants et étudiantes du monde entier à lutter pour l’inclusion et l’égalité.

Ma seconde réflexion est qu’aucun et aucune d’entre nous n’est libre si nous ne sommes pas libres jusqu’à la dernière personne. C’est pourquoi la lutte pour la liberté doit toujours être transversale. Sur tout le continent et dans le monde entier, l’Afrique du Sud est un exemple pour les mouvements intersectionnels, pour la lutte contre les inégalités raciales ou encore pour l’égalité des sexes et pour les personnes LGBTQ. Ce sont ces actions inclusives qui rendent le monde libre. Alors, continuez à être cette lumière dans la nuit, en tant que pays, étudiant et étudiante, et anciens et anciennes diplômés. Luttez contre la stigmatisation, luttez contre la criminalisation. Dès que vous êtes témoin du rejet d’une personne à cause de sa race, parce qu’elle est une femme, gay ou trans, défendez-la. La tolérance ne suffit pas : soyez un ou une allié pour toutes les personnes marginalisées, en étant non seulement de leur côté, mais aussi à leur côté.

La troisième réflexion est que la liberté n’est jamais donnée, elle est toujours gagnée. Et elle n’est jamais acquise définitivement ou entièrement en un claquement de doigts, elle doit être acquise encore et encore. Tous les progrès accomplis ont été le fruit de mouvements collectifs, de l’organisation de personnes extraordinaires et ordinaires. J’ai participé aux mouvements des femmes en Afrique et dans le monde entier. Nous avons fait beaucoup de progrès en organisant des choses, en nous tenant la main, dans toute notre diversité. Les héros et les héroïnes les plus importants ne figurent pas dans les livres d’histoire ou ne parlent pas du haut d’une estrade comme moi, c’est vous, vous qui travaillez ensemble et formez des collectifs.

Utilisez la force que votre éducation vous offre. Utilisez-la pour demander des comptes et revendiquer des droits, pour vous-même et pour les autres. L’éducation m’a permis de quitter mon village rural de Ruti en Ouganda, où nous n’avions ni eau courante ni électricité et de siéger dans notre parlement national. J’ai été membre du parlement. Cela m’a conduit à diriger une organisation mondiale emblématique, Oxfam International, et, aujourd’hui, à mener le travail des Nations unies dans le monde entier pour lutter contre le sida. Tout cela en partant de mon petit village.

Mais cette force que l’éducation m’a donnée ne me rend jamais fière en elle-même. Elle me rend responsable de ce que je dois faire pour permettre à d’autres de s’élever, afin de rendre ce monde équitable et juste. Ma fierté, c’est ce que je peux faire avec les autres pour rendre le monde plus juste. Les diplômes ne sont que des outils pour atteindre un objectif.

Aujourd’hui, vous êtes à l’honneur. Vous avez parcouru un long chemin jusqu’ici. Je sais que vous allez fêter cette journée comme il se doit. Mais laissez-moi vous donner un défi. Alors que vous quittez ce magnifique campus pour faire votre entrée dans le monde et faire une différence, mon défi pour vous est le suivant :

découvrez le vaste monde et œuvrez pour bâtir une société où chaque fille et chaque garçon bénéficient de l’éducation complète et de qualité qu’ils méritent.

Allez à travers le monde pour bâtir une société qui garantit l’égalité pour tous et toutes. Pour que plus personne ne connaisse la discrimination pour son sexe, son origine ethnique, sa sexualité. L’égalité pour tous et toutes.

Sortez pour bâtir un pouvoir collectif, je crois au pouvoir des gens. Le changement n’est possible que grâce au pouvoir des gens. N’attendez jamais que les bons leaders arrivent et dirigent, vous êtes le leader qui doit prendre l’initiative.

Une société plus égalitaire sera bénéfique à tout le monde – aux riches, aux pauvres, aux personnes avec des capacités et à celles avec moins de compétences. Une société plus égalitaire est bénéfique pour tout le monde : elle est plus sûre, plus prospère, plus durable, plus saine et plus heureuse.

Je suis optimiste au fond de moi. Permettez-moi de vous raconter une histoire. C’est mon dernier défi. Vous êtes le résultat de l’histoire de votre pays. Nous tous et toutes en Afrique, en particulier ma génération, sommes le résultat de l’histoire de notre continent, y compris de celle de votre pays. Nous avons regardé, nous avons suivi ce qui s’est passé dans ce pays et nous avons attendu votre indépendance, car elle allait être l’indépendance de tout notre continent. Permettez-moi de vous dire que lorsque vous avez gagné votre liberté, nous sommes tous et toutes précipités pour voir l’Afrique du Sud, les Sud-Africains et les Sud-Africaines, parce que pendant de nombreuses années, nos passeports portaient un tampon qui disait : « Valable pour tous les pays à l’exception de la République d’Afrique du Sud ». Nous n’avions pas le droit de venir ici tant qu’il y avait encore l’Apartheid. C’était la résistance en provenance du reste de l’Afrique. Alors, lorsque vous avez acquis votre liberté, nous nous sommes empressés de voir la libération de la dernière partie de notre continent. Lorsque mon tour est arrivé et que je suis arrivée à l’aéroport de Johannesburg, qui ne portait pas encore le nom d’O.R. Tambo, il portait un autre nom, quand je suis arrivée, j’ai vu de nombreuses jeunes femmes au bureau de l’immigration et j’ai donné mon passeport à l’une d’entre elles. Elle m’a regardée avec un grand sourire et m’a dit « Bienvenue en Afrique du Sud » et je lui ai dit « Merci ». Puis elle a dit : « Comment ça va en Afrique ? » J’ai dit « En Afrique ? » « Oui, là d’où vous venez, comment c’est en Afrique ? » J’ai été frappée par le fait que cette jeune femme n’avait pas encore conscience que l’Afrique du Sud faisait partie de l’Afrique. Et bien sûr, j’ai discuté avec elle du fait que l’Afrique est là où l’on est. Et elle m’a dit : « D’accord, je sais, mais je veux dire là d’où vous venez. » Voici donc mon dernier défi pour vous, cher(e)s diplômé(e)s de ma promotion, vous êtes issus d’une histoire qui vous a coupé du reste de votre continent. Voici toutefois ce que je vous laisse, un défi et une bénédiction : sortez à travers le monde et soyez fiers d’être des Africains et des Africaines. Acceptez votre continent en entier. Sortez en sachant que nous avons une histoire en tant que continent et un destin en tant que continent. Mettez-vous au service de votre continent et tirez-en le meilleur parti.

Ce n’est donc pas seulement un honneur pour moi de recevoir ce titre honorifique et je vous en remercie. C’est un honneur pour moi de partager cette journée avec vous, cher(e)s diplômé(e)s, et de vous donner ma bénédiction, vous le futur, ou plutôt permettez-moi de dire, le présent de l’Afrique.

Je vous remercie.

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Nous ne pouvons pas laisser le conflit en Ukraine anéantir le traitement du VIH, de la tuberculose et de la COVID-19 en Europe de l’Est

09 mars 2022

Michel Kazatchkine — Cet article est paru à l’origine sur The Telegraph

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a lancé sans surprise un appel demandant que de l’oxygène et du matériel médical essentiel atteignent en toute sécurité les personnes en ayant besoin en Ukraine, et elle œuvre pour instaurer un transit sûr pour les livraisons à travers la Pologne. Mais cet appel n’est pas nouveau non plus. Nous l’avons déjà entendu par le passé.

L’annexion russe de la Crimée et le conflit dans les oblasts de Donetsk et Luhansk dans l’est de l’Ukraine en 2014 ont menacé l’approvisionnement en médicaments contre le VIH et la tuberculose. Les efforts fragiles de part et d’autre de la frontière intérieure et des financements du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme ont permis de continuer à approvisionner en médicaments les territoires séparatistes malgré le conflit des huit dernières années. 

Si la Russie vient à occuper de nouveaux territoires en Ukraine, il faut s’attendre à ce qu'il soit aussi difficile de garantir l’accès à ces médicaments pour les personnes vivant avec la tuberculose et le VIH ; les risques sont élevés si toutefois [cet accès] n’est pas déjà perdu.

Les autorités séparatistes du Donbass et l’administration russe en Crimée ont ainsi brusquement arrêté le traitement par agoniste opioïde (TAO) pour les consommateurs et consommatrices de drogues injectables, ce qui a entraîné beaucoup de souffrances et de décès par overdose et des suites d’une tentative de suicide.

Les ONG travaillant avec les communautés touchées au Donbass ont littéralement été fermées. Des décennies de lutte contre le VIH et la tuberculose nous ont appris à quel point la société civile, le leadership communautaire et les droits humains sont essentiels pour mettre fin à ces maladies.

La Fédération de Russie refuse de considérer le TAO comme une mesure de réduction des risques pour réduire le risque de transmission du VIH lorsque des personnes se partagent des aiguilles.

À l’inverse, l’Ukraine est un exemple en matière de réduction des risques, notamment en ce qui concerne le TAO et les programmes d’échange des aiguilles. Cela n’est pas rien en Europe de l’Est et en Asie centrale où l’épidémie de VIH continue d’enregistrer la croissance la plus rapide au monde.

Quelque 1,6 million de personnes vivent avec le VIH dans la région (dont 70 % en Russie) et ce chiffre augmente de 146 000 nouvelles infections environ chaque année. La consommation de drogues représente près de 50 % des nouvelles contaminations, mais les rapports sexuels non protégés devraient devenir la première cause dans les années à venir.

Toutefois, l’Ukraine affiche une des plus belles réussites dans la région pour ce qui est de garantir l’accès aux médicaments antirétroviraux (146 500 bénéficiaires l’année dernière).

Ces progrès étaient déjà menacés avant le conflit, alors que les restrictions liées à la COVID-19 ont entraîné une baisse d’un quart du nombre de personnes testées en 2020. Les semaines et les mois de conflit à venir entraîneront l’anéantissement total de ces efforts. 

L’Europe de l’Est reste également l’épicentre mondial de la tuberculose multirésistante. Malgré les progrès réalisés au cours des dix dernières années, la prévalence de la tuberculose, les niveaux de mortalité et, en particulier, l’incidence de la tuberculose multirésistante restent élevés en Ukraine. Ainsi, le pays concentre la deuxième population de cas la plus importante dans la région. 

La tuberculose pharmacorésistante représente environ 27,9 % des nouveaux cas de tuberculose et 43,6 % des patients et patientes déjà sous traitement. La réussite du traitement de la tuberculose multirésistante est d’environ 50 %.

Si la COVID-19 a déjà réduit de moitié le nombre de détections de cas en 2020, il n’est pas difficile d’imaginer que la situation actuelle le réduira à zéro.

Alors que les systèmes de santé s’effondrent et que les services de traitement et de prévention sont interrompus, la mortalité due au VIH, à la tuberculose, à la tuberculose multirésistante et à la COVID-19 augmentera rapidement en Ukraine. Des centaines de milliers de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays et des villes comme Lviv manquent de médicaments et de matériel médical.

Il est inquiétant de voir que les répercussions du conflit vont aussi dépasser les frontières de l’Ukraine : plus d’un million de personnes réfugiées ont déjà fui pour sauver leur vie. L’impact de cette situation se fera sentir dans toutes les villes et régions frontalières d’Europe centrale dont la riposte à la tuberculose, au VIH et, plus récemment, à la COVID-19 a été fragile. 

Les points aux frontières et les pays voisins devront anticiper et faire face à une avalanche de nouveaux besoins en matière de santé. Nous sommes dans une impasse : la coopération internationale et la solidarité envers la région de l’Europe de l’Est n’ont pas été des axes forts de la riposte mondiale à la pandémie au cours des deux dernières années.

L’arrivée du matériel de santé de l’OMS et la formation d’un couloir sécurisé pour les personnes réfugiées sont des bribes de bonnes nouvelles sur fond de tragédie. Nous avons besoin de beaucoup plus.

Les systèmes et les installations de santé doivent être protégés, fonctionnels, sûrs et accessibles à toutes les personnes qui ont besoin de services médicaux essentiels, et le personnel de santé doit être protégé.

Michel Kazatchkine est maître de conférence au Graduate Institute for International Affairs and Development de Genève, en Suisse, et ancien Secrétaire général des Nations Unies et Envoyé spécial de l’ONUSIDA pour le VIH/sida en Europe de l’Est et en Asie centrale. Auparavant, il était Directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.

Quarante ans de sida : l’égalité reste un facteur essentiel pour affaiblir une épidémie encore vivace

01 décembre 2021

Edwin Cameron

Le 1er décembre, nous célébrons la Journée mondiale de lutte contre le sida.

Cette année, nous avons aussi fêté un bien triste anniversaire.  Le 5 juin 2021 a en effet marqué les quarante ans depuis le premier regroupement officiel de cas inquiétants et inexpliqués de maladies et de décès qui allaient plus tard prendre le nom de sida.  Ces quarante dernières années ont vu d’énormes progrès médicaux et scientifiques, mais la mort et la stigmatisation restent beaucoup trop présentes autour de nous.

De trop nombreuses personnes ne se font pas dépister ou meurent dans le silence et la honte. Le traitement n’atteint pas celles et ceux qui en ont besoin, et les inégalités et la discrimination entravent notre riposte mondiale.

Aujourd’hui, je suis en mesure de m’exprimer à ce sujet, car le hasard de la vie m’a permis de survivre au sida.  Il y a 24 ans, j’ai commencé un traitement antirétroviral qui m’a sauvé la vie. Cela m’a fait prendre conscience des effets délétères des lois et les politiques discriminatoires vis-à-vis des personnes mises en danger par cette redoutable épidémie.  Laissez-moi vous raconter.

Mon infection au VIH remonte plus ou moins à Pâques 1985. J’étais un jeune trentenaire en début de carrière.  À cette terrible époque, aucun traitement n’existait : contracter le VIH revenait à signer son arrêt de mort.  Toutes les personnes qui avaient ou étaient suspectées d’avoir le VIH ou le sida suffoquaient sous une chape de stigmatisation et de peur.

Comme beaucoup, je n’ai pas révélé mon statut sérologique.  J’espérais contre toute attente échapper au spectre de la mort.  Peine perdue. Le sida a pris possession de mon corps douze ans après mon infection.  Je suis tombé terriblement malade et j’ai vu la mort en face.

Mais mes privilèges m’ont donné accès à un traitement et aux soins.  J’étais entouré de l’amour de ma famille et de mes amis, et je voulais reprendre mon travail en tant que juge.  J’ai survécu en ayant accès rapidement au traitement antirétroviral.

En 1999, j’ai annoncé publiquement ma séropositivité.  J’ai expliqué que les antirétroviraux m’avaient protégé d’une mort certaine, mais que des millions d’autres personnes en Afrique n’y avaient pas accès. 

Aujourd’hui, je fais figure d’exception en Afrique : j’occupe un poste officiel, je parle ouvertement de mon homosexualité et de ma vie avec le VIH.  Je ne le dis pas pour attirer les compliments, mais parce la honte, la peur, l’ignorance et la discrimination continuent de réduire trop de personnes au silence dans trop d’endroits dans le monde.

D’expérience, au plus profond de moi, je connais le pouvoir de la stigmatisation, de la discrimination, de la haine et de l’exclusion.

Et, après vingt-cinq ans au poste de juge, j’ai été témoin de trois choses. Premièrement, la stigmatisation et la honte ont un effet destructeur.  Deuxièmement, les lois punitives et discriminatoires nuisent aux ripostes de santé publique.  Troisièmement, le manque de protection légale et de recours juridique alourdit davantage le terrible fardeau du VIH/SIDA.

Les raisons expliquant pourquoi l’égalité est au cœur de la riposte au VIH/SIDA

Environ 37,7 millions de personnes vivent avec le VIH dans le monde. Pour la plupart d’entre nous, des progrès réconfortants ont atténué le fardeau de la mort, de la maladie et de la honte.  Aujourd’hui, nous sommes en mesure d’atteindre notre objectif 90-90-90 (90 % des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut sérologique, 90 % d’entre elles ont accès au traitement et 90 % de ces dernières ont une charge virale indétectable).

En Afrique, l’épidémie présente toutefois un visage tragique. L’Afrique subsaharienne concentre deux tiers des cas de VIH, et les jeunes femmes représentent 63 % des nouvelles infections dans cette région.

Voici un autre chiffre tout aussi préoccupant : les populations clés (travailleur-ses du sexe, membres de la communauté LGBTQI+, toxicomanes, population carcérale, hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes) représentent 65 % des nouvelles infections au VIH dans le monde.

Face à ces faits parlants, la nouvelle stratégie annoncée par l’organisation des Nations Unies dédiée à la lutte contre l’épidémie, l’ONUSIDA, a été la bienvenue.  Ce document souligne la manière dont les inégalités font les beaux jours du sida.  Par conséquent, leur éradication est au cœur de la nouvelle approche de l’ONUSIDA.

Une approche basée sur les droits va dans le bon sens.  Elle montre que les droits humains sont tous interconnectés. L’épidémie de sida en est la preuve : le droit à la santé ne peut pas être dissocié, en théorie ou en pratique, du droit à l’égalité.

La conclusion à en tirer est sans équivoque : pour surmonter le sida d’ici 2030, nous devons renforcer l’égalité au sein de l’humanité.

La bonne nouvelle, c’est que la protection et le respect des droits permettent d'endiguer le sida.  Les données probantes de l’ONUSIDA montrent très clairement comment « les inégalités alimentent l’épidémie de VIH et bloquent les progrès nécessaires pour mettre fin au sida ».  Comme l’indique à juste titre The Lancet : « Le succès de la riposte au VIH repose sur l’égalité – non seulement l’égalité dans l’accès à la prévention, à la prise en charge et au traitement... mais aussi l’égalité face à la loi. »

Les programmes de défense des droits humains et les réformes sensées du droit réduisent la stigmatisation et la discrimination.  Pourtant, le manque de financements et d’efforts est criant.  La situation est simple : dans beaucoup trop de sociétés, le spectre de la stigmatisation s’abat sur les personnes vivant avec le VIH et le sida ou exposées à ces deux fléaux. La discrimination est présente dans les sociétés et leurs lois, et l’abrogation des lois punitives non avenues se fait à un rythme désespérément lent.

Non aux lois punitives et discriminatoires

Les lois punitives et discriminatoires ciblent les populations clés les plus exposées au VIH/SIDA.  Elles ciblent l’orientation sexuelle, l’identité de genre, le statut sérologique, l’usage de drogues et le travail du sexe.

Ainsi, trop de pays criminalisent encore les personnes LGBTQI+.  De plus, le risque de contracter le VIH est extrêmement plus élevé chez les femmes transgenres.

Et personne ne fait l’objet de discrimination uniquement pour un seul motif.  Les répercussions toxiques de la discrimination se mêlent à des formes variées d’environnements hostiles. On parle ici à juste titre d’« intersectionnalité ».  Par exemple, une travailleuse du sexe est attaquée pour sa sexualité, son sexe, son statut socio-économique et son statut sérologique vis-à-vis du VIH.  Le résultat est inquiétant : les travailleur-ses du sexe ont 26 fois plus de risques de contracter le VIH.

Dans l’ensemble, la force brutale du droit pénal musèle le bon travail de la lutte contre le sida.  Elle intensifie les inégalités, les inégalités et l’exclusion. 

De fait, la criminalisation des personnes vivant avec le VIH et la répression envers les populations clés compromettent les efforts de prévention.  Elles réduisent l’accès aux services,  ce qui peut augmenter les infections au VIH.

Ces lois punitives ne se limitent pas à « laisser les gens de côté ».  Elles les marginalisent activement.  Elles augmentent la peur et la stigmatisation, et tiennent les personnes les plus exposées à distance des services de santé et des protections sociales.

Winnie Byanyima, Directrice exécutive de l’ONUSIDA, a confié un souvenir poignant : « La stigmatisation a tué mon frère. Il était séropositif et serait encore parmi nous s'il était allé chercher ses antiviraux au dispensaire, mais il a eu peur d’être reconnu là-bas et jugé par des personnes qui le connaissaient. »  Sa conclusion ?  « Nous devons lutter contre la stigmatisation et la discrimination, car elles tuent. »

D’autres conséquences nuisent à nos sociétés.  La discrimination s’immisce dans la collecte de données et de preuves, car les populations criminalisées et stigmatisées se retrouvent ainsi souvent sous-représentées ou absentes.

Cela reflète leur réalité au quotidien : elles sont confrontées à une forme extrême de stigmatisation, leur existence est niée, invisibilisée et effacée.

Cette oblitération est extrêmement néfaste.  Cela signifie que nous ne savons pas si les services sont accessibles et adaptés.  Cela signifie que des informations importantes risquent de ne pas être obtenues.  Cela signifie que la violence et la discrimination à l’encontre des populations invisibles restent inconnues et non résolues.

Nous devons donc demander : Comment peut-on éliminer les obstacles à l’accès aux services si nous ne voyons même pas les personnes qu’ils écrasent ? Que pouvons-nous faire ?

Une chose est sure : nous pouvons aider à créer des environnements juridiques favorables, émancipatoires et qui apportent une protection.

Un environnement juridique favorable

La riposte au sida est liée aux valeurs démocratiques et à des systèmes juridiques efficaces. L’état de droit, la liberté d’expression, la liberté de manifester et d’autres droits humains fondamentaux sont importants.

Il est essentiel de créer un environnement juridique favorable.  Cela signifie que nous avons recours à la loi pour autonomiser plutôt que pour opprimer.  Nous devons nous défaire des lois pénales qui punissent sans raison. Il s’agit de parvenir à l’égalité devant la loi.

L’accès à la justice, la revendication de réformes juridiques, la sensibilisation ainsi que les campagnes éducatives et le dynamisme militant de la société civile, qui n’oublie pas les populations clés, sont essentiels.  Tout cela favorise un changement positif et aide à placer les auteurs de violations des droits humains devant leurs responsabilités.

C’est ce que nous ont montré les quarante dernières années.  Des militantes et militants fervents, intègres et courageux d’ACT UP à New York et de Treatment Action Campaign en Afrique du Sud sont parvenus à des avancées vitales dans le traitement du sida.  Ces hommes et ces femmes ont lutté pour la justice et pour trouver la riposte au sida la plus efficace. En Afrique du Sud, la société civile a attaqué la politique de l’autruche du gouvernement du président Mbeki devant la plus haute Cour et cette dernière a ordonné au gouvernement de commencer à fournir des ARV.

Pour eux, comme pour moi, et pour encore beaucoup trop de personnes aujourd’hui, il s’agissait d’une bataille dont l’issue déterminait la vie ou la mort, le bien-être ou la maladie, la science ou l’effet pernicieux des idées préconçues, la discrimination ou la justice et l’égalité, et la façon dont des pratiques justes instaurent des politiques de santé publique sensées et qui sauvent des vies.

La nouvelle stratégie de l’ONUSIDA s’inscrit dans cette dynamique.  Elle vise à garantir l’accès à la justice et la reddition de compte en faveur des populations clés et des personnes vivant avec le VIH ou affectées par le virus.  Elle appelle à juste titre à renforcer la collaboration entre les principales parties prenantes, à soutenir les programmes de connaissance des droits et à élargir l’assistance juridique.  Elle prévoit également un engagement considérable, des investissements plus importants et une diplomatie stratégique de la part de la communauté internationale.

La pandémie de COVID-19 n’a pas changé ces objectifs, mais son impact sur les inégalités en a accru l’urgence.  Les confinements anti-infection ont perturbé les services liés au VIH et au sida (les établissements de santé ont été fermés ou les ressources ont été réallouées à la COVID-19 ou il y a eu des pénuries d’antirétroviraux).

D’autre part, des leçons ont été tirées et la technologie de l’ARNm pourrait accélérer la découverte d’un vaccin contre le sida.

Bien qu’il n’y ait toujours pas de remède, le sida n’est plus synonyme d’une mort assurée.  Vingt-quatre ans après avoir pris mes premiers antirétroviraux, je mène une vie heureuse et épanouie.  Notre défi réside en nous-mêmes et dans nos sociétés : il s’agit de surmonter la peur, la discrimination et la stigmatisation pour garantir que les traitements vitaux et les messages soient accessibles de manière juste et équitable.

L’éradication du sida d’ici 2030 est un objectif réaliste.  Mais pour y parvenir, nous devons respecter, protéger et satisfaire les droits fondamentaux des personnes vivant avec le VIH et exposées au risque d’infection.  Nous devons adopter les aspirations démocratiques, placer les populations clés au centre de notre riposte, fournir des ressources pour réduire les inégalités et les injustices, et promouvoir les environnements juridiques qui nous permettront de mettre fin au sida.

Ces 40 dernières années ont été difficiles, mais elles nous ont appris une chose : nous pouvons mettre fin au sida si le soutien, la recherche scientifique, la concentration et l’amour sont au rendez-vous.

World AIDS Day

Comment mettre fin à l'épidémie de sida en Afrique occidentale et centrale

31 octobre 2021

Winnie Byanyima, Directrice Exécutive de l’ONUSIDA

L'épidémie de sida en Afrique occidentale et centrale est une urgence permanente. Les premières avancées obtenues contre le VIH dans cette région ne se sont pas traduites par les progrès durables qui ont pu être réalisés dans d'autres parties de l'Afrique subsaharienne.

L'année dernière, la région a enregistré 150 000 décès liés au sida et 200 000 personnes ont été nouvellement infectées par le VIH. Chaque semaine, plus de 1000 adolescentes et jeunes femmes âgées de 15 à 24 ans sont infectées par le VIH dans la région. En Afrique occidentale et centrale, 1,2 million de personnes attendent toujours de pouvoir commencer leur traitement pour le VIH qui leur sauvera la vie. Seuls 35% des enfants vivant avec le VIH en Afrique occidentale et centrale reçoivent un traitement.

Or la crise de la COVID-19 a entravé les services et exacerbé les inégalités qui alimentent l'épidémie de VIH. Si nous n'agissons pas maintenant, non seulement de nombreuses autres vies seront perdues, mais contenir la pandémie de sida sera d’autant plus difficile et coûteux dans les années à venir.

Mettre fin au sida est possible : il existe un ensemble d'approches qui ont prouvé leur efficacité, y compris dans des contextes difficiles.

Qu’il s’agisse du leadership du Cap Vert en matière d'élimination de la transmission verticale du VIH, ou de la décision du Cameroun, l'année dernière, de supprimer les frais d'utilisation pour tous les services liés au VIH dans les établissements de santé publique et les sites communautaires agréés, de nombreux exemples qui montrent la voie existent déjà. En alignant les politiques publiques sur celles qui ont fait leurs preuves, nous pouvons mettre fin au sida comme nous l'avons promis.

Les pays et les communautés tirent déjà parti de l'expérience et de l'expertise de la réponse au sida pour réduire l'impact de la COVID-19 dans toute la région. De la Côte d'Ivoire à la Guinée en passant par le Sénégal, les autorités de santé publique, les organisations internationales, les acteurs de la société civile et les communautés de personnes vivant avec et affectées par le VIH ont travaillé ensemble pour s'assurer que les personnes vivant avec le VIH continuent de recevoir leurs médicaments. Elles se sont afférées à fournir des services de soins et de prévention de manière sûre et innovante, à livrer de la nourriture aux personnes qui avaient perdu leurs revenus en raison des confinements, à transmettre des messages sur l'importance de l'hygiène et de la distanciation sociale pour rester en bonne santé, et à dissiper les mythes qui alimentent la stigmatisation et la discrimination et affaiblissent les messages de santé publique.

Cet esprit de coopération et de partenariat est essentiel pour renforcer les réponses aux pandémies.

Cette semaine, sous l’égide du Président du Sénégal, Macky Sall, l'ONUSIDA et l'Institut de la société civile pour le VIH et la santé en Afrique occidentale et centrale organisent un sommet à Dakar, sur les manières de combler les lacunes de la riposte au VIH dans la région et renforcer la préparation aux pandémies.

Voici trois des mesures audacieuses que nous devons prendre.

Premièrement, valoriser et soutenir les communautés pour qu’elles soient au centre de la planification et des services.

Les communautés connaissent la situation sur le terrain - il faut leur donner les ressources et l'espace nécessaires pour mener la riposte. Les pays doivent mettre en place un environnement propice à la pleine participation des communautés à la fourniture de services en tant que partie intégrante de la réponse de santé publique. Elles doivent être invitées à la table des discussions en tant que co-planificateurs. Ainsi elles pourront mettre en avant leurs expériences et préoccupations, et jouer leur rôle essentiel dans l’évaluation de la performance des réponses de santé.

Les pays doivent lever les obstacles juridiques, politiques et programmatiques qui freinent cette évolution, et augmenter leur soutien financier pour enfin permettre la contribution incomparable des communautés.

Deuxièmement, augmenter les investissements.

Les pays doivent accroître l’ampleur des prestations en matière de prévention, de dépistage et de traitement, et éliminer tous les obstacles financiers afin de garantir un accès universel aux services.

L'engagement d'Abuja d'investir 15% des budgets gouvernementaux dans la santé publique doit être respecté. Les engagements conjoints pris par les ministres de la santé et des finances lors de la Réunion des Dirigeants Africains d'augmenter les recettes nationales consacrées à la santé doivent être tenus.

Les bailleurs de fonds internationaux doivent eux aussi intensifier leur soutien, alors que nous traversons la pire crise depuis des décennies. Pour créer l'espace budgétaire nécessaire, il faudra annuler la dette afin de soutenir les gouvernements à accroître les investissements pour la santé et à s’attaquer aux déterminants sociaux qui aggravent les risques du VIH et de pandémie.

Une action internationale visant à prévenir une concurrence fiscale nuisible et les flux financiers illicites est également essentielle. Il est difficile d'avancer vers une fiscalité équitable et progressive, et d'augmenter les revenus nationaux, lorsque les grandes entreprises et les particuliers fortunés ont systématiquement la possibilité, au niveau international, d'échapper aux impôts que le citoyen ordinaire doit payer, et qui sont essentiels pour la santé, l'éducation, la protection sociale et l'investissement économique.

Troisièmement, s'attaquer aux inégalités qui alimentent l'épidémie.

La COVID-19 a une fois de plus montré au monde comment les épidémies se nourrissent des inégalités, tant entre les pays qu’au sein même de ceux-ci. La nouvelle stratégie de l'ONUSIDA adoptée plus tôt cette année place la lutte contre les inégalités au centre de sa mission visant à mettre fin au sida.

Les inégalités sont le moteur du VIH. Les groupes de personnes vulnérables représentent 44% des nouvelles infections au VIH en Afrique occidentale et centrale. Leurs partenaires représentent 27% supplémentaires.

La stratégie de la CEDEAO pour le VIH, la tuberculose, les hépatites B et C et la santé et les droits sexuels et reproductifs des populations clés le dit si bien :

« La protection des droits de l'homme pour tous les membres de chaque population clé est cruciale pour le succès. Les lois discriminatoires ou créant des obstacles doivent être réformées, afin de garantir que les populations clés soient exemptes de stigmatisation, de discrimination et de violence et que leur vulnérabilité au VIH soit réduite. »

L’inégalité entre les genres est également un moteur du VIH : parmi les nouvelles infections au VIH chez les jeunes en Afrique du centre et de l’ouest, près des trois quarts concernent des adolescentes et des jeunes femmes. L'enjeu est le pouvoir—ou plutôt l’absence de pouvoir de celles-ci.

Les recherches montrent que le fait de permettre aux filles de terminer leurs études secondaires divise de moitié leur risque de contracter le VIH, et le fait de combiner cela avec un ensemble de services et de droits pour l'autonomisation des filles le réduit encore davantage.

L'initiative Education Plus, coorganisée par l’UNICEF, l’UNESCO, le FNUAP, l’ONU Femmes et l’ONUSIDA, avec des gouvernements, la société civile et des partenaires internationaux, contribue à accélérer les actions et les investissements nécessaires pour que chaque fille africaine soit scolarisée, en sécurité et forte.

Ce que nous devons faire pour mettre fin au sida est aussi ce que nous devons faire pour permettre le plein essor de l'Afrique.

Les gouvernements, les organisations internationales, les scientifiques, les chercheurs, les organisations dirigées par les communautés et les acteurs de la société civile ne peuvent pas réussir seuls ; mais ensemble, ils peuvent créer un partenariat imbattable et une force imparable pour mettre fin au sida en tant que menace pour la santé publique d'ici 2030.

Sommet régional sur le VIH

Nous ne vaincrons pas la COVID-19 sans inclure l’Afrique dans la riposte mondiale

25 mai 2020

Cet article a été publié pour la première fois ici le 19 mai 2020

L’Afrique est à peine mentionnée dans les discussions autour de la COVID-19 dans le monde. Mais les risques liés à la crise du coronavirus sont pourtant beaucoup plus importants en Afrique que dans tout autre endroit du monde et ils s’aggraveront si la riposte mondiale marginalise ce continent. Vaincre la COVID-19 en Afrique est, en soi, essentiel pour vaincre le virus dans le monde. Le leadership africain et la solidarité mondiale sont tous les deux essentiels pour surmonter la crise de la COVID-19 en Afrique, et les citoyens et citoyennes d’Afrique ne demandent rien de moins que cela.

La probabilité de mourir de la COVID-19 est fortement influencée par les déterminants socio-économiques à l'oeuvre derrière une mauvaise santé. Les pauvres vivant dans des pays pauvres seront les plus en danger, car davantage susceptibles d’être déjà malades et ces pays comptent des centaines de millions de personnes souffrant de malnutrition ou immunovulnérables. Alors qu’il est indéniable que l’Afrique dispose d’une expérience vitale dans la gestion des épidémies, il est également vrai que ses systèmes de santé manquent cruellement de ressources et sont souvent hors de portée des pauvres, donc pas de taille pour vaincre la COVID-19.

Vaincre la COVID-19 en Afrique est possible, mais cela nécessite de changer la donne. Nous avons besoin de toute urgence d’accélérer l’accès au dépistage, de garantir l’égalité d’accès aux équipements afin de protéger le personnel médical en première ligne et de soigner les personnes malades, d’assurer le financement correct des systèmes de santé, d’atteindre un consensus mondial sur la gratuité pour toutes et tous de tout vaccin pour la COVID-19 et de contrôler que l’impact social et économique de la crise de la COVID-19 est réduit au minimum grâce à des mesures de protection sociale à grande échelle et à un développement économique pérenne qui réduit les inégalités.

L’Union Africaine, par l’entremise de ses Centres africains pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), est en train de devenir une figure de proue de la riposte à l’épidémie. Elle a instauré un nouveau partenariat au sein de la stratégie continentale commune de l’Union africaine contre le COVID-19 le Partenariat pour accélérer les tests de la COVID-19 (Partnership to Accelerate COVID-19 Testing ou PACT), qui jouit du soutien total du Bureau des chefs d’État et des gouvernements de l’Union Africaine. L’ONUSIDA est fière d’être la première à signer ce partenariat qui vise à combler le retard en matière de dépistage. Elle soutient les efforts des pays africains en vue de renforcer rapidement leurs capacités de test et de traçage des contacts. À l’image de ce qui se passe dans d’autres régions du monde, il s’agit d’une étape cruciale pour réduire le nombre d’infections et de morts. Le PACT appelle également à instaurer sans tarder un système africain dirigé par le CDC qui doit permettre de grouper les approvisionnements en matériel de diagnostic de la COVID-19 et pour la riposte.

La bonne nouvelle, c’est que le nombre de diagnostics augmente dans certains pays : début mai, l’Afrique du Sud avait réalisé plus de 300 000 tests et le Ghana plus de 100 000. Ils se sont appuyés pour cela en partie sur l’infrastructure existante de dépistage du VIH. D’autres pays comme le Nigeria prévoient de suivre leur exemple. Mais Africa CDC estime qu’au cours des quatre prochains mois l’Afrique aura besoin de 10 millions de tests pour faire face à la pandémie. Par ailleurs, l’Organisation mondiale de la Santé estime que plus de 100 millions de masques et de gants, ainsi que 25 millions de respirateurs devront être acheminés tous les mois vers des pays africains afin de lutter efficacement contre la COVID-19, à l’heure où la planète entière s’est engagée dans une course à l’approvisionnement.

Le monde entier doit augmenter sa production de kits de dépistage et de produits médicaux de première nécessité et coordonner ses efforts pour acheminer les tests et l’équipement de protection individuelle aux endroits et aux personnes qui en ont le plus besoin. En Afrique, cela signifie nos bidonvilles surpeuplés, mais aussi notre personnel médical et notre personnel de santé dans les communautés qui luttent en première ligne contre l’épidémie. Nous avons également besoin de puiser dans les services du VIH qui existent déjà afin de renforcer les capacités de dépistage, d’isolement, de traçage des contacts et de traitement de la COVID-19.

Aujourd’hui plus que jamais, les pays africains doivent investir en priorité dans les services fondamentaux. Cela comprend de s’engager concrètement contre l’évasion fiscale massive des entreprises et de garantir que les plus fortunés payent le plus d’impôts, ce qui inclut de mettre un terme aux exonérations de l’impôt sur les sociétés. Par ailleurs, aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin de la solidarité mondiale pour financer une riposte à hauteur de plusieurs milliards de dollars qui prenne en compte les pays à revenu faible et intermédiaire en Afrique et dans le reste du monde. Cela passe par le financement total du Plan de réponse humanitaire global COVID-19 des Nations Unies à hauteur de 2 milliards de dollars, et par des subventions permettant de supprimer les redevances pour les services de santé. Cette pandémie montre également que, dans l’intérêt de tout le monde, les personnes qui ne se sentent pas bien ne devraient pas commencer par compter leurs sous avant de chercher de l’aide. Alors que la lutte continue pour museler une forme virulente de coronavirus, l’abolition immédiate des redevances dans le domaine de la santé est devenue une nécessité extrême. Les institutions financières internationales et les acteurs financiers privés doivent prolonger les moratoires sur le remboursement de la dette annoncé récemment et aller encore plus loin. La dette de l’Afrique engouffre, en effet, 60 % environ de son produit intérieur brut, ce qui est tout sauf pérenne. Nous devons soulager les gouvernements afin d’investir dans la riposte et renforcer la fourniture de soins de santé financés par le denier public, ce qu’énonce le principe de l’universalité du droit à la santé. En ripostant à la COVID-19, nous devons veiller à ne pas détourner des ressources destinées à d’autres menaces sanitaires comme l’épidémie de VIH, la tuberculose ou le paludisme qui font déjà des ravages en Afrique.

Une modélisation mandatée par l’Organisation mondiale de la Santé et l’ONUSIDA estime que faute d’efforts pour maintenir la continuité des services de santé et éviter les ruptures de stock au cours de la pandémie de COVID-19, une interruption de six mois de la thérapie antirétrovirale pourrait provoquer plus de 500 000 décès supplémentaires imputables à des maladies opportunistes, comme la tuberculose, en Afrique subsaharienne en 2020-2021. 

Un consensus international préalable doit, en outre, assurer que tout vaccin ou traitement découvert pour la COVID-19 sera mis gratuitement à disposition de tous les pays. Nous ne devons pas répéter l’expérience de l’épidémie de VIH pour laquelle les médicaments sont restés trop longtemps inaccessibles provoquant la mort de millions de personnes, et pour laquelle aujourd’hui d’autres personnes attendent toujours de commencer un traitement.

Une reprise forte est essentielle pour instaurer des sociétés résilientes capables de résister à la prochaine crise imprévisible. La santé et les moyens de subsistance étant étroitement liés, tous les pays devront renforcer leurs systèmes de protection sociale pour améliorer la résilience. Ils auront, par ailleurs, besoin de créer des économies plus durables, ce qui passe notamment par des emplois décents et bien payés pour la jeunesse africaine et la reconnaissance du travail sous-estimé et souvent sous-payé effectué par les femmes pour s’occuper de leur famille et de leurs proches.

Si cette pandémie nous a appris une chose, c’est que nos destins sont interconnectés en tant que communauté mondiale et que, comme l’a déclaré le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, le monde est aussi fort que son système de santé le plus faible. Toute riposte mondiale à la COVID-19 qui marginaliserait les citoyens et citoyennes d’Afrique serait non seulement non avenue, mais surtout contre-productive. En outre, les citoyens et citoyennes en Afrique ne le permettront pas. Malgré les contraintes exceptionnelles que pose cette pandémie, les citoyens et citoyennes en Afrique s’organisent pour revendiquer leur droit aux soins de santé et à la protection sociale. Nous, Africaine et Africain, faisons front à leurs côtés et refusons d’être les parents pauvres de la riposte à la COVID-19.

 

Winnie Byanyima, Directrice exécutive de l’ONUSIDA

John Nkengasong, Directeur du Centre africain pour le contrôle et la prévention des maladies 

Santé : un accès gratuit à la santé pour tout le monde et partout

20 mai 2020

Winnie Byanyima, Directrice exécutive de l’ONUSIDA — Article publié à l’origine dans le World Economic Forum’s Insight Report (mai 2020)

Reconnaître la catastrophe pour la santé publique

Nous avons constaté que la probabilité de mourir de la COVID-19 dans les pays riches est fortement influencée par les déterminants socio-économiques se cachant derrière une mauvaise santé. Les pauvres vivant dans des pays pauvres seront les plus en danger, car davantage susceptibles d’être déjà malades et ces pays comptent des centaines de millions de personnes souffrant de malnutrition ou immunovulnérables. Le quart de la population urbaine mondiale qui vit dans des bidonvilles et de nombreuses personnes réfugiées et déplacées ne peuvent pas appliquer l’éloignement physique ou se laver constamment les mains.

La moitié de la population mondiale n’a pas accès aux soins de base dont elle a besoin même en temps normal. Alors que l’Italie dispose d’un médecin pour 243 habitants, la Zambie n’en a qu’un pour 10 000 personnes. Le Mali dispose de trois respirateurs par million d’habitants. En moyenne, les dépenses annuelles de santé dans les pays à faible revenu sont de 41 $ seulement par personne, soit 70 fois moins que dans les pays à revenu élevé.

La pression que la pandémie exerce sur les établissements de santé ne touchera pas seulement les personnes infectées par la COVID-19, elle aura aussi un impact sur toute personne ayant besoin de soins. Nous avons déjà observé ce phénomène par le passé. L’épidémie d’Ebola en Sierra Leone s’est ainsi accompagnée d’une augmentation de 34 % de la mortalité maternelle et de 24 % du taux de mortinatalité à cause du recul de l’accès aux soins prénatals et postnatals.

L’Organisation internationale du Travail prévoit la destruction de 5 à 25 millions d’emplois et une perte de revenus du travail chiffrée entre 860 et 3 400 milliards de dollars. Une vague d’appauvrissement rendra les traitements inaccessibles à un nombre encore plus élevé de personnes. Aujourd’hui déjà, les redevances empêchent chaque année un milliard de personnes d’accéder aux soins de santé. Cette exclusion des soins vitaux ne nuira pas seulement aux personnes directement touchées, mais elle mettra tout le monde en danger, car il est impossible de contenir un virus si des personnes ne peuvent pas se permettre de se faire dépister ou soigner.

Les confinements sans compensation, dans leur forme la plus rudimentaire, forcent actuellement des millions de personnes à choisir entre se mettre en danger ou mourir de faim. Dans de nombreuses villes de pays en voie de développement, plus de trois quarts des travailleur et travailleuses dépendent du secteur informel et gagnent leur vie au jour le jour. De nombreuses personnes qui resteront chez elles n’auront pas assez à manger et, par conséquent, elles seront beaucoup à ne pas respecter le confinement et à s’exposer au risque d’infection au coronavirus.

Nous assistons par ailleurs à des comportements similaires à ceux de la riposte au sida. Les gouvernements rencontrant des difficultés pour contenir la crise peuvent chercher des boucs émissaires, tels les migrant-es, les minorités, les populations marginalisées. En faisant ainsi, cela complique encore l’accès aux personnes, le dépistage et le traitement pour endiguer le virus. Les pays donateurs quant à eux peuvent se replier sur eux-mêmes en ayant l’impression qu’ils ne peuvent plus se permettre d’aider les autres. Toutefois, comme la COVID-19 est une menace pour tout le monde peu importe où se trouve le virus, cela se fera non seulement au détriment des pays en voie de développement, mais cela augmentera aussi la tâche des pays donateurs.

Et pourtant, malgré la douleur et la peur, cette crise nous offre une chance de faire preuve de leadership audacieux, vertueux et collaboratif pour modifier le cours de la pandémie et de la société.

Saisir la chance pour la santé publique

Contrairement à l’idée reçue qu’une riposte à une crise enlève la capacité nécessaire pour réaliser des réformes de santé importantes, les plus grandes avancées dans ce domaine ont généralement vu le jour en réponse à une crise d’envergure. Il suffit de penser aux systèmes de santé en Europe et au Japon après la Seconde Guerre mondiale ou à la manière dont le sida et la crise financière ont débouché sur la couverture sanitaire universelle en Thaïlande. Au cours de la crise actuelle, les leaders du monde entier ont la possibilité de construire les systèmes de santé qui ont toujours manqué et qui ne peuvent plus attendre.

Couverture sanitaire universelle

Cette pandémie montre également que, dans l’intérêt de tout le monde, les personnes qui ne se sentent pas bien ne devraient pas commencer par compter leurs sous avant de chercher de l’aide. Alors que la lutte continue pour museler une forme virulente de coronavirus, l’abolition immédiate des redevances dans le domaine de la santé est devenue une nécessité extrême.

La gratuité des soins de santé est vitale et pas uniquement pour lutter contre les pandémies : lorsque la République démocratique du Congo a instauré la gratuité des soins en 2018 pour affronter Ebola, la population s’est mise à utiliser beaucoup plus le système de santé à tous les niveaux. Les consultations pour cause de pneumonie et de diarrhée ont plus que doublé et le nombre de naissances à l’hôpital a augmenté de 20 à 50 %. Ces bons résultats ont néanmoins disparu dès que les soins sont redevenus payants. La gratuité des soins mettrait un terme à une tragédie sociale qui voit chaque année 100 millions de personnes tomber dans l’extrême pauvreté à cause des frais de santé.

Comme nous ne disposons pas encore de vaccin contre la COVID-19, tous les pays doivent être en mesure de contenir et d’endiguer ce virus. L’apparition de nouvelles pandémies étant inévitable, chaque pays dans le monde a ainsi besoin d’un système de santé universel solide et ininterrompu.

Les médicaments et les soins modernes financés par le denier public doivent être fournis à tout le monde, peu importe où les personnes vivent. Les gouvernements doivent intégrer aux systèmes publics les services dirigés par les communautés afin de garantir un accès universel. Cette crise révèle aussi que notre santé nécessite que le personnel de santé qui nous protège et s’occupe de nous soit aussi protégé et que l’on s’occupe de lui.

Comme la santé et la subsistance sont étroitement liées, tous les pays devront aussi renforcer leurs systèmes de protection sociale pour améliorer leur résilience. La COVID-19 rappelle au monde entier que nous avons besoin de gouvernements actifs, rendant des comptes et responsables afin de réguler les marchés, réduire les inégalités et apporter les services publics essentiels. Cela marque le grand retour de l'État.

Financer notre santé

Le fardeau de la dette avait déjà conduit de nombreux pays en voie de développement à réaliser des coupes budgétaires concernant la santé publique. Les gouvernements prêteurs, les institutions financières internationales et les acteurs financiers privés doivent prolonger les moratoires de remboursement de la dette annoncé récemment et aller encore plus loin. Ils doivent ainsi reconnaître la couverture sanitaire universelle comme bien public mondial. La proposition faite par la Jubilee Debt Campaign et des centaines d’autres organisations de la société civile met à jour le niveau d’ambition nécessaire.

Les donateurs bilatéraux et les institutions internationales de financement, y compris la Banque mondiale, doivent également proposer des subventions, pas des prêts, afin de lutter contre l’impact social et économique de la pandémie auprès des groupes les plus pauvres et vulnérables, y compris les populations travaillant dans le secteur informel et les groupes marginalisés. L’aide apportée au financement actuel du système de santé des pays en voie de développement doit être renforcée. Doubler les dépenses de santé publique dans les 85 pays les plus pauvres du monde où vivent 3,7 milliards d’habitants coûterait 159 milliards de dollars environ. Cela ne représente même pas 8 % des dernières incitations fiscales des États-Unis. Cela fait plaisir d’entendre les pays donateurs utiliser la rhétorique inspirante et sans détour d’un nouveau Plan Marshall, mais les contributions annoncées à l’heure actuelle ne suffisent pas.

Leadership économique

Le monde économique aussi a besoin d’une nouvelle forme de leadership. Cette dernière doit reconnaître que l’économie dépend de sociétés en bonne santé, ainsi que d’un équilibre sain entre le marché et l’État. Comme l’a souligné Emmanuel Macron, le président français, « ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. » La dernière décennie a en effet vu l’explosion de la commercialisation et de la mercantilisation des systèmes de santé dans le monde. Il faut y mettre un terme.

Comme l’ont indiqué 175 multimillionnaires dans une lettre ouverte publiée lors de la Réunion annuelle du Forum économique mondial de Davos en 2020, l’heure est arrivée pour « les membres de la classe d’êtres humains la plus privilégiée qui ait jamais marché sur la terre » d’apporter leur soutien à des « taxes et impôts plus élevés et plus équitables sur les millionnaires et milliardaires et de contribuer à prévenir l'évasion et la fraude fiscales des particuliers et des entreprises. » Les leaders économiques responsables devraient apporter leur soutien aux réformes de l’impôt sur les entreprises, au niveau national et mondial, ce qui se traduira nécessairement par des taux d’imposition plus élevés, par la perte d’exemptions et par la fermeture des paradis fiscaux et autres niches fiscales.

Malgré les leçons apprises du sida, la monétisation de la propriété intellectuelle a engendré un système de gigantesques monopoles privés, un manque de recherches dans les maladies clés et des prix que la majorité de la population mondiale ne peut s’offrir. Les pays devront avoir recours à toute la flexibilité disponible pour garantir la disponibilité des traitements essentiels pour toute leur population et obtenir de nouvelles règles du jeu qui accordent la priorité à la santé collective sur les profits privés. Un consensus international préalable doit régner sur le fait que tout vaccin ou traitement découvert pour la COVID-19 doit être mis à disposition de tous les pays. La proposition du Costa Rica en faveur d’un « regroupement mondial des brevets » permettrait à toutes les technologies mises au point pour la détection, la prévention, le contrôle et le traitement de la COVID-19 d’être librement disponible. Ainsi, aucune entreprise ni aucun pays ne pourrait s’arroger un monopole. Les pays en voie de développement ne doivent pas être exclus à cause des prix pratiqués ou être relégués en queue de peloton pour obtenir les solutions.

La coopération internationale doit faire peau neuve et elle a besoin pour cela de leadership. La crise de la COVID-19 révèle que notre système multilatéral est injuste, dépassé et incapable de répondre aux défis d’aujourd’hui. À l’avenir, nous affronterons des menaces encore plus terribles que cette pandémie. Seul un multilatéralisme inclusif et juste nous permettra de les surmonter.

Tout le monde a besoin de tout le monde

La pandémie de COVID-19 est simultanément une crise qui aggrave les inégalités existantes et un miroir qui les révèle au grand jour.

La riposte au VIH prouve que seule une approche prenant en compte les droits et l’égalité universelle permettra aux sociétés de dépasser la menace existentielle des pandémies. La couverture sanitaire universelle n’est pas un cadeau que font les riches aux pauvres, mais un droit universel, ainsi qu’un investissement partagé pour notre sécurité et notre bien-être communs.

ONUSIDA

Le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) guide et mobilise la communauté internationale en vue de concrétiser sa vision commune : « Zéro nouvelle infection à VIH. Zéro discrimination. Zéro décès lié au sida. » L’ONUSIDA conjugue les efforts de 11 institutions des Nations Unies – le HCR, l’UNICEF, le PAM, le PNUD, l’UNFPA, l’UNODC, ONU Femmes, l’OIT, l’UNESCO, l’OMS et la Banque mondiale. Il collabore étroitement avec des partenaires mondiaux et nationaux pour mettre un terme à l’épidémie de sida à l’horizon 2030 dans le cadre des Objectifs de développement durable. Pour en savoir plus, consultez le site unaids.org, et suivez-nous sur Facebook, Twitter, Instagram et YouTube.

Les ripostes efficaces aux épidémies mondiales sont celles qui placent les individus au cœur des préoccupations

12 mars 2020

L’épidémie de COVID-19 attire l’attention sur les ripostes nationales et internationales aux urgences sanitaires. Elle révèle les déficits de nos systèmes, mais aussi nos forces, et elle puise dans l’expérience précieuse apportée par d’autres ripostes comme celle contre le VIH. À l’ONUSIDA, nous savons que l’apparition du virus à l’origine du COVID-19 est source de questions et de préoccupations chez les personnes séropositives. Si nous avons appris une chose de la riposte à l’épidémie du VIH, c’est que nous devons être à l’écoute des plus touchées et apprendre de leur expérience. L’ONUSIDA continue d’être fidèle à ce précepte.

Nous ne disposons pas à l’heure actuelle de preuves irréfutables indiquant que les personnes vivant avec le VIH sont davantage susceptibles de contracter le COVID-19 ou, lorsqu’elles le contractent, que leurs chances de guérison sont moins bonnes. À l’instar de la population en général, les personnes âgées vivant avec le VIH ou les personnes séropositives ayant des problèmes cardiaques ou pulmonaires sont potentiellement exposées à un risque plus élevé de contracter le virus et de développer des symptômes plus graves. Les personnes vivant avec le VIH, comme toute la population, doivent prendre toutes les mesures préventives pour minimiser leur exposition et éviter d’être infectées. Alors que le COVID-19 continue sa progression dans le monde, les recherches en cours dans des contextes à forte prévalence du VIH dans la population générale doivent faire toute la lumière sur les interactions biologiques et immunologiques entre le VIH et le nouveau coronavirus.

Mais des mesures légitimes pour contenir le virus peuvent avoir des effets pervers inattendus sur les personnes vivant avec le VIH. Par exemple, au début de l’épidémie du COVID-19 en Chine, l’ONUSIDA a mené une enquête auprès des personnes séropositives afin de connaître leurs besoins. Une étude complémentaire a montré que certaines d’entre elles commencent à rencontrer des difficultés pour obtenir le renouvellement de leur ordonnance ce qui nourrit un sentiment d’inquiétude. En réponse, l’ONUSIDA travaille avec des réseaux de personnes vivant avec le VIH et des fonctionnaires afin de faciliter des livraisons spéciales de médicaments vers des points de collecte spécifiques. Un numéro d'urgence a été ouvert en Chine pour que les personnes vivant avec le VIH aient la possibilité d’exprimer leurs peurs tant que dure l’épidémie. Avec nos partenaires, nous allons également suivre de près les évolutions au sein des chaînes d’approvisionnement internationales. Nous voulons ainsi garantir que les stocks de produits médicaux essentiels continuent de parvenir à celles et ceux qui en ont besoin, mais aussi maintenir au minimum les perturbations au niveau de la production de principes pharmaceutiques actifs.         

L’ONUSIDA enjoint aux pays de préparer leur riposte au COVID-19 afin de garantir que les personnes vivant avec le VIH puissent accéder sans problème à leur traitement. Les pays doivent de toute urgence mettre totalement en œuvre les lignes directrices actuelles de l’Organisation mondiale de la Santé sur le traitement du VIH pour que la plupart des personnes séropositives disposent de trois mois de traitement, au minimum. Cette mesure permettra ainsi de délester les établissements de soins en cas d’arrivée du COVID-19, mais aussi de garantir que toutes et tous puissent poursuivre leur traitement sans interruption et sans avoir à s’exposer à un risque plus élevé d’infection au COVID-19 lors de la collecte de leurs médicaments.

La riposte au sida a dispensé une leçon fondamentale: la stigmatisation et la discrimination sont non seulement injustifiables, mais contreproductives, aussi bien pour la propre santé des individus que pour la santé publique en général. C’est la raison pour laquelle l’ONUSIDA apporte son soutien aux campagnes visant à réduire la stigmatisation et la discrimination à l’encontre des victimes du COVID-19. La stigmatisation et la discrimination n’ont jamais permis de mettre un terme à une menace de santé. Notre riposte au COVID-19 doit puiser dans les enseignements tirés de la lutte contre le VIH. Nous devons les écouter, instaurer la confiance et maintenir les échanges entre elles et les autorités sanitaires, même avant que l’épidémie ne sévisse.

Nos plus grandes victoires contre le VIH ont eu lieu dans les pays qui luttent efficacement contre la stigmatisation et la discrimination. Cela favorise le dépistage au sein de la population et, le cas échéant, l’obtention d’un traitement. Utilisons les canaux de communication recommandés par les spécialistes de la santé publique pour être à l’écoute des victimes du COVID-19 et puiser dans leur vécu afin de renforcer notre riposte au virus.  

Les décès imputables à l’épidémie de COVID-19 sont une tragédie. Mes condoléances vont aux familles et aux proches des défunts. Mais si nous agissons judicieusement, la communauté internationale et chaque pays utiliseront cette expérience pour continuer à renforcer les systèmes de surveillance et réaliser des investissements adaptés dans les infrastructures de santé aussi bien au niveau international que national. L’ONUSIDA enjoint aux gouvernements et aux fonctionnaires de la santé dans le monde entier de ne pas attendre pour mettre en place des programmes d’éducation publics portant sur les mesures pratiques pour limiter la transmission et la propagation du virus à l'échelle locale.

Nous devons impérativement adopter une stratégie mettant l’accent sur les individus. Chacune et chacun a droit à la santé, notre meilleur rempart contre les épidémies mondiales.

Winnie Byanyima, Directrice exécutive de l’ONUSIDA

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